Ce lundi 25 Juillet commençait sous de bien mauvais hospices, le temps était à l’orage, lourd et chargé… Mais c’était sans compter sur le beatmaker français Kheyzine, notre producteur national, celui qui a su mettre la France et plus précisément sa ville, Bordeaux, sur la carte mondiale du Hip Hop underground. En effet, il vient de sortir un EP ultra qualitatif de 5 pistes avec le rappeur new yorkais Kutz Diego, intitulé « The Melieu ». C’était l’occasion pour nous de vous présenter enfin ce producteur et beat maker frenchie très prolifique et autant plébiscité que sollicité par les plus grands noms du rap américain underground actuel.
Depuis deux ans, alors que le monde va mal, Kheyzine, lui, marche littéralement sur l’eau, c’est durant cette période que sa notoriété explose. Travaillant sur son concept depuis déjà plus de trois ans, il compte ainsi des collaborations très remarquées, pour ne citer que Josiah the Gift, Pro Dillinger, Mickey Diamond, Allah Preme, K. Burns, General Back Pain (rien que ça !!!) ou encore le rappeur hollandais Jinnahcide, qui lui aussi fait office d’OVNI européen parmi tous ce nouveau terreau d’artistes underground américains actuels. À noter pour les puristes et les connaisseurs, K. Burns n’est autre que le cousin véritable de Kutz Diego. Décidément, le hip hop c’est souvent une affaire de famille.
C’est la période des confinements liés au Covid qui a définitivement servi de propulseur à Kheyzine. En effet, c’est à l’ombre de la hantise pandémique internationale qu’il en a profité pour investir son temps à donner une nouvelle visibilité à son travail, une nouvelle impulsion. Il a ainsi pu finaliser et sortir ses projets personnels qui étaient en cours d’élaboration, et, c’est indéniable à la vue de sa discographie, cette période de latence lui a permis de faire un immense bond en avant. Une bonne manière de positiver une des expériences collectives comptant parmi les plus traumatisantes que l’humanité ait connue ces dernières années.
En 2020, Kheyzine sort plusieurs projets donc, dont le très remarqué « Robert Mc Call » sur lequel il travaillait déjà depuis deux années. L’occasion pour lui de nous présenter son univers en faisant la démonstration de toute l’étendue de sa créativité. Track après track, un univers Grimey, sombre et inquiétant se dessine. Et l’intervention d’artistes tels que Bless Picasso, Casablanca, General Back Pain, K. Burns, Pro Dillinger ou encore Mickey Diamond viennent donner une dimension très aboutie au projet. C’est propre et c’est carré, la recette fonctionne, la machine Kheyzine était lancée !
Dans la même veine, la série des « Young, Drugged Armed and Dangerous », projet antérieur sorti en 2020 lui aussi, est à citer. Il s’agit en fait de son premier projet solo faisant intervenir des rappeurs américains. Ses contacts sur-place lui permettent de réunir une grande partie des actuels membres du label Umbrella, avant que ce dernier ne soit conçu et ne devienne la référence qu’il est aujourd’hui en la matière, avec des noms tels que Pro Dillinger, Snotty, ou encore Josiah the Gift.
Ces artistes, aujourd’hui mondialement reconnus, ne l’étaient pas autant à cette époque. Et c’est en travaillant avec eux qu’un certain Mickey Blu à cette époque, qui deviendra très rapidement le célèbre Mickey Diamond, ami de ces rappeurs, finira par intégrer lui aussi le projet. C’est ainsi que va se sceller une collaboration de qualité entre ces deux artistes, qui perdure encore aujourd’hui et qui a encore de beaux jours devant elle.
Mais plus sérieusement : « Quand certains construisent des murs, d’autres construisent des Ponts ». Respect !
Par ailleurs, Kheyzine n’est pas le seul français du Sud-Ouest à travailler avec le label Umbrella et plus précisément avec Allah Preme. DJ Nobreakfast, excellent artiste protéiforme toulousain, connu et reconnu pour son travail d’archive, de collecte et de remise au jour autour des musiques du monde traditionnelles et ses mix tapes pointues (boom bap, rock psyché, Cumbia, Musiques africaines…), collabore, sur certains projets, sur la partie visuelle du label Umbrella.
