01. Astral Plain (Prod. By Caravela)
02. Eyes Wide Shut (Prod. By Young Guid)
03. Drifting (Feat. Deacon The Villain) (Prod. By Iam1am)
04. 60 (Prod. By Mors)
05. King Of Kings (Prod. By Oson)
06. Figure With Meat (Feat. Alla S.) (Prod. By DYINGALLURE)
07. Ghost Dance (Prod. By Evo Frost)
08. I Saw The Reaper (Prod. By Notafuckinghero)
09. You’re All Alone (Prod. By Eery Skies)
10. La Sagrada (Prod. By Sorrow Bringer)
11. Liminal Spaces (Prod. By AG Flux)
12. Fata Morgana (Feat. Rituals Of Mine) (Prod. By Televangel)
L’année s’achève dans quelques jours, mais certaines personnes refusent de dire leur dernier mot. Et dans le cas de l’artiste qu’on va étudier ici, on peut même dire que le temps n’a vraiment aucun impact. En effet, Sadistik qui a livré un bijou en 2008 avec « The Balancing Act » est toujours présent sur la scène rap, 16 ans plus tard. Je n’ai cessé de le couvrir d’éloges depuis que je l’ai découvert. Pour preuve, j’avais écrit deux articles à l’époque sur le blog hhsansfrontieres. Il faudra les remettre au gout du jour. Néanmoins, vous pouvez d’ores et déjà lire la dernière chronique que j’ai réalisé le concernant :
Je rappelle au passage que son précédent album, toujours en 2024 avec Maulskull se nomme « Oblivion Theater » . Pour ma part, je n’ai tout simplement pas assez apprécié pour en faire une chronique. De base, j’aime bien Maulskull, son travail avec Oldominion m’avait totalement émerveillé… Mais pas cette fois. Pourtant, tous les ingrédients étaient réunis, il y avait une grosse promo sur les réseaux, mais hormis : « These Nights Are Littered with Ash », « With You », « All the Colors of the Dark (feat. Krayzie Bone) » et « A Jubilee of Rot », je ne retiens pas grand chose. Certes, c’est pas mal, mais pas assez. J’avais découvert le beatmaker du Colorado sur ses « Death By Thr33s » et il avait fini de me conquérir sur « Unamazing Grace », mais cette fois, je passe mon tour. Là où c’est fort par contre, c’est que Sadistik a décidé de revenir cette année avec un nouvel album solo (le 8ᵉ). Et à y regarder de plus près, c’est peut-être la formule qui lui convient le mieux, à savoir travailler avec plusieurs beatmakers sur un seul et unique projet.
Pour le coup, on est passé du tout au tout, car sur les 12 titres qui composent ce nouvel LP, il y a 12 beatmakers différents. Il est vrai que les albums « Altars » et « Haunted Garden » ont connu aussi beaucoup de beatmakers, mais on n’en avait pas un par titre. Pour l’introduction de ce projet, je vais laisser l’auteur s’exprimer avant de me lancer :
"At Night The Silence Eats Me ressemble à un voyage dans les recoins d'un esprit qui a passé des années à danser vers l'oubli. Les mots de Sadistik ne viennent pas seulement d'un lieu d'observation, mais d'une immersion, comme s'il nageait dans les profondeurs de la douleur et de l'introspection depuis si longtemps qu'il avait appris à respirer sous l'eau. L'album se déroule comme une confession à combustion lente, entraînant l'auditeur dans un monde où le silence pèse lourd et où chaque battement pulse comme un écho lointain. La production est clairsemée et obsédante, créant un vaste paysage sonore qui semble à la fois délicat et oppressant. Les rythmes vont et viennent, construisant une atmosphère où même les moments les plus calmes sont porteurs d'une tension troublante. La voix de Sadistik traverse la brume avec une intensité délibérée, vous guidant à travers les ténèbres, chaque texte offrant un aperçu non filtré d'une âme qui a passé des années à se débattre avec elle-même. Il y a une beauté douloureuse dans la mélancolie de l'album, comme si chaque mélodie essayait de maintenir quelque chose de fragile avant qu'il ne se brise. At Night The Silence Eats Me n'offre pas de solution. C'est le son de l'esprit qui s'effiloche, et l'album invite l'auditeur à s'asseoir avec lui dans cet effilochage. "
Sadistik Tweet
La première phrase du titre « Astral Plain » introduit parfaitement l’artiste et l’album :
«Under the weather sun above me it’s summer forever»
"Sous le ciel, le soleil au-dessus de moi, l'été est éternel"Sadistik - Astral Plain Tweet
La première partie de la phrase qu’on traduira par « Sous la pression (exercée par la météo) », concrètement, l’expression fait référence à un état de maladie. Elle signifie également un état de maladie mentale. « Sous » (Under) fait référence à l’impuissance humaine face aux forces naturelles et spirituelles représentées ici par la météo (weather).
