01. Get Well Soon feat. Linds
02. Zero Dark Thirty Four
03. Today
04. 6 AM
05. Big Farm A feat. X-Raided & C-Mob
06. Under My Tongue
07. Self Destruct feat. Twista & Rittz
08. Hellthy
09. I’m Okay feat. King Kash
10. Not Well
11. Window
12. Made Me Crazy feat. Tech N9ne, Snake Lucci
13. Big Facts feat. Taebo Tha Truth
14. My Flowers feat. A-Wax
15. 6 PM feat. Taebo Tha Truth
16. Cover The Scars
17. Hypocrite
18. Help Yourself
19. Krazy feat. VenomStayDrippin
Avant de parler d’un album sensationnel qui devrait se hisser sans trop de problèmes dans le top de l’année 2022, parlons de cet artiste encore trop méconnu du grand public. Il est né en 1980, il commence à auto-produire ses mixtapes à partir de 2007 sur son propre label DeadGang Music avant de signer ensuite sur le label Twisted Insane’s Brainsick Musik. Il s’est fait connaitre dans un premier temps sous le nom Reali-T. Il a une histoire assez singulière car il a longtemps été un sans-abri et a également navigué en prison. Il sortira seulement « Project Iso » sous ce pseudonyme. Sur l’album suivant « The Insanity Plea » en 2015, il se convertit en I.S.O et finalement en 2016 avec son troisième album « Authophobia », il adopte définitivement King Iso. En 2017, il quitte le label suite à des différends avec ce dernier et en 2018 et il sort en auto-production l’album « Dementia ».
Il s’était déjà fait une réputation dans l’underground et Tech N9ne, patron de Strange Music Records à l’affût des meilleurs talents et qui l’avait logiquement dans le viseur. Il a pris ce nouveau soldat avec lui en tournée, et à la suite de cela, il a fatalement signé sur le plus gros label indépendant du rap. Il sort son quatrième album sur le fameux label en 2020 qu’il nommera « World War Me » qui reprend en partie sa série d’EP « World War Me – Entry 1,2,3″. Toutes les musiques sont produites par le King, niveau feat, seul Tech N9ne est invité ainsi que Mackenzie Nicole, la fille (et chanteuse) de Travis O’Guin, l’autre PDG de Strange Music. Il a ensuite défendu son album sur ses infinies tournées via son label et à travers des feats auprès de Krizz Kaliko, Stevie Stone, Tech N9ne, Taebo Tha Truth, Jehry Robinson, Joey Cool, C-Mob…. Qui est évidemment un album de très grande qualité.
En 2022, il rompt le silence à titre personnel en livrant son deuxième album, attendu de pied ferme par les fans. On peut dire que personne n’est déçu. Avant d’aller plus loin et mieux le cerner, il faut savoir qu’il souffre de différentes pathologies dont : dépression, schizophrénie, trouble bipolaire et démence.
D’ailleurs si on s’en réfère au titre, mot à mot, on est sur « Se rétablir rapidement », il s’adresse à lui donc mais pas que. La grande similarité avec le précédent opus, c’est la ligne de production, tout est produit encore une fois uniquement par lui-même. Faut-il s’inquiéter ? Non, au vu de la qualité de son précédent opus. Voyons cela de plus près. Pour ce qui est de l’ambiance, je pense qu’avec mon introduction, vous avez déjà bien plus qu’une vague idée de ce qui va nous livrer. Pour les fans du label, vous trouverez rapidement vos marques car il n’est pas aussi sombre qu’un Project : Deadman ou Skatterman & Snug Brim ni autant tordu que Brotha Lynch Hung. En fait on retrouve essentiellement du synthé, des boucles de piano, de la guitare et des morceaux à ambiance.
L’album commence très fort car l’introduction n’en est pas une et il déchaine très rapidement son fast flow et impose directement son rythme. Sur un morceau très menaçant, qui trouve toute sa lumière dans le refrain chanté par la belle voix de Linds. Dans ce morceau, il parle également de Sarah, sûrement son premier amour et assurément un amour qu’il a connu au collège / lycée. Son post Instagram est assez frappant, on peut y lire ceci à la date du 29 octobre 2011 :
"Sarah. Mon cœur. Mon meilleur ami. Mon professeur. Mon ange. J'ai fait la promesse de garder ton nom en vie il y a 16 ans. C'est grâce à toi que j'ai accepté ma santé mentale pour ce qu'elle est et que j'ai cessé d'avoir honte ou d'hésiter à en parler. Si tu n'avais pas pris mon bras ce jour-là et que tu m'avais demandé si je m'inquiétais vraiment de m'auto-mutiler, je ne pense pas que je serais ici aujourd'hui pour mène la vie que je mène. Tu m'as donné force, courage, amour et surtout ACCEPTATION. J'ai pleuré de façon incontrôlable la nuit dernière en lisant des messages sur "Cover The Scars" en souhaitant que tu puisses être ici pour voir ce que tu m'as inspiré. Je t'aime éternellement et merci pour tout bébé. Tu es immortalisée par ta grandeur et c'est un honneur de t'avoir aimé et d'avoir été aimé par toi. Tu me manques. Envoles toi haut, bébé. Jusqu'à ce qu'on se rencontre à nouveau."
