C’est presque une première pour nous d’écrire sur des artistes venus d’Amérique Latine, ce n’est pourtant pas l’envie qui manque. Mais comme on l’a si souvent répété, la qualité aura toujours le dernier mot. Nous avançons pas à pas pour vous proposer du contenu internationale, et à ce jeu là, on est pas loin des 200 pays et il n’est pas facile de trouver une place pour chacun d’eux. Pour cette chronique, on va parler du groupe Alcolirykoz qui est un groupe originaire de Medellín en Colombie. Le groupe est composé de deux rappeurs : Gambeta et Kaztro (il se fait également appeler El Arkeologo quand il crée des beats) ainsi qu’un DJ nommé Fazeta. Comme vous pouvez le voir, le trio est autosuffisant, car ensemble, ils incarnent les trois aspects majeurs du rap. Ce groupe est un monument musical dans leurs pays d’origine, bien que ce n’est pas le style le plus dominant au pays du café, comme vous pouvez vous en douter. Ils se sont forgés en s’inspirant des multiples genres musicaux que propose la musique colombienne, et c’est précisément cette singularité et cette complémentarité qui les a propulsés si loin. Ils le reconnaissent eux-mêmes, ils ont été influencés par la soul, le blues, la salsa, les boléros et même le funk. Durant sa première année de création, le groupe portait le nom « ArneZ », avant d’adopter son appellation actuelle. Leur parcours musical prend officiellement son envol en 2007 avec l’énorme succès de leur album « En Letras Mayúsculas ». D’ailleurs, ce dernier bénéficiera d’une réédition en 2018 incluant l’ajout de nouveaux titres et une amélioration de la qualité sonore.
Selon Kaztro, cet album est leur réalisation la plus aboutie, après vingt ans de collaboration en tant qu’artistes. Ils se connaissent désormais mieux que leurs propres voisins. Chaque morceau de cet album est imprégné de paroles astucieuses qui narrent entre autres une part de leur existence. Il s’agit de leur septième opus, le plus récent, « Aranjuez », a vu le jour en 2021 et porte un nom qui fait directement allusion à leur quartier. Pour cet album éponyme, le choix du titre s’est opéré d’une manière plutôt cocasse. Il se trouve qu’un citoyen chilien a mentionné le crew mais en énonçant incorrectement leur nom, ce qui a conduit à des incompréhensions. Le groupe a donc décidé de nommer leur album du même nom qu’eux, pour que les gens puissent vraiment comprendre comment ils s’appellent et comment prononcer leur nom. C’est donc un moyen astucieux et efficace de se promouvoir soi-même en utilisant un ton humoristique. Mentionner leur nom évoque également les racines du groupe, l’expérience et le vécu qu’ils traitent notamment dans cet album. Cet opus contient 16 titres et quelques featurings. Forcément, c’est celui avec Evidence (Dilated Peoples) qui va automatiquement attirer notre attention. On aurait également souhaiter le voir à la prod, domaine où il excelle mais ce n’est pas le cas. Le clip que je vous ai partagé un peu plus haut parle de lui-même, vous pouvez d’ailleurs constater que le rappeur de Los Angeles n’est pas présent dans la vidéo. Pour les autres featurings, on retrouve Bajo Tierra qui est un groupe de rock colombien, le chanteur argentin Jerónimo, le rappeur espagnol Sho-Hai, le rappeur mexicain Muelas De Gallo, la chanteuse colombienne Carolina Oliveros, Daymé Arocena qui est un chanteur cubain d’afro-jazz Armando Hernández, un chanteur colombien et enfin Laberinto ELC, un groupe local.
En gros, cela signifie que nous avons véritablement un projet solide qui suscite un réel intérêt à approfondir l’écoute du rap colombien. Le morceau « Estetograma » est véritablement une perle rare, le refrain porté par la voix exceptionnelle de Daymé sur un sample de soul qui rivalise avec les plus grands succès jazzy hip hop mérite d’être écouté de toute urgence. Les flows sont bien rythmés, le morceau est une ode à la contemplation. Le titre transmet de façon intrinsèque un certain air de mélancolie en faisant référence à la solitude semblant s’adresser spécifiquement à quelqu’un. La collaboration « Los Legendarios » avec les partenaires de Laberinto ELC est véritablement un hommage au rap, à leur façon de procéder et à leur détermination à toujours créer leur musique selon leurs propres termes.Le résultat est de nouveau impressionnant avec un refrain interprété par divers rappeurs. Lorsque les artistes cultivent un style qui leur est unique pendant des années, ils ne peuvent que l’améliorer. Rester vrai à ses origines, c’est le sommet ultime pour un artiste. Peut-on parler d’apogée ? « Ronaldiño y Ronaldo » m’a logiquement interpellé car cela faisait un moment que je n’avais pas vu un titre en rapport avec des noms de footballeurs. Ne vous laissez pas induire par des jugements précipités, ils ne représentent ni une analyse critique, ni une biographie des deux icônes du football brésilien. C’est une pièce de grande qualité qui s’aligne avec le fil conducteur de l’album. Je ne vais pas tous les citer, je conclue avec le hit « El Remate » et son sample très jazzy, qui est aussi le dernier titre de l’album. On a l’impression d’assister à une fin de soirée dans un club où les derniers clients veulent poursuivre la fête. Il n’y a pas d’after-party pour nos artistes qui ont tout donné durant les 16 titres, on ne pouvait pas espérer mieux pour une outro.
Vous l’aurez compris, cet album est une véritable réussite, une parfaite entrée en la matière pour celles et ceux qui s’intéressent à cette scène.
Rédigé par Fathis