HipHop sans frontières

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[Chronique] E-Life - Eleven [Pays-Bas]

01. It’s Been A Long…
02. Loot
03. Grasshoppin’
04. More Days To Come feat Karima Lemghari
05. Depression
06. Live From 205th
07. Gunz & Ammo feat U-Niq, The Anonymous, Sonny D & Rollarocka
08. I Wonder Why
09. Dolo feat Kacy Hodge
10. Ganzalude
11. Eleven
12. Mirror Talk
13. Game feat Manushka
14. Childsplay
15. Tamisha feat The Anonymous & Sonny D
16. Stacked With Honors feat Natasha Slagtand
17. Life
18. In Doubt ’99 feat Postmen
19. Peep This…
 

Localisation : Rotterdam, Pays-Bas

Année : 1999

Je ne connaissais pas du tout cet album, je suis tombé dessus par chance en réalité. J’avais déjà écouté du rap hollandais (un dossier est à venir autour de cette scène) et comme ici ça rappe en anglais. J’avais déjà entendu dans leur langue d’origine, j’ai trouvé ça assez hardcore en général ou alors plutôt jazzy. Le pays à toujours été une source du Hip Hop en Europe (via le graff notamment) et a su se faire une place. Mais cet artiste décide de nous parler d’autre chose, et il diffère de ce que j’ai pu entendre jusque-là.

E-Life

Il vient de Rotterdam qui est la plus grande ville du pays après la capitale Amsterdam. Elle possède le huitième port mondial et le premier Européen. On peut la comparer à Marseille je dirais, elle est plus grande mais moins peuplée. Second pole hip hop du pays, on peut citer des artistes comme Winne, Feis Ecktuh (décédé le 1er janvier 2019), Hef, Postmen
 
Comme beaucoup il a commencé dans un groupe, le sien était Dope Syndicate qu’il formait avec Dj Raw Deal. Son pote part pour les E.U en 1995, il continue donc seul. Il ne se décourage pas et balance en 1996 son premier single ‘Stacked With Honors‘ qui marche en Europe mais pas assez pour lui ouvrir la porte des grands groupes.

Le titre sera nommé en 1997 dans la catégorie « meilleure chanson hip hop »,  aux TMF Awards qui est une cérémonie pour des remises de prix en Belgique. Une bonne première car il fera les premières parties d’artistes comme LL Cool J, Snoop Dogg, Ice Cube, le Wu-Tang Clan, Public Enemy, Blackstreet ou encore Run DMC.

Eleven et l’ascension au sommet

"More Days To Come", le single parfait

Tout ceci le pousse à logiquement continuer et de sortir sa pépite « More Days To Come » en 1998. Il tient son single ! Il atteindra la sixième place dans le top 40 des Pays-Bas. Il ne fera jamais mieux. Faut dire que ce single est tout bonnement parfait, la production il a lui-même assuré. Il est multi-casquettes et il le prouve ici, un piano très profond, les notes nous emportent, l’inspiration des notes fait penser à la nuit. C’est prononcé comme des grosses gouttes d’eau qui viennent tomber sur une surface liquide. Il y a une énorme puissance dans ce morceau, comme si les notes de musique puisaient directement dans la terre. Plus les notes sont graves et lourdes plus elles ressemblent à la voix de la terre ou des enfers, celle qui se trouvent en dessous. Plus elles sont aiguës et divines plus elles emmènent vers le haut et filtrent avec le ciel et le divin.
 
Comment tout ceci est-ce possible ? Déjà le sample : Luther Vandross ‘Never Too Much’. Assez incroyable d’avoir samplé un tel morceau qui est dansant et funky à souhait pour en faire un morceau qui pue la rue et les années 90′. On va décortiquer le refrain ensemble :
[Never Too Much]
« I can’t fool myself I don’t want nobody else to ever love me
You are my shinin’ star, my guiding light, my love fantasy
There’s not a minute, hour, day or night that I don’t love you
You’re at the top of my list ’cause I’m always thinkin’ of you« 
[More Days To Come]
« You can’t keep fooling yourself, can’t nobody ever test me 
I am your guiding star, your shining light you wish you could be
There’s not a minute, hour, day or night that you don’t want it
To be on top of this game, it ain’t easy, I’ll be on it »
Vous avez ici les deux refrains, le premier c’est l’original, le second celui interprété par la magnifique voix de  Karima Lemghari, une chanteuse néerlandaise. On se rend bien compte qu’elle a repris le rythme du refrain, modifier les textes, les à adapter et les a ralenti pour arriver à ce résultat. Le sample n’est pas du tout évident à capter mais il existe bien. Le piano lui ne provient pas de là. La chanteuse elle était déjà connu du milieu car elle avait collaboré avec d’autres rappeurs.
 