Tout comme Kheyzine, et bon nombre d’artistes d’ailleurs, la période des confinements a été l’occasion pour DJ Nobreakfast d’approfondir sa démarche artistique. Il va lancer une série de mix-tapes de Boom Bap très pointues que je vous conseille vivement d’écouter pour vous faire ou refaire votre culture Boom Bap des deux dernières années. Les « Stoned Thursdays », ce sont pas moins de 16 mix tapes de rap underground américain, minutieusement élaborées durant la longue période des confinements, entre autres, et avec une attention toute particulière aux covers. Comme toujours avec DJ Nobreakfast, artiste polyvalent, il est un véritable touche à tout : DJ, graphiste…
Je vous laisse découvrir tout ça sur son Mixcloud ou son Soundcloud, au choix !!! A consommer sans modération !!! Mais, j’ai envie de vous demander… que ferions-nous sans le Sud-Ouest ? Est-ce que le Boom Bap est au courant qu’une part de sa réussite réside dans la vallée de la Garonne ? Pas sûr…
Avant de se lancer dans l’analyse musicale, commençons par le contexte et plantons le décor. « The Melieu » se veut être un EP en hommage au milieu anarchiste et maffieux français du début XXeme, et plus particulièrement à Jules Bonnot. En effet, il n’y a pas plus GOAT que Jules Bonnot. Il était le chef de la célèbre Bande à Bonnot, équipe de braqueurs anarchistes des années 1920, tous morts sous les balles de la police française, ou sureté nationale à cette époque. Bonnot tombera quant à lui en avril 1912, lors d’une fusillade aussi spectaculaire que devenue légendaire, dans le garage de transformation des véhicules du gang, à Choisy-Le Roy. La bande à Bonnot a grandement contribué à écrire la funeste légende du bandit altruiste, « Robin des bois », qui vole aux plus riches et à l’Etat pour rééquilibrer la balance de la justice sociale.
« La nature créée des différences, et la société en fait des inégalités » écrit Tahar Ben Jelloun, un grand écrivain francophone marocain.
Et nos bandits actuels font pâle figure face à ces légendes du terter. Au début du XXeme siècle, on est à une époque où le banditisme français est dominé par les gangs mafieux, les gangs de titis parisiens tels que les Marlous de Belleville ou encore les Apaches, écument la capitale par exemple. De plus, une longue tradition anarchiste, issue de la Commune de Paris, l’insurrection de 1871, se constitue en France au fil du temps. Politisés, déterminés et vertueux, ils sont les représentants nostalgiques de cette image du « bon » bandit, respectant une certaine morale, la fameuse « mentale », et qui s’est malheureusement perdue depuis… sorte de Robins des bois des temps modernes, « Ni Dieu, Ni maître » était leur slogan. Et si l’histoire de la bande à Bonnot vous intéresse, le film éponyme de 1968 est fait pour vous ! La bande dessinée « La bande à Bonnot, les illégalistes » est aussi un travail de fond plus récent, passionnant et remarquable sur le sujet.
La cover de l’EP « The Melieu » reprend d’ailleurs tous ces codes du banditisme à la Bonnot à merveille, et le designer Loizo, qui est en charge de la partie visuelle des projets de Kheyzine, propose un montage de photos d’époque authentiques de scènes de banditisme issues d’archives de journaux et d’archives de la police du début du XXeme siècle. Notamment cette photo saisissante du cadavre de Bonnot juste avant autopsie. Ainsi, dès la cover, le décor est posé, et il est temps à présent pour nous de nous pencher sur l’analyse musicale du projet.
1. « Intro »
Le projet débute comme un film ! L’intro fait office de lancement en opérant tel un générique de film : riff de guitare entrecoupé de sortes de vocalises féminines énergiques, Kutz Diego enchaîne aphorismes et règles de vie, tel un générique. L’ambiance du cinéma de bandit et de franche camaraderie est posée.
« Priceless Gems » porte bien son nom, le beat est aussi priceless que Gem. Sur une production épurée, ballade sur chœur de chorale amenée par quelques notes uniques au piano et agrémenté de samples de cris de mouettes (sissi !), c’est un track détendu et débonnaire : « ballade pour un bandit », telle est l’émotion suscitée par ce track. Un morceau aux notes harmonieuses et ensoleillées, le temps se suspend… Ce sentiment appuyé par le flow posé que choisi Kutz Diego. Sur un texte assez personnel, poésie de la rue, on est de suite séduit et enthousiasmé par l’orientation que prend cet EP. Le sentiment d’une vie apaisée malgré les risques et la tension incessante de la rue, tel un rayon de soleil transperçant les nuages, se dégage parfaitement de cette chanson. Le beat est en totale cohérence avec le thème abordé et vient donner une dimension à la fois complète, cohérente et aboutie à ce morceau.
3. « Jenee Crib »