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[Chronique] Fanny Polly - Toute Une Histoire

1. Humeur du jour
2. One shot
3. Dunk
4. J’ai pas les mots (Feat. Demi Portion)
5. Nuit blanche
6. Potion magique
7. Contradictions
8. X pression art d’corps
9. Isolés
10. Scred connecté (Feat. Taiz)
11. Voyages voyages
12. Gameboy
13. Hier encore (Feat. Marion Napoli)
14. Lettre à la relève
15. Évasion
16. Toute une histoire

Localisation : Mouans Sartoux / Paris, France

Année : 2019

Chronique rédigée en mars 2020

Artiste que j’avais découvert je ne sais plus trop comment, mais elle vient du sud tout comme moi et c’est important à souligner. Au-delà de ça, j’avais regardé les cyphers et je me suis dit, il y a du niveau là… Je l’ai ensuite vu en live au Demi Festival, elle avait éclipsé tout le monde quasiment malgré le nombre de talents réunis au même endroit, au même moment. 

Pour faire simple, elle a remporté la finale du Buzz Booster #10 en 2019. Elle a la trentaine, née à Cannes et a grandi à Mouans Sartoux dans les Alpes Maritimes sur la Côte D’Azur. Elle est ensuite montée sur Paris pour continuer sa carrière de danseuse / rappeuse et elle a fait la rencontre de la Scred Connexion et elle a signé un contrat avec eux pour 2 ans. Son premier album « Toute Une Histoire » est sorti le 21 juin 2019. Elle explique que c’est le bilan de sa vie sur ses dix dernières années, on trouve donc des morceaux inédits enregistrés il y a dix ans. Humainement et artistiquement, elle se livre à travers ce projet.

J'ai fait tourner l'album et voilà ce que j'en pense...

Le fait qu’elle soit une femme dans le rap est forcément moins courant (bien que de nos jours, on en voit plus qu’avant) mais ça peut aussi s’évaluer à d’autres niveaux. Tu peux te servir du fait que tu sois une femme pour aborder des sujets que les hommes n’abordent pas ou seulement de leur point de vue et non du sexe opposé. Tu peux aussi apporter une vision purement féminine sur un milieu qui est assez virile (qui se veut en tout cas), qui vise un certain public au détriment d’un autre. Ce qui fait que ça lui ouvre une large palette et la voix d’une femme ne résonnera jamais comme celle d’un homme. Elle peut aussi donner de la voix à d’autres femmes qui ne se retrouvent pas dans un autre style de rap ou tout simplement à travers un homme. Donc on le voit, il y a des choses à explorer.

L’autre point est que tu es plus vite cataloguée, car tu es une femme dans un milieu dominé par les hommes, que tu peux être négligé. Tu peux ne pas être prise au sérieux, et des mecs (la majorité des auditeurs sont des mecs) ne peuvent pas du tout se reconnaître. Ou tout simplement ne pas vouloir s’identifier à une femme, surtout si elle ne propose pas la musique qu’ils demandent. Je traîne pas mal sur des sites de rap et je dois avouer que je suis choqué du nombre de fois où je vois des pochettes (pas toujours dans le rap) où on voit comment le corps et l’érotisme sont poussés pour attirer le consommateur. À partir de là, comment tu veux qu’on te prenne au sérieux ? Dans le sens où, le fait que le mec va faire qu’il te donne du temps, c’est qu’il a vu une pochette sexy, mais n’en connaît pas le contenu. Or ici ce n’est évidemment pas le cas, car l’artiste ne met pas du tout ce côté en avant et tant mieux. C’est comme si tu mettais un détail sur tes jambes ou un gros tatouage en avant pour qu’on ne regarde pas le reste, tout ce que tu veux cacher.

Mais moi ce qui m’intéresse, ce n’est pas seulement la psychologie, mais bien le talent, tout ce qui est extra-musical ne m’intéresse pas. Il est d’ailleurs fort dommage qu’on ne trouve pas les textes sur le net, car il y a vraiment une belle plume. C’est compliqué de définir son style, elle me fait penser à Snow Tha Product, elle peut enchaîner du freestyle, propose du chant, avoir un débit conséquent et un flow qui cisaille tout en y collant des punchlines. De plus, elle se veut très bercée dans la mélodie.

Ainsi, le morceau « Humeur du jour » qui fait office d’introduction ne pouvait être mieux choisi car il décrit bien tout ce que je viens de citer. Les notes de piano (Marion Napoli qui compose ?) accompagnent parfaitement son humeur. On change très vite de registre avec le single clippé « One Shot » produit El Gaouli qui en a placé d’autres dans l’album. 

