HipHop sans frontières

[Chronique son] Fayçal - Grandeurs et Décadences

Son nom n’a pas encore fait le tour du globe, mais ce mc bordelais s’est fait un nom du côté de la Belgique, la Suisse… Mais avant tout la France bien sûr. Pour les chanceux qui ont pu acheter leur ticket à temps, il était présent sur le demi-festival édition 2017. Il le dit lui-même, la scène ce n’est pas ce qu’il préfère, mais il en fait. Lui, ce sont plutôt les mots, la poésie, sa langue natale, le français, la technique, les rimes complexes, punchlines, métaphores, rimes de la 4ème dimension… Un spécimen rare, un artiste complet qui est loin de la vague commerciale. Ce qui explique que malgré son talent, il reste cantonné à l’underground et n’explose pas dans les grandes sphères malgré une discographie de qualité. Il a en tout sorti 5 projets : « Murmures d’un Silence »  (2006), « Secrets de l’oubli »  (2009), « L’or du commun » (2013), deux EP’s « Bords perdus » (2016) avec Dj Yepes et « Chants de ruines » en 2021.

Ce qui m’intéresse principalement, c’est la musique et le morceau que je vais décortiquer ici, donc ne perdons pas de temps pour analyser la grandeur et la décadence de ce couplet… Je ne vous cache pas que la complexité des rimes, des références, des schémas de rimes, de son univers et autres peut rebuter certaines personnes. Voyons donc la première phrase :

"Depuis les prévisionslestes, des oracles de Delphes
De la division de l’est, au(x) miracle(s) des Elfes
"

Regarder bien les rimes multi syllabiques en gras. Chez lui, c’est courant et pourtant, c’est très complexe, il fait rimer les mots entre eux et pas seulement en fin de phrase. Exemple le plus illustré que j’ai trouvé concernant les voyelles : 

« Jeux vidéo, c’est une rime en 4 syllabes en e/i/é/o : je vise très haut/le libéro/Denis Beraud/je suis l’héros…  » 

On remarque donc qu’il y a toujours 4 syllabes dans les lignes et qu’on retrouve toujours les 4 voyelles, c’est extrêmement compliqué. Une technique similaire consiste à faire rimer les consonnes, mais reste aussi très compliqué. Ici, il a fait les deux donc jugez vous-même la qualité exceptionnelle de ce rappeur et ce n’est que la première phrase du morceau ! Tentons de comprendre donc :

Delphes est une ancienne ville de l’antiquité grecque.

Oracle : Outre un rôle religieux majeur dans le monde antique, en effet, l’oracle d’Apollon n’était pas exclusivement consulté par les Grecs, les oracles de la Pythie ont tenu une place importante dans l’organisation politique grecque. Par extension, l’oracle désigne aussi l’intermédiaire humain qui transmet la réponse du dieu ainsi que le lieu sacré où la réponse est donnée. On le consultait généralement pour savoir pourquoi un malheur s’abattait sur une ville ou un foyer. La phrase qui suit pourrait être vue comme l’étendue de la période que va aborder le rappeur : depuis l’âge mythologique avec les elfes et oracles (la grandeur), à l’âge contemporain division de l’URSS quand il parle de la chute de l’est (décadences).

Ses références à la mythique Grèce ne s’arrêtent pas là, car il mentionne indirectement le bouclier de la déesse Athéna en parlant de son bouclier « l’égide ». C’est un bouclier grec au pouvoir divin et destructeur que Zeus offrit à Athéna, sa fille, déesse de la stratégie guerrière, de la science et des beaux-arts. L’humanité se sert de la science comme justificatif, comme bouclier protégeant des lois et des règles, pour expliquer son manque de morale et de conscience. Il continuera encore comme ça à travers des métaphores sur la guerre et l’antiquité. Malgré tout ce qu’on peut en dire, ce qu’on veut nous faire penser, elles ne sont là que pour servir l’intérêt d’une poignée de personnes et piller les richesses d’un autre état empire.