La seconde partie de la phrase commence avec « Sun » (soleil) et fait référence à celui qui se trouve physiquement au-dessus de Sadistik. « Sun » est également un homophone de « Son » (qu’on traduit par « fils »), et dans ce contexte il fait référence à Jésus, considéré comme le fils de Dieu chez les chrétiens. La suite et la fin de la phrase « Summer forever » (l’été pour toujours) fait référence à l’expression « Endless summer » (été sans fin) ou « Eternal summer » (éternel été), qui représente l’amour, le bonheur, la lumière au sens propre et au sens figuré. L’expression « summer forever » est juxtaposée aux mots précédents par le biais d’une illustration : « under the weather » (une journée sombre et nuageuse) et « summer forever » (une journée ensoleillée et sans nuages).
Le « sun above me » (soleil au-dessus de moi) fait également référence au ciel, et la dernière signification que peut revêtir « under the weather » est « sous le ciel » qui vient signifier qu’il se trouve dans un royaume sous le ciel, donc soit la terre, soit l’enfer.
Cela fait sens car tout le titre fera référence aux cieux et à l’aura qu’il y a autour, exemple « Am I high or are the stars close? » (Suis-je défoncé ou simplement proche des étoiles ?). « Lost soul that was not sold, it was costly God guard me from the common copies » (L’âme perdue qui n’a pas été vendue, elle a coûté cher Dieu me garde des copies communes). Ça constitue une excellent entrée en matière dans les pensées les plus torturées de l’écrivain. Et dans la dernière phrase du titre, il dit « C’est un long chemin vers l’oubli », ce qui constitue le thème de cet album, l’introduction est toujours aussi éclatante avec Sadistik. Cela souligne également sa capacité à poser sur papiers des métaphores et des rimes très compliquées à déchiffrer. Il n’est pas évident de tout relater, mais on le fera quand c’est réellement nécessaire.
Le second morceau, « Eyes Wide Shut » constitue un banger à lui seul. On est sur l’un des meilleurs titres de l’album et de l’artiste tout court. Le titre s’ouvre sur un sample venu de l’enfer, et pour cause, on ne comprend pas ce qui est dit dedans ! En revanche, le refrain, qui propose la même construction, est plus net : « Neuf cercles de souffrance comme Dante / Je flotte ». La référence qu’il faut avoir en tête, c’est le livre « La divine comédie » de Dante Alighieri. Pour faire court, ce classique de la littérature italienne raconte comment Dante voyage de l’enfer vers le paradis en passant par le purgatoire. Il y a 9 cercles dans cet enfer, ils représentent la gravité des péchés. Plus un péché est lourd, plus on descend bas dans les cercles, le 9ᵉ étant le dernier. Notre rappeur a toujours été quelqu’un de très cultivé : entre son amour pour les films d’horreur qu’il nous partage volontiers, et son insatiable envie de lire, d’apprendre et de savoir… On peut dire qu’il réuni en lui, non pas seulement des livres, mais toute une bibliothèque pour alimenter ses textes.
La production de Young Guid est tout bonnement parfaite, il signe une parfaite entrée en matière. La rythmique reflète bien cette atmosphère infernale et insoutenable à laquelle semble être soumis Sadistik. On y entend une sorte de voix dans la musique, elle est tellement lissée qu’on a l’impression qu’elle a été extirpée, tirée des deux bords pour laisser un cri envoûtant de désolation. Elle représente la seule lumière à suivre si on veut s’extraire de cet enfer. La partie rappée n’est pas en reste, car elle propose une autre facette, Sad attaque directement le couplet avec un débit plus important que la musique précédente. D’ailleurs, si on écoute bien, on se rend compte qu’il mime le tempo donné par cette fameuse « voix » qui constitue la boucle principale. La structure classique du rap est très claire : quatre fois quatre lignes qui en forment seize, soit deux couplets de seize mesures. Si ce n’était que cela, ce serait trop simple. Le second couplet est différent, encore une fois, tendez l’oreille, la rythmique est différente, et si les sonorités sont les mêmes, il y a une nuance : cette fois, la voix semble étouffée, comme si elle était volontairement saccadée. Et le flow du rappeur est également très parlant, le débit reste important, mais la façon de rapper le couplet diffère, cela crée un changement majeur dans le titre et vient encore une fois nous surprendre !
