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[Dossier] Flee Lord, digne héritier de Mobb Deep

Localisation : New York

I / Flee Lord, une trajectoire qui s'inscrit dans l'histoire New-Yorkaise du Hip-Hop

Flee Lord, le rappeur new-yorkais ultra prolifique du Queens, accompagné de son fidèle acolyte le beatmaker Mephux, vient de clôturer son triptyque « Pray For The Evil » avec le dernier volet sorti ce mois-ci, « Pray For The Evil III ». Rappeur mais aussi producteur de talent, Flee Lord n’est autre que l’ancien protégé de Prodigy (« Rest in Power my Don ! », goulée de spiritueux au sol… DAMN !) des légendaires Mobb Deep, auxquels il a notamment rendu hommage en nommant son crew et label « Lord Mobb ». 

En effet, de son propre aveu, la philosophie sur laquelle il a construit son label s’inscrit dans la droite lignée de celle des Infamous. Un projet fondé sur le long terme, avec de forts liens fraternels entre ses membres pour, comme il le dit lui-même :

« Bénir le nom de Prodigy auprès du Seigneur pour la voie qu’il lui a montré » (citation extraite de son interview chez Mike Powers accessible sur YouTube en anglais).

Il partage d’ailleurs parfois des anecdotes de ses moments passés avec feu Prodigy, qu’il a connu tout jeune, et qui avait pressenti le diamant brut en Flee Lord.

Il raconte notamment dans cette même interview une anecdote bien croustillante autour de sa rencontre avec Mobb Deep, et qui scellera plus particulièrement sa relation privilégiée avec Prodigy. Alors à peine âgé de 18 ou 19 ans, un ami lui propose de venir assister au tournage d’un clip de Mobb Deep en feat avec Saigon, un rappeur de Brooklyn, qui se tenait alors dans le coin. Provenant du même quartier que lui, le Queens, Mobb Deep était tout simplement le groupe préféré de Flee Lord à cette époque. L’occasion ne se rate pas !

Le clip était tourné par l’équipe de Saigon, et lors d’une pause durant cette journée, une discussion entre lui et Prodigy monte dans les tours, et Saigon, entouré de ses Hustlers, décide de mettre un coup de pression à Pee, dans le cadre, apparemment, d’une sombre affaire d’argent autour d’une ligne de vêtements. Flee, alors présent, ne supporte pas de voir son rappeur préféré si mal mené, et, du haut de son inconscience de jeune gangsta’ pubère et boutonneux (de son propre aveu, il n’est absolument pas fier d’avoir fait cela), se muni de son Desert Eagle 50 qu’il avait sur lui pour retourner la situation et calmer Saigon et son équipe. Et cela semble avoir fonctionné, vue la relation qui s’est construite avec Prodigy par la suite.

Avec le recul, lorsqu’il en parle, il a tout à fait conscience qu’il aurait pu lui-même se faire allumer si les gars en face avaient été eux aussi enfouraillés, de plus, la police tournait dans le coin après avoir repéré le tournage du clip.  Ainsi, Flee aurait tout aussi bien pu se faire arrêter, et de ce qu’il raconte de son passé, il avait bien des choses à se reprocher. Mais indépendamment de tout cela, cette situation a impressionné Prodigy qui a tout naturellement décidé de prendre Flee Lord sous son aile et d’en faire son véritable petit protégé. C’est ainsi donc, d’après Flee lui-même, la manière dont s’est faite sa rencontre légendaire avec Prodigy et plus largement le groupe Mobb Deep. L’humilité avec laquelle il raconte cette histoire la crédibilise d’autant plus… Un vrai moment de l’Histoire du rap !

Et tout fin connaisseur de Mobb Deep sait à quel point les armes étaient importantes dans l’existence de Prodigy et sait le rapport qu’il entretenait avec ces dernières… Ce qui lui aura d’ailleurs coûté cher vis-à-vis de la Justice américaine : de 2007 à 2011, il est incarcéré à Rikers Island pour un port illégal d’arme à feu. Pour la petite anecdote, il profitera de ce temps passé derrière les barreaux pour écrire son autobiographie mais aussi un petit livre de recettes de cuisine… réalisables en cellule en prison !

Mobb Deep, The Infamous. Flee Lord marche dans leurs pas en digne héritier du Queens.