"Fragiles épopées, de colosses en argile"

Phrase simple en apparence, mais intéressante. La vraie expression est « Colosse aux pieds d’argile » qui signifie que malgré son apparence puissante et imprenable, tout n’est qu’apparence et fragile. La bible dit :

 « O roi, tu regardais, et tu voyais une grande statue; cette statue était immense, et d’une splendeur extraordinaire; elle était debout devant toi, et son aspect était terrible. »

La vision de l’écroulement contient deux leçons : on ne peut construire une œuvre durable sur une base composite et, malgré ce que nous nous croyons être devenus, la prétention et l’orgueil qui nous habitent, nous ne sommes pas maîtres de demain et à la merci de quelque chose d’inattendu qui anéantisse nos illusions. L’humain n’est sûr de lui qu’en apparence, trop influençable, il ne contrôle pas toujours son destin et rien n’est éternel, preuve en est avec les plus grands empires. Il s’en prend beaucoup à la guerre qui n’est en fait qu’une épopée chimérique, une chimère est une créature mythologique qui mélange la queue du dragon avec la tête de lion et le corps de la chèvre.

Impossible donc. Ce qu’il veut dire par extension qu’il est impossible de tout posséder : argent, richesse, territoire… Et que toutes ces guerres ne peuvent en fait qu’amener à une seule finalité : la mort et la destruction. Le chaos est la base de l’harmonie, mais il ne faut pas ignorer les limites. On pense par exemple aux Indiens d’Amérique qui ne s’attendaient pas du tout aux règles de politesse que leur à apporté Christophe Colomb le sanguinaire ainsi que ses hommes. L’homme ne se soucie ni des terres ni des peuples qui l’attaquent, tant que cela va dans son sens.

"J’ai brûlé mes rêves, des temples de briques et de pierres
Hur quelques brèves et fabriqmes prières
"

Une petite pause ici, sans parler de la technique encore incroyable, mais plutôt le fond. On touche ici le thème avec grandeurs et décadences des empires et civilisations. La partie sur les rêves signifie les projets qui s’effondrent et qui ne prennent jamais vie. Une fois les rêves brûlés, ce sont les temples qui s’effondrent en même temps que les civilisations et leurs croyances, beaucoup de ruines en Grèce par exemple. Ensuite, il a beau hurler et prier, donc demander de l’aide aux dieux, mais de façon brève et adresser (probablement) des prières improvisées ou non, rien ne change. Les dieux ont disparu et le chaos a repris le dessus. Comme on peut s’en douter, chez lui, la connaissance est la chose la plus importante et il faut sans cesse se cultiver, tel un sablier qui s’écoule, chaque grain à son importance. Il nous parle aussi du créole qui provient donc du français parlé par les esclaves noirs aux Antilles, en Guyane, en Louisiane et dans l’Océan Indien et a donné naissance à un dialecte propre à chacun.

Il parlera aussi de lui et de ses démons du passé dans ce morceau, ce qui lui a aussi permis de se construire et d’apprendre de ses erreurs. Mais sans jouer le donneur de leçons. Il reviendra avec une métaphore sur le sablier et le temps, ses pensées se dispersent avec le temps comme le sable qui s’écoule… mais n’oublie rien. Il parle aussi de « catharsis » qui en psychologie, est une thérapie qui vise à extérioriser les sentiments pour soigner des traumatismes. Généralement ceux qui critiquent beaucoup pour rabaisser et se mettant en valeur souffrent de complexe d’infériorité et de confiance en soi, ce qui remet en cause leur épanouissement, leur quantité et qualité de bonheur personnellement perçu.

"Tout désert à ses mystères, ses merveilles
Les geysers sont austères et mes déclames les réveillent
Apportent une flamme, une étincelles sur la mèche
Les paroles mortes que je clame étaient celle de Gilgamesh
"

Tout ceci mérite un éclairage, ligne par ligne :
Métaphore qui évoque la complexité de l’homme, sa singularité, ses différences et ce que celles-ci comportent
Geyser fait référence à quelque chose qui jaillit, ce qui pousse donc l’humain à réfléchir, fouiller tout au fond de lui et le faire émerger.
La flamme brûle la mèche et crée une explosion qui vient faire bouger les choses, les pensées peuvent être rigides (austère), la flamme vient contraster et créer cette explosion, l’antithèse.
Gilgamesh est un personnage de la mythologie mésopotamienne qui est le Roi de la ville d’Uruk. Il va courir après l’immortalité pour finalement se rendre compte qu’elle n’existe pas et encouragera à profiter des plaisirs de la vie. Vivre sa vie pleinement et laisser l’imagination s’exprimer.

