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[Chronique] Kno & Sadistik - Bring Me Back When The World Is Cured

  1. Burning Suns
  2. You Don’t Know
  3. The Earth Was Empty
  4. Ghostly Key
  5. Apple Valley
  6. Carnelian
  7. Mothlight (feat. Natti)
  8. Neptune Skin
  9. 27 Club feat Kno
  10. Disappear feat Gift Of Gab & Mibbs (of Pacific Division)
  11. Where You Want Me
  12. Rainclouds, Pt. 1 (feat. Lucy Camp)
  13. Rainclouds, Pt. 2
  14. Blue Tree Meadow
  15. Mulholland Drive feat Kno
  16. Quietus
  17. Godmode
  18. Serpens (Trial of Lucifer) feat Kno

Localisation : Seattle / Los Angeles / Lexington, USA

Année : 2022

Quasiment jour par jour, un an plus tard, nous sommes en mesure de vous fournir la chronique de ce bijou. Ce n’était pourtant pas l’envie qui manqué ! En 2022, après la sortie de l’album, le groupe de Kno (Cunninlynguists) accompagné de Sadistik ont entamé une tournée mondiale. Ils ont conjointement célébrés deux projets :

  • Onierology (Cunninlynguists / 5ème album) qui fêtait ses 10 ans.
  • Bring Me Back When The World Is Cured ( Kno & Sadistik / sortie mondiale)

J’ai donc eu la chance de les voir à Marseille pour un concert d’anthologie. J’ai pu échanger à la fin avec Natti et Sadistik. Il faut savoir que Sad’ a déjà collaboré avec le crew de Lexington dans le Kentucky. Mieux encore, Kno & Sadistik ont sorti un EP « Phantom Limbs » (2015) qui était d’une grande qualité !

Cette fois, ils mettent les bouchées doubles, puisqu’on passe sur un autre format et par conséquent 18 morceaux. Trop ambitieux ? Non, jamais ! 

Les lois de l'attraction

Je ne reviendrais pas sur le parcours du rappeur. Je lui ai déjà consacré deux dossiers que vous pourrez bientôt retrouver. Pareil pour le producteur, j’en ai consacré à son groupe. Et j’en prévois un dernier le concernant. Le rapport à la mort est important chez ces artistes :

Kno – Death Is Silent  [La mort est muette] (2010)

Sadistik – The Art Of Dying  [L’art de mourir] (2010)

Sadistik  X Kno – Phantom Limbs [Les membres fantômes] (2015)

Je reste pourtant en surface car ce n’est que les titres de l’album. Mais les sujets sont bien plus vastes, ils évoquent également le monde et ses problèmes. Leur style de musique est très proche dans le fond, le rappeur propose un rappeur sombre à la limite de l’horrocore je dirais. Son univers est unique et particulier à la fois, ce qui explique aussi sa trajectoire artistique. Le beatmaker possède deux facettes, il y a comme j’évoquais le côté sombre / lié à la mort. Qui est toutefois assez concomitant. L’essentiel de sa production est douce, mélodique et parsemé de chœurs et de chants. Là est sa force.

D’ailleurs l’album commence par « Burning Suns » qui est la signature typique de Kno ! Un sample originel avec un chanteur, une mélodie qui respire bien et Sadistik qui reprend le chant principal. La mise en bouche exquise. « You Don’t Know » prend le relais, plus énergique et plus prononcé, elle donne le ton. Un beat sur mesure pour le rappeur de Seattle. Premier constat, il se balade toujours aussi aisément sur l’instrumental, on se rapproche de son meilleur niveau mais l’aspect est clairement mis sur les lyrics. Il raconte l’histoire d’un tueur qui tente d’échapper à la justice, au fil du morceau, sa perception des choses évolue. Il est considéré comme l’un des meilleurs morceaux par les fans. Il est en effet magnifique, entre les allitérations et le sample incroyable, on est porté tout le long. Il s’arrête de façon assez brutale pour bien marquer la fin du calvaire du tueur.

On retrouve beaucoup ce style de beat dit « chipmunk » si bien définit par Romain DCZ :

L’ambiance musicale de la chanson (comme tout l’album) est très « néo-soul » et « chipmunk soul » (sample de voix soul ralentie ou accélérée) typique d’une nouvelle génération d’artistes de cette époque comme Kanye West, Talib Kweli...

