Hip Hop Sans Frontières

[Interview] Sage Poet - Être un artiste Hip Hop aujourd'hui au Malawi (Malawi)

Sage Poet

I / Introduction et présentation de l'artiste

Ranking Sarazin : Bienvenue à toi frère Wongani, c’est un réel plaisir et un honneur de t’avoir avec nous pour cette interview sur Hip Hop Sans Frontières. Nous, notre ADN, c’est de mettre la lumière sur le hip hop indépendant sous toutes ses formes, dans le monde entier, afin d’en faire découvrir toute la diversité et la richesse. Et de ce point de vue là, on se retrouve totalement dans ton œuvre et ta démarche artistique, c’est donc cette dynamique qui nous réunit ici aujourd’hui.

En effet, tu es un artiste complet et polymorphe, avec une véritable identité musicale, spirituelle, enracinée et engagée, qui se nourrit de tes nombreuses influences culturelles, cultuelles, politiques et historiques. De plus, tu maîtrises toutes les étapes du processus de création et de réalisation de tes albums. Des instrus aux paroles que tu écris et que tu chantes, en passant par les pochettes que tu composes entièrement … Et c’est tout cela qui contribue à la cohérence de ton œuvre et fait de toi un artiste intéressant à découvrir. Car tu proposes des projets à la fois exigeants, profonds, esthétiques et authentiques. En espérant que cette interview saura révéler à nos lecteurs toute la richesse et la profondeur de ton travail.

Sage Poet : Je te remercie pour tes mots frère Ranking Sarazin. C’est à moi que revient l’honneur et c’est avec humilité que je partage mon parcours avec vous.

Ranking Sarazin : Pour commencer cet entretien, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?

Sage Poet : Je m’appelle Sage Poet. Je suis un emcee, producteur et artiste graphique et visuel du Malawi. Mon travail est ancré dans la mosaïque culturelle de Lilongwe (la capitale du Malawi) et dans l’expérience africaine au sens large.

Ranking Sarazin : Depuis combien de temps es-tu impliqué dans la musique et le hip hop ? Comment as-tu commencé ?

Sage Poet : J’écris des raps depuis 2002. Mon premier album est sorti en 2008, et j’ai commencé à produire des beats vers 2011-2012. Tout a commencé par la curiosité. J’observais mes amis qui produisaient de la musique, puis j’ai appris par essais et erreurs avec des outils comme Fruity Loops. C’était avant les tutoriels YouTube et autres. Les informations sur la production étaient assez ésotériques à l’époque.

Ranking Sarazin : En ce qui concerne le hip hop, comment as-tu découvert cette culture, comment y as-tu été initié et quelles sont tes références ?

Sage Poet : Le hip hop m’a cueilli très tôt, au travers d’icônes comme Snoop Dogg, Tupac (R.I.P King), et Wu-Tang Clan à la télévision. Avec le temps, ma palette s’est élargie à des paroliers comme Ka (R.I.P King), MF DOOM (R.I.P King), et Lupe Fiasco, des artistes qui allient l’intellect à l’art brut.

KA (R.I.P)
Mf Doom (R.I.P)

Ranking Sarazin : Tu es originaire de Lilongwe, la capitale du Malawi. Peux-tu nous parler un peu de ton pays et du contexte dans lequel tu évolues ?

Sage Poet : Le Malawi est une tapisserie de traditions bantoues, dont Lilongwe est le carrefour culturel. En grandissant ici, j’ai absorbé des histoires, des rythmes et de la résilience, autant d’éléments qui se retrouvent dans ma musique.

Ranking Sarazin : Quelle est la situation actuelle au Malawi, d’un point de vue social et politique, qu’est-ce que c’est qu’être un artiste de hip hop là-bas, aujourd’hui ?

Sage Poet : Politiquement, c’est compliqué. Le pouvoir est particulièrement corrompu, c’est quelque chose de récurent, malheureusement. Mais en tant qu’artiste, je me concentre sur la résurgence créative dont bénéficie le hip hop ici. L’internet a démocratisé l’accès, ce qui nous permet de nous connecter au monde entier tout en restant enracinés localement.

Ranking Sarazin : Le hip hop est donc bien représenté au Malawi ! Quels artistes citerais-tu pour une découverte du rap malawite ?