Le clip est en noir et blanc et cumule plus de 550 000 vues aujourd’hui, ce qui est très éloquent. Le refrain dit en gros que tu ne peux pas te mentir, personne ne peut me tester. Je suis celui que tu aurais voulu être, tu ne voudrais pas rater une occasion pour être au top du rap game, pas facile j’avoue. Elle le chante vraiment avec tout son cœur et ça se sent, tout le long du morceau elle accompagne le jeune mc. D’ailleurs dans le live que je vous ai mis on la voit en train de tuer le morceau sur scène, rien ne la perturbe. Sa performance est assez incroyable, sa voix est très reconnu dans son pays d’origine. Karima la chanteuse ressemble beaucoup à ce que peut faire Jill Scott, c’est dire le niveau.
Ces couplets sont purement de l’égo trip, chose qu’il maitrise très bien, ses rimes sont impeccables et très bien placées sur la rythmique. Il a un flow qui lui est propre et il le maitrise bien faut avouer.
On peut souligner ces quelques lignes :
– « Outstand through time, when time just went »
(En suspens à travers le temps alors que le temps ne fait que passer).
 
Il veut dire qu’il n’obéit pas au code du temps et qu’il continuera d’exister pour l’éternité (idée qu’il reprendra plus tard) alors que personne en vrai ne peut contrôler le temps. Les artistes sont de passage, pas lui. On dit souvent en anglais « Time waits for no man ».
 
– « While you ask « Who’s that? » the sweat is drippin’ of ya head
Sure it get‘s wet, bloodred from bloodshed »
(« Pendant que vous demandez « Qui est-ce? » la sueur coule de ta tête 
Sûr que c’est trempé, ensanglanté)

 

« Gun and the ammo, freeze emcee’s beneath zero »
(Armes à feu et munitions gèlent les Mc sous le 0)
 
Rien ne peut être plus froid que le zéro absolu, c’est-à-dire -273,15° Celsius ou 0 Kelvin. C’est l’un des piliers de la physique, qui correspond à l’état des particules au niveau d’énergie minimale. Cela se traduit par une totale immobilité au sens classique.
 
« I’m like this world turning kid; ain’t no stopping me »
(Je suis semblable au monde qui tourne gamin, tu ne peux pas me stopper)
En l’écoutant, y a logiquement plus de sens mais ça donne une idée. Il a une technique de rimes assez similaire à Ill des X-Men où il reprend le dernier mot de la phrase précédente pour le faire rimer avec le premier mot de la phrase qui suit. Ensuite son flow fait la différence. À la fin du premier couplet on entend :
« Since day one, imagine there be more days to come 
Extraordinary, we very legendary to some »
(Imagine depuis le début, d’autres jours à venir
C’est extraordinaire, nous sommes légendaires pour certains)

C’est The Anonymous Mis qui rappe ça, lui même membre des Postmen, un groupe de reggae / rap hollandais. Dans le morceau il dira « Mis c’est nous qui avons initié ça » et il dit dans sa biographie qu’il a ouvert des portes pour le hip hop dans son pays. Et là ce qu’il veut dire je pense en s’adressant directement à E, c’est plutôt « Regarde mec, ou nous en sommes aujourd’hui ! T’aurai imaginer faire d’autres morceaux comme « More Days To Come » ? C’est ouf ce qu’on fait ! Les gens vont se rappeler de nous » et il a raison !
 
Voilà tout ce que je peux dire sur ce morceau de génie, vraiment une perle de l’underground et une tuerie à avoir absolument dans sa playlist.
 
Il va ensuite balancer deux autres singles « I Wonder Why » et « In Doubt ’99 » deux sons produits par son pote The Anonymous Mis.

Le reste de l'album là dedans ?

Parlons du reste de l’album maintenant et voyons voir ce qu’il contient. Le premier morceau « It’s A Been A Long » fait office d’introduction, on entend des passages sur scène sur une très belle mélodie qui laisse bien respirer tous les instruments parfaitement en harmonie. On regrette juste le fait qu’il ne rappe seulement sur la partie la plus plate du morceau.
 
« The Loot » est le premier morceau qu’il produit sur son propre morceau, il s’écoute bien et c’est plus un son destiné à la rue.
« To all my niggers in the house who are making that loot
To all my bitches in the house who be taking that loot
To all my brothers in the place who making ends meet
To all my ladies in the place who support their own needs »

Dj Grazzhoppa, les doigts qui valent de l'or

Dj Grazzhoppa fait son entrée pour un court interlude mais d’une qualité extraordinaire. Il place un extrait du morceau « More Days Ahead » qui est en fait un remix de son classique « More Days To Come« , les couplets sont exactement les mêmes, la prod est totalement différente par contre, elle est plus dans la nostalgie, elle procure autre chose. Le morceau est seulement sorti en single, incroyable qu’il ne se retrouve pas sur l’album tant il est bon. Le refrain de la magnifique voix de Karima Lemghari est remplacé ici par des scratches tous issues de son morceau « Stacked With Honors« . 
 
