HipHop sans frontières

[Chronique] Furax Barbarossa - Caravelle

01. 26 degrés 5
02. Uragano
03. Fumée Blanche
04. Brise de mer
05. Un sol inadapté
06. Calypso I
07. A l’amiable (feat Scylla)
08. Porcelaine (feat Sofiane Pamart)
09. Lvdi
10. Coliseum
11. Caravelle
12. Sous la grêle
13. Dites au revoir à printemps
14. Sovrano
15. Calypso II
16. Itinéraire bis (feat L’Hexaler)
17. Gelati
18. Ca m’fait pas marrer 3 (Bonus)

Localisation : Toulouse, France

Année : 2022

Furax, l'homme avant l'artiste

Furax Barbarossa, souvent appelé Furax est un rappeur toulousain avec des origines corses. Il a commencé par rejoindre le collectif toulousain Section Marécage à ses débuts dans le rap pour rapidement rouler avec Sale Elite Toulousaine et fonder Polychrome 7, un label. Cette période s’étend de 2002 à 2010. De là, il quitte de nouveau le navire et avec certains rescapés du collectif, il reprend le concept « Bastard Prod » dont il en était déjà l’auteur. Le crew s’agrandit et comprend Furax Barbarossa, Toxine, 10 vers, Sendo et Abrazif. Il est à priori plus accès collectif/groupe/amis que carrière solo, il sort un maxi et deux albums entre 2004 et 2010. Le reste, ce ne sont que des collaborations. Il sortira un album en 2014 nommé « Testa Nera », et c’est 8 ans plus tard qu’il sort enfin son nouvel album, le joyau « Caravelle ».

Entre-temps, il s’est fait connaître dans le monde francophone et il apparaît auprès de : Grim Reaperz, Ritzo, Le Gouffre, Mani Deiz, Scylla, Sëar Lui-Meme, Futur Proche, L’Hexaler, Swift Guad, Demi Portion, LaCraps, Crown, SCH, Greenfinch… Autant dire, que ce nouvel album solo était très attendu par les fans de rap. Concernant son nom, il est inspiré du fameux pirate et ancien sultan d’Alger : Barberousse. Il parle de sa vie dans certains de ses couplets et on comprend l’inspiration joliment trouvée. Il est très proche du rappeur Scylla dans la vraie vie autant que dans le style, ce dernier tire d’ailleurs son nom d’un monstre marin de la mythologie grecque. Bien avant de se lancer dans le rap, il était batteur dans un groupe de fusion. Ce parcours très atypique à donnée naissance à un artiste bourré de talent, unique et reconnaissable parmi tous les autres gros poissons. Pour finir son portrait et sur un point important, il parle a cœur ouvert. Nullement touché par les chiffres qui ne signifient pas grand-chose dans l’absolu, jamais dans les wagons de file, toujours à l’avant, il a son style. Un style cru, introspectif, technique et pointu, nullement à la recherche du buzz ou du hit grand public… À force de faire saigner les oreilles des auditeurs et leur faire tourner la tête, il a définitivement acquis une communauté, un fief de rap français et prouve encore que l’art est vivant.

Caravelle, l'album de toute une vie

Comme souvent, j’aime m’attarder sur l’ensemble du projet avant et non pas seulement la musique. Une caravelle désigne un voilier inventé au Portugal vers 1440, ils sont célèbres pour leur rapidité et leur maniabilité, étonnant non ? La caravelle s’adapte à toutes les météos possibles et permet également d’avancer à contre-courant. On retrouve bien notre homme à travers ce bateau. Concernant la pochette, c’est plus compliqué, il y en 4 officiellement de disponible ! Tout ce travail, on le doit à Chill & Harley.Graph, tout comme les nombreux et somptueux clips de cet album. On sent que l’image dans son ensemble occupe une place importante et qui a bénéficié d’un travail très soigné. Rien d’étonnant quand on sait que Furax aime le cinéma et l’écriture, il a tout de même écrit des scénarios pour Ninho, Keblack, Naza… Mieux encore, il a écrit les interludes de l’album « JVLIVS » pour SCH.