II / Lord Mobb, un collectif performant et de qualité

Actif sur la scène boombap, hardcore et grimey new-yorkaise depuis des années, Flee Lord s’est construit une solide notoriété en se forgeant une identité musicale singulière grâce, d’une part à sa voix grave et cassée unique, et de l’autre, son flow bien nerveux et violent. Il constitue alors au fur et à mesure son collectif « Lord Mobb » et s’entoure entre autre du beat maker Mephux, mais aussi de rappeurs de qualité tels que Eto, Zaza God, G4JAG (à noter la présence de Mephux à la production de deux de ses albums solos, « Progressions » en 2020, et « Regressions » en 2021, sous le label « Lord Mobb »), Aaqil Ali, Phonk P ou encore T.F., qui par ailleurs vient lui aussi de sortir un album sous le label « Lord Mobb » intitulé « Blame Kansas » produit aussi par Mephux, et que je vous conseille vivement !

Flee Lord confesse lui-même dans ses interviews qu’il mise beaucoup sur certains de ses poulains comme T.F ou Phonk P auxquels il apporte une attention toute particulière dans l’accompagnement musical afin de lancer leur carrière et développer la recette de la réussite à la sauce Lord Mobb. Avec Eto, ils constituent donc la vitrine du label mais Flee n’hésite pas à mettre en avant ses artistes, dans l’idée de faire primer le collectif sur l’individu, comme ont voulu le faire les Mobb Deep avec leur label Infamous. Son album « Loyalty or Death Presents: Rnoe », sur lequel il invite de jeunes protégés, ou encore la compilation énorme « Flee Lord And Lord Mobb Vol. 1 » qui fait partie des meilleurs projets du collectif militent totalement en ce sens.

Eto (à gauche), Flee Lord (à droite), les deux « figures » principales du label Lord Mobb.

Et ce détail est fondamental pour comprendre à la fois l’importance d’Infamous dans la trajectoire de Flee et de ses projets, mais aussi plus largement, pour saisir toute la subtilité de l’état d’esprit et de la philosophie dans laquelle s’inscrit cet artiste : il est un père de famille responsable et altruiste qui se montre toujours très concerné par les questions familiales dans ses textes ou interviews, qu’il s’agisse de sa famille de sang ou de sa famille de son. Or, on connaît l’importance de l’esprit communautaire dans le multiculturalisme anglo-saxon, contrairement à l’esprit universaliste français issu des Lumières, on accepte le fait que la communauté prime toujours sur l’individu, aussi lourd que ce soit à porter…

Flee Lord a ainsi vite compris que ce qui peut permettre d’élever autant sa conscience que ses projets, c’est certes l’entourage, l’amour, le respect et le travail, mais sans liant, cela n’a pas de sens, et cette plus-value ne peut être apportée que par une certaine émulation au sein du collectif. Cette émulation, il l’a sentie, de son propre aveu, en travaillant certes avec Infamous, mais aussi plus récemment avec Griselda, qui véhicule une énergie et un soutien incroyable auprès des artistes avec lesquels ils collaborent, que ce soit dans la musique, la peinture ou la mode, et la recette fonctionne !

Quand on écoute les diverses interviews de Flee Lord, une date revient régulièrement, l’année 2017, qui serait, d’après lui, l’année durant laquelle il a finalement trouvé son identité musicale et sa voix. Et la rencontre et le soutien du crew Griselda n’y est pas pour rien. Son style si reconnaissable parmi tant d’autres lui a demandé un travail de fond, le poussant à sortir de sa zone de confort, et à s’inscrire dans une recherche et une évolution permanente, se nourrissant de l’expérience et des rencontres qualitatives qu’il a pu faire durant son cheminement personnel, sa carrière.

Il le dit lui-même, Griselda l’a autant porté que Mobb Deep dans son évolution, sa construction personnelle et artistique, mais aussi dans sa capacité à sortir des morceaux toujours plus exigeants, et cela en l’intégrant comme un membre à part entière du collectif. Les rencontres qui ont jalonné la carrière de Flee Lord l’ont inspiré et ont contribué à faire de lui l’artiste qu’il est devenu. Et c’est tout naturellement qu’aujourd’hui, avec son label, il souhaite faire profiter aux siens de cette expérience, cette émulation, cette énergie, cette complémentarité rendue possible grâce au collectif, tant nécessaire pour évoluer que se perfectionner, et dont il a lui-même pu jouir par le passé. Boucler des boucles en rendant à la vie ce qu’elle nous a donné. Quelle belle démarche, responsable, noble et altruiste, et en ce sens on ne s’inquiète pas trop pour la suite de la trajectoire de Flee Lord et de son label Lord Mobb. Force est de constater que les qualités humaines de Flee Lord apportent une
autre tonalité à sa musique et nous force à l’interpréter autrement, ce qui valorise d’autant plus tout ce qu’il entreprend.