C’est assez impressionnant car les scratchs sont de tels qualités qu’il ne font pas oublier la voix de la chanteuse ! J’ai vu des Dj’s sur scène, écouter les plus grands mais franchement je ne sais pas si j’ai déjà entendu un meilleur refrain scratché. C’est extrêmement précis, son flow colle parfaitement à sa prod et le Dj régale jusqu’à la fin !
Qui est ce Dj originaire de Belgique ? Champion DMC européen en qui est une complétion de Dj, c’était en 1991. Il a gagné un autre concours en Belgique 1998 et a terminé 3ème dans un autre championnat mondial en 98 aussi. Il va lancer un projet sur un album qui réunit 6 DJ’s, un saxophone et un micro. Plus tard ils rajouteront 6 autres Dj’s dans ce projet nommé « Dj Grazzhoppa’s Dj Bigband« . Ils lanceront une grosse tournée nommée « Around The World In 80 Beats« . Pour finir il nous vient de Gand en Belgique. Beaucoup de projets à son actif, tout est ici : https://djgrazzhoppa.bandcamp.com/
Le morceau ‘Depression‘ est plutôt un son pour te dire vas-y va de l’avant, moi j’ai pas eu de père mais je m’en suis sorti. Faut le voir comme ça. Ensuite « I Wonder Why » sera un single à part entière bien que très bon, il ne continuera pas à s’engouffrer dans les charts comme son précurseur. Bien que Manushka prête honorablement sa voix, cela ne suffira pas. Il se pose des questions habituelles dedans, rien de bien particulier malgré un bon morceau.
 
Le morceau ‘Eleven’ qui porte donc le nom de l’album et commence par une introduction où il explique ce qu’il va faire. Au tout début c’est un piano plutôt joyeux et d’un coup, le beat s’emballe et devient plus sombre et les rimes fusent. Il a 11 balles à tirer et va les diriger contre : Politiciens, flics, pouf’, haters, une pour les innocents qui sont morts pour rien, pour son père, tous les rappeurs bidons… Et la dernière est pour lui, il la garde pour les moments où il appelle pour de l’aide et que personne ne peut l’aider, il ferme le son en tirant une balle.
 
Il revient ensuite avec le morceau le plus commercial de l’album ‘The Game‘ avec encore une fois Manushka, jamais sorti en single, c’est dommage. Le potentiel de vente aurait été décuplé avec ce son je pense.
On retrouve logiquement son tout premier single ‘Stacked With Honors‘ ou plutôt un remix et on change d’atmosphère, la production est plus datée, plus marquée et on le ressent clairement. On se passera facilement de ce son malgré ses bonnes punchlines.
 
Il se rattrape bien car le morceau qui suit est ‘Life‘ qui est une belle réussite avec un refrain signé par un chanteur non crédité qui fait bien le taf. E-Life lui est toujours au top dans ses performances. Une boucle de piano et un peu de guitare et l’affaire est dans le sac.
 
In Doubt ’99‘ est le dernier single de l’album clairement orienté sur un rythme reggae, son pote The Anonymous Mis fait logiquement le refrain en reggae.
 
L’album prend fin avec l’outro ‘Peep This‘ dans lequel il dit qu’il est important de prendre conscience de son talent, c’est tout ce qu’on a et si on peut diffuser la culture aux gens… Alors let’s go !
 
Mention spéciale au morceau destiné à leurs enfants : ‘Tamisha‘ où l’on retrouve Sonny D, Anonymous Mis & E-Life qui rappent pour leur enfant, eux qui n’ont pas eu de père ne veulent pas que cela se reproduise. L’album est parsemé d’interlude comme le voulait la tradition de l’époque, certains sont intéressants.
 
Le reste de sa carrière s’est fait loin du hip hop, il a sorti deux autres très bon singles ‘K.I.T.A. (Bring It On)’ et ‘Watch me’ sur son album E=MC² en 2002. Bien que tout soit bon, il a préféré changer de voie, il est devenu Dj sur une radio avant de se tourner vers la musique électronique où il tourne avec un Dj. Toujours au micro mais le style diffère. En tapant son nom sur YouTube, le rap arrivera en premier et tant mieux. Peace to the real hip hop… 
 
Bonus :

Rédigé par Fathis