Arrive le morceau « Drifting », véritable clé de voûte du projet. Je l’écoute en boucle depuis que je l’ai découvert. Parlons encore une fois de la production, qui est tout bonnement l’une des meilleures que j’ai entendues cette année. Après avoir échangé avec le producteur Iam1am, il m’a rapporté qu’il n’a utilisé aucun sample pour le titre, il a joué lui-même la guitare tout en posant sa voix par moments sur ses propres notes. La guitare est un instrument assez étonnant quand on y regarde de plus près, en effet, c’est probablement l’instrument offrant le plus de possibilités pour créer de la musique, il est (en général) rapide à comprendre, offre très souvent des compositions et des musiques marquantes, mais se retrouve souvent « oublié ». Du moins, on a tendance à moins remarquer sa présence tant on l’a entendu à toutes les sauces. Il en existe tellement de versions et de variétés, jouées à travers le monde depuis la nuit des temps, qu’on ne se rend plus compte des classiques créés par cet instrument indémodable. Encore faut-il trouver la bonne boucle ; le bon accord pour fournir un résultat mémorable ; ici ; la note émotionnelle est au plus haut. Chapeau, cela fait un moment que je n’avais pas autant vibré à la première écoute d’un titre de rap.
Le contenu lyrical de ce titre est dans la continuité du thème de l’album et de son voyage astral, où il navigue à travers les profondeurs de l’oubli, c’est assez compliqué de tout comprendre ou de tout traduire. Cependant, la première phrase renvoie à ça : « J’ai marché sous la pluie noire en attirant les étoiles filantes ». Ce qui rend également ce morceau incroyable, c’est la puissance que dégage Sadistik dans ses couplets, il y a des variations de flows qui donnent une réelle profondeur. Comme si la prod s’adaptait à lui, alors qu’elle a été faite bien avant qu’il ne soit au courant de son existence. Franchement, il y a juste à écouter ses deux couplets, maitrisés du premier souffle à la dernière phrase : « Je suis sur un trône fait d’os, pouvez-vous dire que je suis un roi ? ». Rien que l’intonation sur cette phrase est mémorable, la transition avant le refrain est parfaitement orchestrée, il finit aussi bien qu’il a commencé, il a attaqué le beat dans les meilleures conditions pour l’achever au sommet.
Et pour couronner le tout, il faut y ajouter l’ingrédient magique : Deacon The Vilain (Cunninlynguists), qui réalise le meilleur refrain de son immense carrière. Point. Il rappe et chante seulement deux phrases, mais son timbre de voix bien plus gracieux et mélodieux s’associe avec briovà la guitare. Encore une fois, parfois, faire des choses simples mais avec maitrise vaut mieux que réaliser quelque chose de compliqué mais sans précision. Et ce n’est pas un hasard, si on le retrouve ici en featuring seulement au refrain, c’était déjà le cas sur le morceau « Kill The King » présent dans l’album « Flowers For My Father » sorti en 2013. C’était déjà une grande réussite, mais le chant n’était pas autant prononcé et le style était différent. On se rapprochait plutôt du refrain présent dans « Echoes » sorti en 2018 sur « Salo Session II » . Refrain plus court, plus chanté et plus profond. Au final, si on suit l’évolution des trois collaborations sur les refrains, on est en mesure d’affirmer qu’il y a une réelle évolution de Deacon, qui a su affiner son style et sa technique, le plaçant maintenant comme un artiste incontournable pour réaliser des refrains chantés marquants et profonds. Le rap ne meurt pas, il se renouvelle constamment, et il faut avouer que les artistes du Dirty South en savent quelque chose…