 
Le clip, la performance et les punchlines sont de mise ici : 
« Me rabaisser à ta taille pour du biff je m’y refuse. »
 
Jeu de mots ici intéressant. On suppose qu’elle s’adresse à un homme ou quelqu’un qui s’est rabaissé pour réussir, c’est-à-dire oublier ses principes et s’est déshonoré. Néanmoins, si on prend au sens propre « me rabaisser à ta taille » (dans le cas d’un homme toujours) signifie accomplir un acte sexuel… Le biff = argent, donc c’est 10 points d’un coup !

Le morceau est vraiment bien écrit ! Et pour ne pas perdre le nord, le son qui suit se nomme « Dunk ». Encore une fois, une belle écriture, elle met tout ici, car elle écrit un refrain de qualité, qu’on peut suivre et qui entraîne, elle envoie un message et envoie du lourd. Assurément une pièce maîtresse de l’album. Lui aussi est clippé, la transition est toute faite avec « J’ai pas les mots » qui est aussi clippé ! Un passage au demi-festival, s’ensuit un feat avec Demi Portion et un morceau de plus pour le projet. Simples et efficaces, les deux artistes se baladent sur la prod, aucun ne prend réellement le dessus, aucun ne gâche la belle prod, on laisse tourner… « Nuit blanche » vient constituer le cinquième morceau du projet, pendant un moment, j’ai cru entendre une prod de Snowgoons.

Ce sample avec une voix qui crie si bien l’émotion qu’on veut lui confier. Bien que le thème soit bon et la technique est bien présente, le morceau donne effectivement la notion d’une nuit blanche. L’album comporte 16 morceaux et quasiment pas une seconde est perdu, alors que la tendance de nos jours est plutôt de lâcher peu de morceaux et rester productif, on à l’opposé ici. Et le risque est ici en vrai. Alors plus c’est long, plus c’est bon, mais attention de ne pas tomber dans la répétition ou dans le remplissage. C’est le seul défaut que je trouve dans ce projet, certains sont inégaux et font référence à d’autres, ce qui fait qu’on ne retiendra que le meilleur. La bonne nouvelle, c’est qu’elle a beaucoup de choses à dire et ce n’est qu’un premier projet, tout se comprend.

Elle n’est pas que généreuse, car elle est aussi talentueuse, à défaut de se la raconter, elle sait raconter. En témoigne son morceau « Isolés » qui est assez prenant, où elle parle des personnes qui sont délaissées. Un message puissant et qui est plus que le bienvenu aujourd’hui où l’on préfère filmer une personne qui se noie avant de la sauver ; où l’on fait tous la même photo juste pour dire « j’ai la même photo que l’influenceuse sur Insta ! », un monde où un sourire peut en dire tellement, mais est si dur à délivrer.
 

Elle délivre aussi des messages positifs, parle de ses aspirations, de la vie et de pas mal de clichés qu’elle décortique.
« C’est difficile de fermer ma bouche quand je vois celles qui n’ont pas compris qu’elle ne servait pas uniquement qu’à se faire belle ».

C’est aussi son point fort, car on trouve de tout dans l’album, toutes les vibes, toutes les époques, des morceaux qui semblent datés, d’autres qui traversent les temps ou encore certains qui ont pris le train en route. L’album ne souffre de rien qui ne peut vraiment lui porter préjudice, le talent est le maître-mot car c’est bien cela qu’elle met en avant ici. Les intervenants sont peu nombreux : Demi Portion, Taiz et Marion Napoli (qui a également produit des morceaux). L’album pose une pierre carrée dans le cercle, propose une artiste totalement inédite en son genre et promet un bel avenir à ceux et celles qui sauront tendre leurs oreilles. 

Elle colorie en dehors des lignes, elle ne suit pas les règles, pense de façon créative, se comporte de manière non-conventionnelle. Elle a mis de la couleur dans sa vie en proposant ce premier bébé sans césarienne, tracée un arc-en-ciel dans le ciel gris du rap français. C’est toute une histoire, le début d’une histoire qui ne cessera de s’écrire, car si les héros meurent, la légende demeure. Et sortir un album de rap français sans aide d’un label mainstream ou en étant porté par les jeunes auditeurs n’est pas aisé. Je parle dans le sens où tu ne fais pas un truc pour te fondre dans la masse, donc loin de ce qui se fait, que tu prends position en proposant un rap chirurgical et intelligent. Tu élimines involontairement une bonne partie de l’audimat. Forcément, on ne peut que s’incliner devant une telle performance tenue durant 1 heure. Pour qu’une flamme brûle, il faut l’attiser, elle a allumé le brasier, à nous maintenant d’attiser la flamme pour qu’elle brûle plus forte que celle des Jeux Olympiques…

P.S : Les productions sont signées Itam et El Gaouli entre autres.

Rédigé par Fathis