"Sur du macadam ou là où meurt la mer d’Aral
Là où l’ordre demeure l’âme amère et immorale"

Admirons cette technique indéniable, presque surhumaine. La mer en question se situe en Asie centrale (notez donc le changement d’épopée et de lieu en partant de la Grèce antique du début du couplet vers l’Asie maintenant.). Elle s’est asséchée en 2005 à cause de son détournement qui visait principalement à alimenter la culture du coton. Catastrophe donc initiée par les humains, et il en parle plus haut du fait que les humains se moquent de tout. La mer n’est pas totalement asséchée, un espoir existe, mais il reste très fin et on ne peut que blâmer l’homme pour la destruction de sites naturels exceptionnels. Il fera le lien avec l’amalgame qu’on fait vis-à-vis des religions en plaçant les médias au banc des accusés.

Certains pratiquent comme le livre leur ordonne et d’autres interprètes et il ne veut pas qu’on les mette dans le même sac. Certains partis politiques sont aussi très bons pour diviser. Il fera ensuite un habile jeu de mots en évoquant le vin rouge, rappelons-le, il vient de Bordeaux et la région est aussi réputée pour ses vins de qualité. Il est d’origine tunisienne et parle donc de Carthage situé en Tunisie et de ses guerres avec l’Empire romain.

Le vin rouge peut faire penser au sang versé, mais aussi à ceux que boivent les vainqueurs. Il compare la vie et l’odyssée humaine à une descente où on accumule les griefs qui signifient les reproches, il ne souligne donc que le mauvais côté de l’histoire humaine. L’homme perd peu à peu son statut, il tue tous ses semblables dérangeants, détruit les obstacles et réduit à néant si besoin pour réaliser ses plans. Ceux qui ont pour habitude de se confier ou d’être ivre parlent en premier de leur souci et de leur tristesse, mais parce que c’est la nature humaine. On met les peines sur un piédestal et quand on dévale la pente, c’est ça qui sort en premier. Qui n’aime pas être à plaindre, être pris en considération ?

"Féru de mythologie (7 syllabes), érudit du théorique (7 syllabes)
J’étudie ma rhétorique (7 syllabes), rue de l’étymologie (7 syllabes)
"

Encore une fois, regardez les assonances que j’ai mises en couleur y compris le « y » qui rime avec le « i » ici. Notez bien aussi la composition des lignes, c’est du grand art, placé autant de rimes et de sons sur une phase. On dénombre ainsi 7 syllabes à chaque phrase, tout est donc parfait. Et il y a un sens, car en plus d’être un passionné de mythologie comme démontré dans le morceau tout comme le fait qu’il connaisse bien les théories (donc connaissances) et qui s’opposent donc à la pratique. La rhétorique, c’est l’éloquence, le fait de bien s’exprimer, comme il le prouve et l’étymologie, c’est l’étude de l’origine des mots qui eux proviennent principalement du grec et du latin. Maitre ! Il appuiera encore ensuite le fait qu’il s’est grandement intéressé aux anciennes civilisations, contrées et puissances avant Jésus-Christ et en particulier la Mésopotamie.

"Que l’aurore de demain soit splendeur pour la descendance"

Comment conclure en beauté ce morceau ? On finit donc sur une touche positive, car il espère que le futur sera radieux pour les prochaines générations. Que l’homme redeviendra grand grâce à ses valeurs et s’élèvera de nouveau sans faire couler le sang. Malgré ce texte plutôt réel et triste, la note finale est ce qu’on retiendra comme souvent à la fin est cette note positive.

Merci à Genius et à ses contributeurs pour leur précieuses informations.

Rédigé par Fathis