King Iso Tweet
Aussi triste que glaçant, cette jeune fille fut tuée durant l’été qui a suivi leur rencontre (j’en reparle plus bas). Le second morceau est également de grande qualité, « Zero Dark Thirty Four » qui signifie une heure très matinale, soit un moment désagréable pour être éveillé. C’est un terme militaire pour dire 30 minutes après minuit, lu sur une horloge de 24 heures : 0030. Dans le refrain il dit qu’il appelle le numéro national de prévention du suicide mais ils ne répondent pas à son numéro. Dieu lui a dit qu’il était trop occupé pour lui et qu’il doit se débrouiller, quant au rappeur, il est également trop occupé pour se prendre en main… Ces références, il les doit sûrement à son héritage familial car il est issu d’une famille militaire.
Il rebondit sur « Today » qui est très intéressant aussi car il continue de proposer ses refrains chantés, l’un des multiples talents qu’il possède. Il parle moins de lui mais plutôt des gens qui profitent de sa thune et de sa notoriété. L’un des morceaux phares de l’album réunit en son sein X-Raided & C-Mob sur l’admirable « Big Farm A » avec ses airs de musique country. L’ambiance est aussi décomplexée que travaillée pour ne pas tomber du cheval. Notez ici, l’excellent jeu de mots sur le titre « Farm » en anglais c’est « une ferme », si on colle le titre, on obtient « Big Farma / Pharama (cie) » donc pharmacie ou les gros laboratoires. Le lien direct avec la ferme, c’est qu’ils se sentent piégés par les médicaments comme des animaux en cage. Ils font évidemment des jeux de mots avec les animaux que nous sommes ou qu’ils veulent qu’on soient, des rats de laboratoires. Car la médecine ne souhaite pas des patients en bonne santé, ils n’offrent pas de remède, ils créent des clients.
Croire que le lobby pharmaceutique veut nous soigner, c’est comme croire que les marchands d’arme à feu veulent un monde en paix. Ces artistes sont là pour dénoncer cela, de la bouffe industrielle aux animaux nourris aux OGM, des édulcorants et additifs au cancer provoqué par la nourriture en passant par les médicaments qui « normalisent » pour ne pas se sentir exclu, tout ce système ne met que des animaux en scène. Le rap reprend bien ici sa fonction principale, informer, éduquer, dénoncer et s’exprimer librement. Les 3 couplets sont de haute volée et le refrain mi-chanté / mi-rappé saupoudre le tout. Il s’adonne ensuite à un concours de flow et de débit auprès d’autres figures du rap : Rittz et Twista. Ces deux-là ne sont pas seulement connus pour leur fast flow mais également pour bien rapper. Ce qui est intéressant avec Iso ce qu’il a cette faculté à pouvoir réguler son débit assez facilement.
Exemple, certains rappeurs ne savent que rapper vite, ce qui est déjà une performance en soi mais Twista use souvent d’un flow qu’il accélère au maximum. Il a su se diversifier, mais souvent quand il commence un couplet rapide, il le finit ainsi. On y trouve que peu ou rarement de variations. D’autres comme Tonedeff peuvent poser 4 lignes avec un débit très rapide, chanter les 4 mesures d’après et revenir sur un flow plus modeste. Iso est capable de tout cela, les Bone Thugs-N-Harmony aussi par exemple (ils l’ont directement influencés). Bien que la production ne soit pas à la hauteur de ces trois hommes, tous proposent un couplet d’envergure. L’ordre des couplets donne pour moi l’ordre du podium, soit : King Iso, Rittz et Twista. On est purement sur un banger, une démonstration technique, de l’égo-trip. Néanmoins, on en redemande.
« Hellthy » est bien plus personnel, avec ces chants de cathédrale dans le refrain, on revient à l’essence même du projet. Il fait des phrases très courtes et enveloppe d’emblée l’instrumental, il maîtrise bien son sujet et son ingéniosité permet à la production de s’étaler sur la longueur. On en finit par se dire que 3 minutes et 23 secondes, c’est trop court. Mais on les oublie presque quand surgit « I’m Okay » qui est à mon sens le meilleur de l’album et l’un des meilleurs chansons de l’année. C’est un sujet qui parle à tout le monde car la majorité d’entre-nous répondent « Ça va » alors que c’est faux. Donc on se dit, on est ok. Vraiment ?
Je vais m’appuyer sur quelques lignes que j’aime beaucoup :
« There’s a term that body language only way to speak » (Il y a des expressions que seul le langage corporel est capable de transmettre).
« Just want to smile but my eyes say pray for me » (Je veux juste sourire mais mes yeux supplient : aidez-moi).
