HipHop sans frontières

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Soleil Noir (Swift Guad, Dooz Kawa, Davodka & Euphonik) - Jour de Nuit

1. Aurore
2. Monument
3. Homicide
4. Quatre Saisons
5. Inquiétant
6. Supernova
7. Ex
8. Éclipse totale
9. Choses sérieuses
10. A ceux qui brûlent
11. La nuit des dorts vivants
12. Pamphlet triste
13. Roulette Russe

Localisation : France

Année : 2022

« Le « Soleil Noir », entité stellaire de notre système colère, est composé de 4 éléments essentiels : Dooz Kawa (DK), Swift Guad (SG), Davodka (DVK) et Euphonik (EK). Libérant une très forte énergie, son rayonnement est capable d’éclipser toutes mauvaises ondes de la surface de votre planète. Soleil Noir, non pas une simple étoile, mais plutôt un Big Bang musical. »

Je cite la présentation officielle, partons sur de bonnes bases. L’album est distribué par le label Modulor, qui distribue entre autre DK. Comme Hip Hop Sans Frontières ne recherche que l’excellence, on a sélectionné cette constellation.

Tous les artistes de ce super groupe ont déjà été évoqués dans nos colonnes. Par conséquent, je ne vais pas tarder sur le parcours de chacun. Je rappelle seulement qu’on tient ici 4 des étoiles les plus scintillantes du rap français. Chacun d’eux à livré quantité d’albums, de classiques et de collaborations mémorables.

Leur association, une étape logique ?

Je pense que n’importe quel auditeur de rap français (underground) a dû entendre parler d’au moins de l’un d’entre eux. Le terme « Soleil noir » désigne plusieurs choses : symbole nazi, des albums de musiques, des films et documentaires, des romans… Le sens est assez vaste, un élément de réponse apparaît dans le titre qui introduit l’album « Aurore ».

- As-tu déjà entendu parler de la malédiction du soleil noir ? La première éclipse total en 1200 ans. Elle marquait le retour imminent de Lilith, la déesse démoniaque de la nuit. Envoyée pour exterminer la race humaine. 60 femmes portant des couronnes d'or qui rempliraient le lit des rivières de sang.
- Hmm ça ne rime pas. Toutes les bonnes prédictions riment.

DVK clôture d’ailleurs parfaitement le morceau et de façon très explicite :

Soleil Noir, c'est l'astre qui restera au zénith H24
Apôtre de la rime qui jette un froid, les poumons gonflés d'air
Depuis mon premier souffle j'exprime ma haine c'est pour ça qu'on m'venère

Donc, c’est clair et net, on part principalement sur de l’égotrip. Un tour autour du soleil, car en matière de technique, on atteint des sommets. Vous allez prendre votre dose de vitamine D, c’est assez habituel pour ce genre de formation. D’autant plus que c’est leur premier projet en commun. Le premier single « Choses Sérieuses » voit le jour durant le printemps 2022. Il est produit par le beatmaker français James Digger qui a travaillé avec : Rockin’ Squat, Masta Ace, Cenza, Souffrance, Passi, Rebels To The Grains

C’est la seule production qu’il offre sur ce projet, mais on est au zénith. La mélodie au piano est de toute beauté, tout le monde s’exprime à son aise. Les textes parlent de rêves et d’espoir, de garder le cap vers la lumière, ne pas rester qu’un anonyme rayon. Les diverses références aux classiques du rap français, sont toujours bien senties. Ce premier titre, nous promet un grand solstice d’été, un ensoleillement maximal.

Le second single se nomme « Eclipse Totale ». Le morceau est plus froid, on s’enfonce un peu plus loin dans l’atmosphère. La production est signée Sarbacane, il signera 8 prods dans l’album, c’est dire le niveau de confiance. C’est dire également, la qualité de ses productions. Il s’est également fait remarquer auprès de : Ol’Zico, Grödash, Paco, L’Hexaler ou encore Ritzo. Les scratchs sont de nouveau confiés à Dj Saligo, qui scratch d’ailleurs tout l’album. Rien qu’à l’écoute du titre, on comprend, pourquoi, ils lui ont confié cette mission. Le morceau est plus sombre, il se veut un constat de leur vie, et, accessoirement, un décryptage de la société, totalement perdue.

Le troisième single, « Inquiétant » est de nouveau produit par Sarbacane. Il convient également d’évoquer Leelimice, qui, prête main-forte sur ce morceau à l’aide d’un synthé. Le titre fait office d’étoile filante, il a une bonne musicalité, mais reste moins marquant que d’autres titres.

"Allez viens sur mon dos
Si tu veux voir le monde en grand
On prend personne de haut
Quand on est d’jà un monument
"

« Monuments », c’est le quatrième et dernier single de l’album. Ce qui est déjà une énorme exposition pour un tel projet. On retrouve Sarbacane à la production, Leelimice au synthé et à la basse. Ce qui constitue à mon sens la meilleure production de cet ovni. L’acapella en ouverture de Dooz Kawa sur l’ensorcelant synthé, suivi des variations de beats, les autres couplets… c’est astronomique. Le titre se suffit à lui-même, évidemment que ce sont des monuments dans le paysage du rap français, quoi de plus logique que de se comparer à certains d’entre eux ?