III / LA DISCOGRAPHIE DE FLEE LORD ET LORD MOBB

En termes de sorties, Flee Lord est très productif, il a donc régulièrement collaboré avec Griselda, mais sa discographie est impressionnante, et elle parle pour lui ! Partons pour un tour d’horizon de la carrière de Flee Lord. Attention, ici je ne me concentrerai que sur les projets qui m’ont marqué, sans respecter la chronologie, spontanéité oblige les amis ! Il faudrait une chronique exclusivement dédiée à cela pour en faire le tour complet et précis, tellement il y en a !

Au-delà encore de la trilogie dont est extrait ce troisième volet de « Pray For The Evil » et cette collaboration avec Mephux, Flee Lord possède, en effet, un magnifique catalogue musical, avec des collaborations de légende, autant d’un point de vue des rappeurs dont il s’entoure, autant issus de l’ancienne que de la nouvelle école, mais aussi les beat makers et producteurs qu’il choisit. Une chose est sûre, Flee Lord a un plan, il sait où il veut aller et où il va, et la manière d’y arriver… Rien n’est laissé au hasard chez cet artiste et sa trajectoire, son histoire autant que sa discographie le démontrent.

Later Is Now, 2019

En 2019, il sort le projet « Later Is Now », qui est une véritable collection de bangers, et on
comprend de suite pourquoi dès lors qu’on se penche sur les beat makers présents sur ce projet. Avec la participation du DJ et producteur emblématique du crew Griselda, Daringer, et de 38Spesh du crew Trust entre autres, la collaboration est au niveau des espérances et des attentes. A écouter absolument !

Get Greater Later, 2019

A noter, du même acabit, dans la même dynamique, le très bon « Gets Greater Later », sorti aussi en 2019, et sur lequel s’enchainent rappeurs et producteurs de renom, tels que Dj Muggs, Pete Rock ou encore Conway the Machine, Benny the Butcher ou El Camino chez les rappeurs. Les liens avec le collectif Griselda sont donc factuellement indéniables !

Delgado (Deluxe), 2021 (Flee Lord & Roc Marciano)

Roc Marciano lui a, quant à lui, produit un magnifique album l’année dernière intitulé « Delgado », dont la version deluxe propose quatre titres inédits qui sont tous de solides bangers. Mais il a collaboré aussi avec GodBlessBeatz avec qui il nous gratifie du magnifique double album « Loyalty or Death: Lord Talk » dont le premier volet sorti en 2017 sera suivi d’un second opus sorti il y a quelques mois, en décembre 2021.

Rammellzee , 2021 (Flee Lord X Dj Muggs), Soul Assassain Record

A noter aussi la collaboration entre Flee Lord et DJ Muggs le légendaire créateur du label Soul Assassin et principal beat maker des légendaires Cypress Hill. Ils sortent en avril 2021 le succulent « Hammellzee » sorti non pas chez Lord Mobb mais chez Soul Assassin Records. On retrouve la patte unique de DJ Muggs avec des compositions toujours aussi sombres et grimey, dont il a lui seul le secret. A noter qu’« Rammellzee » fait partie aussi des projets les plus sombres mais aussi des plus aboutis et structurés de Flee Lord. Soul Assassin Records effect ?

Flee Lord, « In The Name Of Prodigy », album, Décembre 2020, hommage à Prodigy, Mobb Deep.

Son album en hommage à Prodigy est aussi une valeur sûre, « In The Name Of Prodigy », sorti fin 2019 (on peut dire même début 2020 car le projet sort fin décembre et ouvre la voie à une année prolifique comme nous allons le voir ici. « In The Name Of Prodigy » est entièrement composé et produit par Havoc, l’acolyte et second couteau de Pee dans le groupe Mobb Deep et on y retrouve entre autres la fille de Prodigy, Santana Fox

Cependant, pour la petite anecdote, peu de temps après la sortie du projet, elle enregistre un Diss’ contre Flee Lord sous la forme d’une chanson, Santana reprochant à Flee de faire du name dropping avec la notoriété de son père et de se tailler la part du lion sur les retours de l’album. 

