Hip Hop Sans Frontières

[Graffiti] Mo Armen

Localisation : La Réunion

Mo Armen

Mo Armen, un nom que vous ne connaissez peut-être pas mais qui est celui d’une graffeuse talentueuse qui a démarré le graff en 1997. En pleine effervescence du mouvement hip-hop, le graff est pour elle un appel fort, un geste à transformer une partie de ses colères d’adolescente en autre chose

"À leur donner une forme recevable, moins intestine, que ce soit à travers l'écriture, la danse ou le tag."

Mais pas seulement, c’est aussi une manière pour elle de lutter contre l’isolement et de trouver des pairs. 

"Cette culture hip hop s'est métissée à un niveau extraordinaire, et nous à permis de nous ouvrir au fur et à mesure qu'on osait aller vers l'autre, vers la nouveauté."

Les années passent et Mo Armen continue à s’intéresser aux murs et aux bombes aérosol tout en s’ouvrant à d’autres médiums comme la peinture à l’huile et les carnets de voyages. Entre ces différents formats, elle fera des aller-retours fréquents. Désormais, elle souhaite travailler encore plus sur l’aspect technique du street art en investissant les phénomènes de superposition et de transparences souvent propres à la peinture à l’huile.

Une matérialité spontanée

Elle insiste sur l’aspect système D du street art qui rend cette pratique si spontanée et si puissante à la fois : 
 

"Quand on était jeunes, au début, nous n'avions pas de thunes. On se débrouillait pour trouver du cirage qui s'utilisait un peu comme un poska, et nous allions peindre dans les blockhaus. Mais nous utilisions aussi de la terre argileuse parfois! Plus tard au lycée, le proviseur était partisan de laisser aux gens comme nous des responsabilités, et nous avions un foyer avec des murs et des bombes à disposition. C'est là qu'un ami graffeur m'a enseigné les rudiments, tels que je les enseigne aujourd'hui aux jeunes quand j'anime des ateliers. Une partie de la forme n'a pas changé, c'est un peu ritualisé !

Ce qui a changé pour elle aujourd’hui, c’est le type de surface qui s’est agrandie avec le temps et son public souvent scolaire. Elle répond à des commandes bien précises. Une chose, elle, n’a jamais changé. Elle passe toujours du temps à la conception de chaque projet :

" C'est un métier, il faut tenir les délais, accepter de travailler des heures pour la conception de projets qui n'aboutissent pas toujours, réfléchir à la part que vont prendre des élèves ou d'autres publics dans la réalisation d'une fresque tout en gardant de la créativité selon la hauteur, la largeur du mur, l'exposition, gérer la réalisation en fonction de la météo aussi ! "

Évolution jusqu'à aujourd'hui ?

"Je me suis beaucoup affirmée. J'ai aussi pas mal travaillé le portrait. Maintenant j'aimerais apporter plus de sens. Être plus concrète. Parler de religion mais de manière à ce qu'on puisse s'y reconnaître, avec les codes d'aujourd'hui, les problématiques de pauvreté, de crises climatiques, de guerre. Un point de vue spirituel "

Dans un monde qui vit une crise de sens, qui rend la mort et ce qui l’entoure taboue, qui fabrique de l’injustice et de l’égoïsme de manière exponentielle, selon elle.

"Tout nous pousse à nous chercher nous-mêmes partout tout le temps, quitte à devenir hyper exigeants, hyper anxieux, hyper malheureux".

Des figures féminines iconiques

"Je pense que cette obsession pour les visages féminins a longtemps été une manière narcissique de sentir que j'existais. Leur donner une dimension dans l'espace public car elles sont femmes parce que je suis femme. Et parce que je suis là, même si on ne me voit pas, même si je suis presque invisible, ce qui est un sentiment partagée par beaucoup de femmes. Je veux créer un pont entre une part de moi, quelque chose qui nous dépasse et l'espoir en un commun plus profond que notre racine humaine" .

Elle entrevoit le visage humain comme une voix vers l’autre. Quelque chose qui nous dépasse dans chaque visage, nous renvoyant à la création. Des paroles profondes de Mo Armen qui font de la figure féminine un motif incontournable de son art. Elle souhaite faire passer un message à travers ce qu’un visage peut dégager. L’autre, celui ou celle qui regarde son œuvre fait donc partie intégrante du processus, une rencontre qu’elle espère.