Ils ont pour but de marquer un événement, l’histoire, une civilisation, un lieu, une frontière, de rendre un hommage… Fièrement, ils résistent à l’épreuve du temps, c’est ce que font ces artistes et cet album. Je ne sais pas si on peut déjà parler de classique, mais d’indispensable, oui.

 

Poésie, philosophie, rythme... aucune limite

Sans surprise, il n’y aucun featuring. Pourquoi faire ? Avec un tel quatuor, la concurrence ne ferait que chuter le niveau. La force de ce collectif, et qu’ils ont su créer des liens à travers leurs différents univers. Swift Guad possède une voix reconnaissable de tous, un style hardcore et des punchlines tranchantes. Rien qu’à voir son nom sur une liste, on est conquis. Davodka est souvent cité dans la rubrique des rappeurs les plus rapides de France. Au-delà de ses similitudes avec Hugo Boss (Ex. Hugo TSR), il incarne le prototype du rappeur sans défaut. Une capacité à toucher aux thèmes les plus sensibles ; rappeur et beatmaker, des jeux de mots et des double-sens à foison…

Dooz Kawa, lui mise énormément sur l’écriture, nous obligeant souvent à revenir en arrière pour bien capter le sens. Plus éclectique, plus discret, il se fait une place de choix dans ce collectif. Le caméléon du groupe. Quant à Euphonik, j’étais assez étonné mais tellement heureux de le voir ici. En effet, il est un peu en deçà des autres pour moi, dans le sens où il demeure plus abstrait, plus poétique et mystérieux. Le choix de ses mots diffère totalement du ton de sa voix, par moment, c’est l’une de ses forces. Je ne sais pas comment, lui vient son inspiration, mais au-dessus, c’est le soleil.

On retrouve un morceau en solo « À Ceux Qui Brûlent » par DK. Également des duos comme sur l’excellente « Roulette Russe » de Swift Guad & Dooz Kawa. Sarbacane a encore fait le taf. La même équipe se retrouve également sur « Ex ». Le refrain de Swift, m’a de suite fait penser à « X » de Xzibit, sorti en 2000 sur le classique « Restless ». DK parle beaucoup de femmes à travers ce projet, pas étonnant qu’il pose les deux couplets de ce titre. Il y a des punchlines vraiment marquantes d’ailleurs :

"Ce qui parfois pourrait gêner, parce que c'est l'terme qui définit
La mort d'un être qui est vivant, un peu comme un deuil infini
"

"Ex, c'est le nom générique qu'on donne de manière négligeable
A nos plus intimes cicatrices
"

"Car l'ex n'a aucune qualité, c'est une grenouille pour l'expérience
On oublie qui on a été, dans l'groupe on joue l'expert immense"

"Est-ce que ça signifie "anciennement" ou bien doté d'un enseignement ?
D'avoir écrit des pages de vie d'un stylo bic, tout en saignant
"

"Encore une blessure narcissique
Où finalement on ressort plus grand
Tirant un trait sur nos principes
Et surtout un peu moins enfants
"

Il convient de parler du brillant « Quatre Saisons », où chaque artiste évoque une saison et sa réalité. Greenfinch, livre sa seule production et quelle supernova. L’homme qui a produit pour Melan, Res Turner, Fhat. R, Fanny Polly, Bastard Prod, Furax Barabarossa, Scylla… Fait exposition de son talent, le morceau aurait pu (du !) être un single, rien que pour sa structure. Évoquons également l’autre morceau solo « Pamhplet Triste » de SG qui est tellement bon. Égal à lui-même, le rappeur de Montreuil prouve qu’en solo ou en collectif, il tue.

"J'voulais atteindre le Nirvana au lieu de ça j'ai la morve au nez
Dans mon cerveau des big data pour mieux remplir leur portemonnaie
"

Je pense qu’on a fait le tour, mention spéciale à Hamdibeats qui a produit « Homicide » et « Supernova » qui sont également de très bons morceaux. Tous les fans de rap qui ont appris l’annonce du projet et de l’album ont du atteindre le 7ème ciel en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. L’annonce de la formation du collectif et la sortie du projet fut tellement rapprochée, qu’on aurait pu croire mauvaise blague. Et pourtant, il est bien là, en ces temps obscurs où personne ne peut prédire quoi que ce soit, les artistes émergent. Le tour de force est réussi, chacun des membres garde son style et ses attributs tout en laissant le partenaire s’exprimer. On ne ressent aucune compétition entre eux, juste l’envie de briller. Il manque peut-être un peu de cohésion et d’échange entre eux. À l’image d’Army Of The Pharaohs, où les membres étaient tellement nombreux qu’ils faisaient tout à distance.

Tous les auditeurs pourront s’y retrouver tant le tout est varié. Il n’y aucun raccourci facile à faire, et parfois, c’est la meilleure occasion pour découvrir un artiste et son univers. C’est tout l’intérêt de ce genre de projet, nul doute que si je ne les connaissais pas, j’aurais exploré les discographies distinctes des membres. On ne s’ennuie pas, il n’y a pas de côté récréation ou compilation, tout est traité avec sérieux. Des artistes qui subliment le rap, pour les fans et pour eux-mêmes, tout le monde est gagnant. Ils sont actuellement en tournée, il serait dommage de passer à côté. C’est le genre de projet qui manque au rap français actuel. En quatre mots : technique, sens, production, écriture.

Chronique rédigé par Fathis