« I just want to be alone, but they blowing up my phone And I know what they on and it ain’t love »(Je veux juste être seul, mais ils harcèlent mon téléphone et je sais que ce n’est pas de l’amour qu’ils donnent).
Au-delà de la très belle prestation de King Iso, le message est très prenant. L’aspect le plus notable est la présence de King Kash, un rappeur dans l’univers d’Iso. Véritable découverte pour moi, son couplet est bien moins écrit sur la forme et dans son contenu, mais sur un aspect purement technique, il est l’un des meilleurs que j’ai entendus cette année ! Je m’explique, il est très fluide et articule bien malgré sa vitesse. Il commence à se caler sur la rythmique sur la majeure partie du tableau, puis ensuite entame un flow inédit car il ne rappe pas seulement vite et ne chante pas seulement.
Il fait penser un peu à Eligh des Living Legends qui peut accélérer sur quelques mots ou en fin ou début de mesure. Ce qui donne un résultat assez impressionnant. Cette seconde partie est également bien plus posée dans l’énergie et plus réfléchi sur l’écriture, l’auditeur lambda n’y verra que du feu ou un simple couplet. Mais il faut savoir, qu’il a dû adapter son flow à la rythmique et donc son écriture au flow !
J’insiste mais c’est un coup de génie, d’ailleurs pour cela qu’il ne le reproduit pas ? Il m’en faut peu pour m’intéresser à des artistes prometteurs, j’ai écouté un peu sa discographie, c’est du bon mais pas trouvé d’équivalence à ce que je décris. Il y a un flux émotionnel, technique et musical qui s’entremêle qui donne une dimension inédite au morceau. Qu’on le veuille ou non, il est indéniable de dire que le rap a évolué, et si des légendes comme Andre 3000 des Outkast a popularisé cette idée de rapper et de chanter à la fois, d’autres l’ont sublimés.
Aujourd’hui, c’est assurément un « plus » et un critère de qualité. Sur la fin du couplet, il revient à un flow encore différent et le refrain se fait sans transition car cette dernière phrase pose une question… et on y répond dans le refrain. C’est la consécration pour un rappeur underground comme lui, faire figurer un couplet mythique sur un album de qualité streamé des milliers de fois.
Le morceau qui suit derrière « Not Well » est également une réussite, en solo, il reprend le flambeau et se montre vraiment convaincant. C’est quasiment un sans faute jusqu’ici. Dans « Window », il raconte comment il voit le monde quand il est cloître derrière sa fenêtre… un jour de pluie à l’hôpital psychiatrique. Toute la société y passe et c’est très bien écrit encore une fois. Le single avec Tech N9ne « Made Me Crazy » est inaudible pour ma part, je pense qu’ils l’ont clippé pour la promo. La musique « Big Facts » avec Taebo Tha Truth ne donne pas grand-chose non plus à moins d’aimer la production, dommage car les couplets sont bons. La connexion avec A-Wax sur « Flowers » est bien plus pertinente. Sa seconde collaboration avec Taebo sur « 6 PM » sera d’ailleurs plus intéressante cette fois, il laissera que le refrain à l’invité qui gère très bien d’ailleurs.
Le morceau le plus touchant est sans conteste « Cover The Scars » où il parle de ces cicatrices. Quand il était jeune, il faisait tout pour les couvrir, un jour à l’école, il ne l’avait pas fait et d’un coup Sarah dont j’ai parlé plus haut l’a vu et l’a accosté. En fait cette rencontre lui a fait autant de bien que de mal (ou presque) car le décès de sa copine l’a encore plus plongé au plus bas. Il a commencé ensuite à prendre des opioïdes et a tenté de se suicider. Il en parle encore dans des interviews, c’était sa bouée de sauvetage, aujourd’hui ce sont ses fans. Il voit les choses différemment et aujourd’hui quand ses fans l’acclament, ils font littéralement fondre la douleur. Il est sincère quand il parle de dépression, ce n’est pas un fonds de commerce dit-il.
Le premier single officiel de l’album « Hypocrite » parle de lui-même et ses pensées suicidaires qu’il ne peut mettre en œuvre car sinon il serait un hypocrite. En effet, il a deux enfants et aujourd’hui, il ne voit plus son fils et le suicide le hante pour cela. Il rappe :
"Tant de gens m'utilisent pour la thérapie
Mais à vrai dire, je ne prends pas soin de moi
Mais personne ne peut le remarquer apparemment
Je réussis si bien à le cacher pour plus de clarté Je suis sérieux, sans blague, ouais apparemment
Mes enfants m'aiment mais je sens que je ne suis pas parent
Mais c'est le prix que je paie"King Iso Tweet
Un beau morceau encore une fois. L’album se conclut sur « Krazy » avec la rappeuse VenomStayDrippin, c’est sympa mais à ce niveau-là, l’album est tellement une réussite que le reste n’est qu’un détail. L’un des albums de l’année, assurément !
Rédigé par Fathis