La suite de l’album est plus calme, on peut dire qu’on est dans le ventre mou, les titres sont courts et s’enchainent rapidement. Il n’y a aucun invité, parfois des refrains ou des ponts, mais principalement des couplets assez durs à déchiffrer. Le titre le plus étonnant est surement « La Sagrada » qui résonne comme un éclat de joie dans ces abîmes ! Le titre est déjà bien plus chaleureux et plus positif que tous les autres morceaux de l’album. Le rappeur aime voyager et il n’hésite pas à le montrer via ses réseaux. On l’a vu récemment se mettre à la boxe thaïlandaise, visiter le Japon, la Thaïlande… Ainsi que tous ces concerts à travers le monde, j’ai pu le croiser à Marseille accompagné des Cunninlynguists. Contrairement à ce que peut faire croire le titre, il ne fait pas l’éloge de la mythique basilique « La Sagrada » située à Barcelone. Il évoque plutôt ses échappées belles loin des E.U., son pays natal, il décrit d’ailleurs ses voyages comme « comme un paradis sur Terre ». Partant du principe qu’il vit en enfer et que, dans sa tête, c’est le chaos total, le fait de voir la mer à Porto, « les nuages de miel à Cape Town (Afrique du Sud) » ou encore les grottes d’émeraude de Positano en Italie. Ce qui est assez ironique, c’est que le beatmaker Sorrow Bringer (porteur de chagrin) a produit un titre plein de vie. Entre le sample de voix féminine et le violon qu’on n’avait pas l’habitude d’entendre, et encore moins dans cet album, c’est un vrai rafraichissement. Et pour être complet sur ce titre, Sorrow m’a appris que les voix de femme qu’on entend ont été ajoutées par Sadistik lui-même, en plus de quelques notes d’instrument à corde…
Cela a-t-il inspiré le titre « Liminal Spaces » produit par AG Flux ? Ce beatmaker de Denver, dans le Colorado, est un artiste que j’ai suivi un moment, car il faisait un travail de qualité et loin du rap conventionnel. Presque 15 ans qu’il est dans le milieu, je l’avais perdu de vue, et je me rends compte qu’il est également très bon à la production. Il a aujourd’hui largement étendu sa palette, car il produit également pour des films et la TV. On a donc droit à un morceau qui appelle de nouveau à l’évasion, plus souple, c’est différent, comme si le rappeur était porteur de vagues. Une ballade tout en douceur, un refrain où il se permet le luxe d’abandonner le rap pour s’essayer à un débit plus lent, plus proche du texte parlé que du chant. Le rendu est formidable. AG m’a expliqué que le titre fut enregistré quelques mois auparavant pour un projet d’AG Flux, mais Sadistik a voulu l’utiliser pour son album, permission accordée.
L’album se conclut avec le magnifique morceau « Fata Morgana » produit par Televangel (qui vient lui aussi de Seattle), anciennement appelé Young God qui faisait partie du duo de beatmakers Blue Sky Black Death au côté de Kingston également appelé Torso. Ce duo est principalement reconnu pour avoir initié le style de musique nommé (dark) « cloud rap ». C’est un style qui se veut plus aéré, très musical et entrainant l’auditeur dans une ambiance en apesanteur via des rythmes lents, de longs morceaux, donnant la sensation de planer dans les nuages. C’est plutôt tourné vers l’écoute passive, principalement du fait que les rappeurs ne sont pas toujours invités dessus et que c’est un style dédié à des auditeurs particuliers. Dans un style différent, mais dans une ambiance similaire, ce n’est pas si éloigné que cela au final. On peut la lier au « Chopped and screwed » de Houston, créé par le regretté Dj Screw.
Pour revenir à ce dernier titre de l’album, pour justifier mes propos, on a 6 minutes et 29 secondes de musique, on est donc largement au-dessus des standards rap et encore plus de ce projet. Je le rappelle, tous les titres tournent à moins de trois minutes… Autre fait important, il comporte un featuring, en l’occurrence celui de Rituals Of Mine (anciennement Sister Crayon) qui est un duo indie pop/electronic/alt R&B originaire de Sacramento en Californie. Jusque-là, rien d’étonnant, car Sadistik a déjà collaboré avec des artistes qui n’ont rien à voir avec le rap, notamment pour intégrer des voix féminines. Étrangement, la musique semble s’écouler rapidement, on ne sent pas les minutes défiler, surement du au fait que le beat change durant tout le titre, les voix de Terra Lopez et le changement de débit du rappeur doivent assurément y contribuer.
Je termine également mon billet sur cette piste, donc après plusieurs écoutes et reconsidérations, on tient un album solide, l’un des meilleurs de l’année et l’un des meilleurs de l’artiste. C’est définitivement une excellente année pour le Rap Us.
Rédigé par Fathis
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