L’album ne prend pas de gants hormis l’introduction, le premier single « Uragano » est clair :

Ma tristesse c'est les racines de l'arbre
Tu ajouteras son fruit à ton panier
Nan c'est pas un album c'est des bassines de larmes
La vie c'est apprendre à souffrir accompagné

Bienvenue, Bienvenue
Je pensais pas faire plus noir mais je l'ai fait
Bienvenue, Bienvenue ouais triple X, triple X
Uragano

L’idée est simple, faire l’effet d’un ouragan, tout emporté et mettre tout le monde en alerte, la bombe arrive. L’album s’ouvre sur des morceaux assez lourds, de l’égo-trip et une mise à niveau, pas le temps de s’amuser. Après tout, il a dit lui-même qu’il est de l’école « piano/violon », on sort du cadre, mais on s’en rapproche. Il démontre une grande qualité à proposer ses propres refrains, et ce, avec qualité comme dans « Un sol inadapté » sur une excellente prod de Mehsah. Le réel premier banger intervient avec « Calypso I » produit par Itam (Kids Of Crackling) qui a un toujours un coup d’avance et Guilty (Katrina Squad) qui joue un rôle clé dans cet album. Il nous livre un récit d’une partie de sa vie qu’on dévore sans modération. Dans la foulée, suit « À l’amiable » produit par James Teller (Diagram Music) et là, on comprend que les grands talents s’accordent toujours bien.

On la voyait venir, mais on ne savait pas quand, cette fameuse collaboration avec Scylla, ben la voici. Au-delà de la technique des deux Mc’s, le thème est très éloquent. Ils s’adressent à la majorité de la population qui court après les choses futiles de la vie, qui rêvent de vivre une vie qui ressemble) celle de la publicité. L’intelligence, la sagesse, la compassion, la force du cœur… Des concepts que les grands Hommes ont compris et appliquent. Si l’argent faisait le bonheur, il serait interdit, ces deux artistes ont compris le sens de la vie. Ils partent et laissent tout aux autres, car ils n’ont besoin de rien, juste de créer de l’art.

Assurément, le morceau le plus puissant, à tous les sens du terme est « Porcelaine » avec Sofiane Pamart. Le morceau est d’une mélancolie comme on en a rarement entendu, car il évoque la violence à laquelle Furax était confronté. Il parle de son père et des coups qu’il lui portait. Pour lui témoigner son amour ? Cela ne semble pas être le cas, cela l’a forcément fortement marqué et semble être encore douloureux d’en parler aujourd’hui. Il se livre totalement derrière le micro et ne retient pas ses paroles, on ne peut qu’être touché par tant de force et de courage, c’est un navire qui revient de loin. Sofiane sublime le morceau avec ses doigts en porcelaine pour la partie piano et Furax livre un refrain d’anthologie. L’album a tellement coché de case à ce moment-là, on se demande bien ce qu’on y trouvera en continuant à naviguer. Le morceau est tellement puissant qu’il nous invite par la suite à reprendre notre souffle et se remettre de nos émotions… En écoutant une piste instrumentale en guise d’entracte.

Ce qui est original, c’est que la piste instrumentale est en fait le support du prochain titre « Coliseum ». On passe de l’interlude au titre suivant sans s’en rendre compte en fait, le capitaine a des bonnes idées.

"Le rap en a dépité 1000, j’ai pas changé d'trajectoire en dépit des mines"

D’une façon générale, il représente un rap et un style qu’on ne croise en général que dans l’underground. Ou chez les amoureux de la rime, du texte et de l’art. Il prend plaisir à structurer ses titres comme bon lui semble cassant ainsi beaucoup de schémas connus jusqu’alors. Il est également adepte des « ponts » qui sont plus en vogue dans d’autres styles de musique comme la pop ou outre-atlantique. En même temps, pour prendre le pari risqué de proposer un LP de 20 titres plus des morceaux bonus décliné sur différentes versions, il faut oser. Très peu d’artistes auraient tenu le cap, la plupart aurait fini par nous lasser en pleine mer et aurait échoué sur une île abandonnée. Une ovation pour le morceau « Gelati » où il évoque sa relation avec sa mère, très beau morceau teinté d’amour et de respect. Ce qui constitue également la seule production de Toxine, suffisante pour rappeler le niveau du beatmaker. 

Il va sans dire que c’est le travail le plus abouti de l’artiste à ce jour. Autant pour les néophytes que pour les fans de la première heure. Le curseur est très haut, la boussole ne s’affole à aucun moment, il maîtrise le gouvernail. On sillonne entre morceaux tristes et mélancoliques à l’égo-trip et des titres très personnels. Tout est bien écrit, une poésie accompagnée d’un flow et d’une voix qui ne laisse pas indifférent. Tout comme d’autres artistes rap l’ont poussé et inspiré afin de se tailler une plume affûtée comme un sabre de corsaire, nul doute que cet album en fera autant. Au-delà de la dimension locale qu’il revêt dans la région toulousaine et du sud, il parlera à une communauté se trouvant bien au-delà de l’hexagone. Je ne l’ai pas mentionné, mais on retrouve également l’Hexaler sur le titre « Itinéraire bis », ce n’est pas anodin. Ils collaborent fréquemment ensemble, mais cela prouve également qu’il peut aisément séduire des contrées très éloignées de la ville Rose. Beaucoup tentent le coup, la majorité échoue et certains ont ça dans le sang.