C’est ce qui fait la force de l’album, principalement. Sadistik fait penser à Eminem par moments, il rappe trop pour le côté « technique » parfois. Du fast-flow, des schémas de rimes compliqués, des métaphores… C’est devenu une « machine » en somme. Et il faut avouer que la connexion peut parfois avoir du mal à trouver nos oreilles. Il a perdu ce coté « surprenant » qu’il pouvait avoir à ses débuts et sur certains morceaux. Il y a des invités qui se font aisément remarquer en plus de casser le rythme, je pense à Natti. Sur le morceau « Mothlight », il signe une énorme performance. On retrouve d’autres featurings dont Gift Of Gab ou Mibbs du groupe Pacific Division sur un morceau boom-bap inattendu et assez réussi (Disappear). On peut également entendre la rappeuse Lucy Camp sur le très réussi « Rainclouds part 1« . Enfin, la dernière apparition ne concerne nul autre que Kno himself. Il accompagne sur le refrain de « 27 Club » entre autres. Club dont Sadistik aurait aimé rejoindre, quand je vous dis qu’il ne blague pas avec la mort… Pour ceux et celles qui ne connaissent pas le Club des 27, il désigne les artistes décédés à l’âge de 27 ans. On y retrouve par exemple Jimi Hendrix, Jim Morrison, Kurt Cobain, Amy Winehouse

Le titre « Rainclouds part II » est très beau et singulier, les notes sont très douces mais les paroles sont suicidaires.

À ne pas se méprendre, le morceau « Mulholland Drive » (ou Kno rappe également un couplet) n’a rien à voir avec le film. En effet, bien que le rappeur soit un grand consommateur de films, il ne fait pas référence au classique de David Lynch. Mais bien de la mythique route hollywoodienne. Le second single « GODMODE » est une sorte de clin d’œil à la star du rap de Detroit. Il rappe deux couplets de 30 mesures chacun, ce n’est pas le morceau le plus marquant mais il mérite sa place. Le titre « Serpens (Trial Of Lucifer) » nous marquera pour sa singularité. On retrouve les deux artistes de l’album rappant sous l’identité de Dieu et de Satan. Innovant et intéressant.

L’album se veut très sérieux, on retrouve plusieurs combinaisons différentes. Certains morceaux n’ont pas de refrains, d’autres peu de couplets, des feats, des instruments lives en plus des samples… C’est vraiment une bouffée d’air frais. Ce sont deux artistes bien atypiques qui ont façonné un magnifique objet pour le plaisir de nos oreilles. Les textes glauques, dépressifs et sans sympathies de Sadistik délivrent toujours un message. L’artiste a malgré tout trouvé une forme de stabilité sentimentale comme il évoque aisément dans « Where You Want Me ».

Kno quant à lui n’a plus rien à prouver. Il est largement reconnu comme l’un des producteurs les plus sous-cotés du rap. De mon point de vue, il est dans le top 5, tout simplement. Son large catalogue de productions est inestimable, incomparable et inimitable. Je me répète, mais je ne vois aucun producteur aujourd’hui réussir autant de prouesses dans son style. Kanye West aurait peut-être pu s’en vanter un moment. C’est le moteur du projet, les productions sont tellement réussies que les 18 pistes s’écoutent quasiment toutes. Ce qui est rare pour un beatmaker. Sur chaque projet, il arrivera à nous surprendre malgré qu’on sait ce qu’il compte nous proposer. Le talent, tout simplement. La créativité à son apogée.

L’album et ses thèmes tendent principalement vers une chose : une curiosité pour l’exil, le détachement, l’esprit, les pensés… leur vie suspendue du monde et de ses problèmes. Le titre est explicite : « Ramenez-moi quand le monde sera guéri. » Entre les problèmes de pandémie mondiale, l’inflation, les guerres à travers le monde, la violence dans la société, la consommation de drogues et de médicaments à outrance, les crimes passés sous silence, l’exploitation des enfants, la violence et le mépris envers les femmes, le fascisme grandissant à travers le monde… Le monde est malade.

Ce projet est beau malgré toute l’horreur qu’il décrit. Tout y est paradoxal car l’ambiance purement musicale offre une évasion. Celle dont tout le monde rêve, ils l’ont fait pour nous, profitez-en. Il est aisément dans le top 10 des meilleurs albums de 2022, rien à ajouter.

Chronique rédigé par Fathis