Elle est inattendue pour plusieurs raisons. Yogi est un producteur norvégien qui avait seulement réalisé un album en 2016 et qui avait disparu du milieu ensuite. Devenu enseignant à l’école, il ne voyait pas son avenir dans la musique. Puis, il a fini par y reprendre goût et s’est remis à produire. Bercé par les sons Westcoast des années 1990, il a voulu créer une bande son qui y ressemble fortement. Il s’est donc mit à composer, seulement, il fallait y ajouter un dernier élément, un artiste.
Il s’est donc tourné vers Lil Woofy Woof qu’on nomme désormais simplement Woof. Ce dernier, bien qu’originaire de Caroline du Nord, s’est rapidement installé à Long Beach à Los Angeles. Il s’est fait remarquer d’une part pour son talent, un diamant brut, et surtout pour son style qui ressemble énormément au grand Snoop Dogg. Le timbre de voix, cette particularité d’onduler sa voix pour chanter, son nom, son look (par moment)… Sans jamais le provoquer, il y a une réelle ressemblance. La différence, c’est que les thèmes varient un peu plus, il parle moins de fumette que son ainé. Et on le sent au micro, il est bien plus dynamique et plus déroutant. Il a beaucoup collaboré avec Cartelsons, un beatmaker lyonnais à partir de 2013. Les amenant à produire ensemble l’album « Back In Tha Dayz » en 2016.
C’est très paradoxal, car malgré la productivité dont il a fait preuve, le talent et ses connexions, il n’a jamais réussi à toucher le grand public. On pourrait également le comparer au rappeur Doggystyleee qui semble avoir plus de chance de réussir commercialement, et qui reprend également tous les codes de cette génération dorée qui a marqué la G-Funk.
La réalité est que rien ne lié ces deux artistes, l’un vivant plus proche du pole Nord que du désert et l’autre sous le soleil durant 350 jours de l’année. Ils n’ont d’ailleurs jamais échangé ensemble ne serait-ce qu’au téléphone ! Tout s’est fait par messages, incroyable quand on voit le résultat final qui est plus qu’hallucinant.
Yogi a su recréer à merveille ce qui se faisait de mieux dans le pur style des années 90′. Il y a ajouté sa propre touche ainsi qu’une pointe de modernité sans jamais trahir l’essence même de son inspiration. Le seul projet complet qui nous est parvenu du beatmaker norvégien est son album « By Nights » paru en 2016, ce qui fait déjà quelques années. On y trouvait des feats dont Ivan Ave, MoRuf, LumiHD, Dialate, Kristoffer Eikrem, DeAndre Grover et surtout le rappeur Awon. D’ailleurs, il sortira un single « Salute », 5 ans plus tard avec ce dernier. Emcee fortement apprécié dans l’underground et qui s’est produit en France il y a quelques années, on ne s’attendait pas à le retrouver ici. Les productions étaient assez éloignées de « Let Tha Dopeness Begin », le jazz était plutôt le style dominant. Alors qu’ici, dès l’introduction, on est embarqué dans la lowrider, chargé de gasoil, on est prêt à rider jusqu’au coucher de soleil. Le talkbox donne de suite le ton soutenu par une douce voix féminine qui n’est pas sans rappeler Tracy Nelson ou Nancy Fletcher. Les titres sont assez courts et poussent à les rejouer régulièrement, l’ambiance est très apaisante et très homogène. Les beats sont vraiment bien travaillés, on ne tombe jamais dans le cliché ou dans la facilité. Évidemment, on va pouvoir vibrer avec ces fameux sons de sirènes typiques à la G-Funk, ils sont discrets et très bien orchestrés. L’album appelle à la balade, à l’évasion, on n’est pas sur un album funky ou festif ni sur un album de relaxation. Sincèrement, une version instrumentale de l’album pourrait en convaincre beaucoup d’entre nous.
Mais c’est sans compter sur la délectable voix de Woof, qui trouve toujours matière à raconter sur les musiques. Il place par moments de légères accélérations dans ses couplets pour varier les plaisirs et c’est diablement efficace. Toujours juste, il ne propose parfois pas de refrain et laisse l’instrumentale respirer, permettant ainsi au Dj de s’exprimer dans la plus pure tradition ou encore une mielleuse voix féminine. Pour aller encore plus loin dans le respect des traditions, il sample même Snoop Dogg lui-même sur « Comin’Thru ».
Et s’il tenait le format adéquat ? Comme évoqué plus haut, malgré son immense talent, le rappeur n’a jamais pu exploser au grand public. En regardant de plus près, on se rend compte que le format court autant dans la longueur des titres que du projet lui-même convient parfaitement. On ne parle pas de philosophie ou de révolution, on veut juste passer un bon moment, s’aérer l’esprit et rider de jour comme de nuit. Étant donné que les beats changent constamment et qu’il y a une dizaine de titres, on est plus enclin à le rejouer que de s’écouter de longs morceaux sur un long album. Sincèrement, je trouve que la formule est juste parfaite, car il n’y a aucun son à jeter. J’ai une technique assez efficace pour savoir si j’aime un album (accessoirement, je dois en parler) : je regarde après plusieurs écoutes combien de titres j’ai conservé. Là, c’est simple, j’ai tout gardé, c’est très rare. Mention spéciale à la fin de l’album avec « Lay N Smoke » et « On Tha Daily » qui constituent le summum de l’album. Et pour finir en beauté, Yogi s’offre carrément un groove à la Battlecat ou Dj Quik avec « Yogi’s Groove » en guise d’outro, juste un beat, pas de voix, c’est parfait, cerise sur le gâteau.
Je ne cesse de le répéter, la G-Funk n’est plus, malgré quelques artistes, anciens ou plus récents qui la font perdurer. En général, elle nous vient non pas de son berceau historique (quoi que) mais de l’étranger : l’Europe, le Japon, la Russie… En général les beatmakers étrangers servent d’excellents mets aux rappeurs américains, qui, il faut le dire, sont loin devant quand il s’agit de kicker des musiques pour rider. Ainsi, par cette combinaison Europe/USA, on s’offre un album sans frontières pour le plus grand plaisir des auditeurs. On apprécie toujours ces artistes qui naviguent à contre-courant et qui le font seulement pour l’amour de la musique. Je suis content de voir qu’au moment où j’écris ces lignes, l’album au format physique n’est plus disponible. Ce qu’il signifie qu’il à bien fonctionné, objectif atteint pour les deux artistes, espérons que cela va les poussera à réitérer…
Le mot de la fin revient au beatmaker :
"Au fur et à mesure que Yogi produisait dans la musique, il a réussi à dépasser le doute qui le poussait à trop analyser ce qu'il créait et a commencé à produire des beats qui, selon lui, pouvaient servir de base à la narration d'une histoire. Il voulait faire de la musique qui vous donne l'impression de regarder un film ou d'écouter une bande originale, en parcourant les rues au volant d'un lowrider dans Grand Theft Auto : San Andreas. "Let The Dopeness Begin", exploite cette narration non seulement avec les raps de Woof, mais aussi en offrant de multiples couches de production et de séquençage qui laissent la place à des sketches qui vous invitent dans le monde sonore de l'album. Lorsque Yogi a essayé de trouver un chanteur pour collaborer à l'album, il avait une vision de ce que serait la voix idéale pour le projet."
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Rédigé par Fathis