En effet, l’album a reçu un excellent accueil par la critique mais aussi par le public. On peut comprendre que cela ait pu susciter des attentes et des déceptions, et par manque d’informations je me garderais bien d’émettre quelque critique que ce soit vis-à-vis de l’un ou de l’autre des deux protagonistes de cette histoire, mais ça reste bien dirt…

D’après les sources de l’entourage des deux concernés, Flee Lord avait proposé une somme de 50 k à Santana pour son feat sur l’album. Mais 50 k, même si cela peut nous paraître, à nous, simples mortels, une grosse somme, apparemment elle ne l’était pas assez pour Santana, alors même qu’elle n’avait encore, à ce moment-là, de notoriété que sa filiation à Prodigy… A noter que la réaction de Flee fut de suite de proposer de reconsidérer l’arrangement initial entre eux. Une accusation qui semble assez osée quand on connait l’humilité et le respect que cultive Flee pour P’. Lui-même est très réservé sur son passé avec Prodigy car, justement, semble-t-il, il souhaite se construire par lui-même, et certainement pas en usurpant le travail et la légende d’un autre. 

En effet, on remarque cette distance à chaque fois qu’en interview on l’interroge là-dessus, il a du mal à s’épancher, mais cela lui arrive, comme dans cette fameuse interview chez Mike Powers où il raconte sa rencontre avec les Mobb Deep. Cette histoire de Diss’ avec la fille de Prodigy semble par ailleurs s’être réglée car Santana Fox semble avoir effacé ses messages d’attaque vis-à-vis de Flee sur ses réseaux sociaux. On retrouve aussi sur ce projet particulièrement réussi Ransom, Busta Rhymes, Raekwon, Eto, Havoc et Conway the Machine ! Un line-Up de rêve pour un album qui est à la hauteur des attentes.

Comment ne pas citer non plus le projet en commun avec le légendaire beat maker Pete Rock. L’album s’intitule « The People’s Champ » sorti l’année suivante, en 2020, un album de qualité qui contribue grandement à bâtir la légende de Flee Lord et du label « Lord Mobb ». Avec l’album « In The Name Of Prodidy », ce projet aura offert une immense visibilité et une immense reconnaissance du milieu et du public, et ce, au niveau international. Un projet efficace mais court, beaucoup trop court pour tout être sensible aux légendes du milieu ! On espère fortement que cette collaboration se refera dans le futur, car elle est totalement réussie.

Mandatory Respect, 2020. Flee Lord x Chase Fetti

A noter aussi l’E.P commun avec le beat maker Chase Fetti, « Mandatory Respect », sorti en 2020 aussi… Un projet aussi court qu’efficace, à écouter absolument, et qui fait partie des projets les plus aboutis de Flee Lord, sa voix nerveuse se marie parfaitement avec les beats lourds de Fetti. Pour conclure sur les projets les plus marquants de Flee Lord, on note que l’année 2020, comme on peut le constater, a été aussi prolifique que qualitative : Flee enchaîne les projets mois après mois et surprend tout le monde. 2020 fut l’année de Flee Lord, durant laquelle il a marqué les esprits avec ses deux premiers volets de « Pray For The Evil », son projet en la mémoire de Prodigy, celui sorti avec Pete Rock et l’EP avec Chase Fetti.

Et les collaborations exclusives avec d’autres artistes rappeurs de renom continuent : avec Grahf le chanteur de l’écurie B.S.F sur « Dirty Restaurant », ou avec 38 Spesh à la tête du label Trust avec qui il collabore sur le double album « Loyalty And Trust », ou encore avec Eto sur le diptyque « Rocamerikkka » … Mais la discographie de Flee Lord est encore plus étendue que cela : « GETS GREATER LATER » sorti en 2019, propose autant de feats séduisants tels que Benny the Butcher, Eto, El Camino, Keisha Plum, FastLife, et des beat makers comme Dj Muggs, GodBlessBeatz, Pete Rock ou encore V Don. Autant de noms qui militent en faveur de Flee Lord, qui montrent son niveau de travail et d’exigence, sa capacité à bien choisir ses collaborateurs afin que la qualité soit toujours au rendez-vous. « Flee Lord never disapoint ! »

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Rocamerikkkka, 2019. Flee Lord x Eto
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Loyalty And Trust, 2019. Flee Lord x 38 Spesh

P.S : Cet article sert d’introduction de la chronique à venir : Flee Lord X Mephux – Pray For Evil III

Rédigé par The Ranking Sarazin