Aujourd’hui, Mo Armen aimerait dessiner plus d’hommes et de personnages de plein pied et même illustrer de nouvelles histoires. Elle adoptera alors un autre point de vue. Même si les injustices sont toujours aussi alarmantes, elle dessine aussi pour plus de paix.

"J'ai travaillé dans une ville réunionnaise sur une sorte de commande en partenariat avec mairie-lycée-église. Déjà l'idée m'a réjouit! J'aime cette possibilité réunionnaise de bonne entente institutionnelle, c'est assez souple. Comment mettre tout ce petit monde d'accord, ne brusquer personne sans être lisse, ne pas trahir non plus mes aspirations? "

Des questions légitimes qui montre la profondeur réflexive de son street-art. Actuellement, elle est en train de finir une fresque sur la sœur Augustine :

"Une personne dévouée aux autres toute sa vie. Elle venait d'un milieu bourgeois parisien et n'hésitait pas à se déguiser pour aller faire le ménage dans les maisons des gens de sa classe sociale, afin de toujours gagner de quoi donner aux familles derrière le périph".

Ce projet d’envergure qu’elle a peint dans son village d’enfance, en Bretagne, en écho à son appel à plus de justice, a attiré l’attention. Ils sont nombreux à avoir posé des questions sur cette œuvre. Son art est donc un moyen de protester et de faire entendre les voix des victimes de violences.

La place de la femme dans le graffiti

"C'est un milieu qui comporte beaucoup de belles personnes, mais malgré tout, les traits qui dominent sont souvent un esprit clanique d'égotrip ne laissant pas vraiment la place à celui qui ne sait pas s'imposer, qui ne cherche pas à dominer. Je ne veux ni juger les gens, ni leurs raisons, mais comme partout ailleurs, notre monde est en crise. Ce monde du graffiti, comme celui de l'art en général, doit aussi se laisser transformer radicalement. "

Avec les scandales qui affluent dans le monde de la culture en ce moment, on voit qu’aimer une œuvre ne peut plus vraiment être séparé du contexte de création.

"Je pense profondément que l'art qui n'a comme boussole que les lubies aléatoires du marché libéral doit s'éteindre. Quelque chose de plus profond et de bien plus grand demande à naître ".

" Ce n'est pas que les femmes qui sont pour moi un modèle mais j'aime bien l'idée du care, qui s'applique à tous et toutes"

Selon elle, il est du devoir de chacun de dénoncer l’injustice de manière générale. Surtout quand on dispose d’une tribune publique quelle qu’elle soit.

" Le street-art est donc une belle occasion pour moi de dire stop ! "

Moments marquants

1997 – Débuts dans la culture hip‑hop : premiers tags (avec cirage et spray) et personnages (persos) au format graffiti, sur murs lisses et blockhaus. Un engagement dans une scène alors encore marginale
2006 – Obtention du diplôme des Beaux‑Arts : cette période marque aussi un travail en atelier, à l’huile, sur des thèmes introspectifs et baroques
Depuis 2006 – Parcours itinérant : Mo Armen sillonne l’Europe puis s’installe à La Réunion. Elle anime ateliers de graff auprès de publics fragiles : femmes victimes de violences, jeunes incarcérés, migrants, enfants, familles défavorisées
2017 – Professionnelle à part entière : elle vit de commandes privées et publiques, organise des events artistiques (“jams”), notamment à La Réunion
2–21 février 2020 – Collaboration avec l’artiste Yren : réalisation d’une fresque commune sur une citerne de village, née d’une rencontre improbable via internet
15–21 décembre 2021 – Projet Tropicity au Port (La Réunion) : en collectif avec cinq autres street artistes locaux, création murale sur immeubles et animation d’ateliers pour les jeunes afin de promouvoir valeurs citoyennes et liens sociaux
22 février 2024 – Exposition Run Colorz : oeuvre personnelle visible sur Flickr, exprimant toute la force picturale de son style, entre abstraction, couleur et engagement

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