Sage Poet : Oui, absolument ! La scène est aujourd’hui très dynamique, tu as, par exemple The King’s Rifles, Q Aura, Isco, Tadala, Sagonjah, Spokesman pour ne citer qu’eux…

Carte du Malawi

II / Un artiste indépendant et engagé

Ranking Sarazin : Et en termes de diffusion, comment ça se passe pour toucher le public, diffuser les projets ?

Sage Poet : Je crée pour ceux qui résonnent avec ma vision. Mon objectif n’est pas d’attirer le grand public. Je partage la musique numériquement, via Bandcamp et les médias sociaux, en espérant qu’elle trouve sa tribu.

Ranking Sarazin : Sur ton Bandcamp justement, on peut voir que ton 1er projet est sorti en 2009 – « The Dominant Poetic ». Combien d’albums as-tu sorti en tout ?

Sage Poet : 18 projets à ce jour, de « The Dominant Poetics » (2009) à « Keepers of the Garden » (2024). Le voyage a commencé par une démo qui a attiré l’attention de l’artiste « Dominant One ». Nous avons collaboré et Young Poet est devenu Sage Poet. Un reflet de la croissance, de l’autonomie et de l’objectif que je me suis donné.

Ranking Sarazin : Tu es autant sur les beats que sur les textes et les voix. Tu es donc un artiste complet et polyvalent, qui fait tout de A à Z. C’est assez remarquable…

Sage Poet : Oui. Très tôt, j’ai réalisé que le fait de dépendre des autres diluait ma vision. J’ai appris par moi-même la production, le mixage et le mastering. Je réalise également mes propres pochettes pour m’assurer que chaque couche de mon art est intentionnelle. J’aimerais bientôt apprendre à réaliser mes propres vidéos musicales.

Ranking Sarazin : Tu sembles être un artiste autonome, indépendant à bien des égards. Tu as ton propre studio pour travailler et enregistrer, tu collabores… ?

Sage Poet : J’ai construit un home studio au fil du temps. Il est basique mais efficace. Il y a des collaborations aussi bien-sûr, mais l’autonomie me permet de travailler à mon rythme, de jour comme de nuit.

Ranking Sarazin : Peux-tu nous dire comment tu travailles justement ?

Sage Poet : Il n’y a pas de formule stricte. Parfois, un échantillon déclenche l’inspiration ; d’autres fois, c’est un texte ou un concept qui me guide. Je fais confiance à mon intuition. Chaque projet a son propre rythme.

Ranking Sarazin : Oui, tu prends le temps pour chaque projet. En général, tes albums sortent à environ 2 ans d’intervalle…

Sage Poet : Les premiers délais étaient dus à des limites de ressources. J’économisais du temps de studio. Aujourd’hui, la création est plus rapide, mais je prends le temps d’affiner mes idées. La qualité prime sur la précipitation.

Sage Poet

III / Un artiste à la culture et aux influences musicales aussi riches que variées

Ranking Sarazin : A l’écoute de tes projets, il est clair que tu as une culture musicale riche et variée. On peut reconnaître une multitude d’influences dans les samples que tu utilises : le blues, le jazz, qu’il soit sud-américain, nord-américain ou africain, différentes musiques traditionnelles africaines (sénégalaise, malienne, cap-verdienne par exemple…), la musique cubaine, l’afro-beat nigérian ou encore la musique classique orientale ou arabe… Ton spectre est très large et pointu, ce qui est suffisamment rare pour que l’on s’y arrête un instant, car cela dit beaucoup de ton potentiel et de ton exigence artistique. Peux-tu nous dire d’où te vient cet amour de la musique ?

Sage Poet : Le monde est une symphonie. J’évite les clichés. En creusant un peu, on découvre des joyaux : Le jazz éthiopien, la morna cap-verdienne (Musique traditionnelle capverdienne, dont la référence est la célèbre chanteuse Césaria Evora, ndlr), le maqam arabe (c’est un système de structures musicales traditionnel arabe, sur lequel se construisent les gammes de ce type de musique classique arabe pour ainsi dire, ndlr). Chaque culture recèle de la beauté ; le hip hop me permet de mélanger cet héritage pour en faire une musique unique.
La musique est mon langage. Mes premières influences étaient DMX et Canibus ; maintenant, c’est la complexité du jazz et des paroliers comme Aesop Rock. J’étudie les sons comme un érudit. J’apprends toujours.

Ranking Sarazin : Passes-tu beaucoup de temps à écouter du son pour le travail de sélection ? Comment réutilises-tu les boucles de musique que tu captes lors de tes séances d’écoute pour créer tes beats ?

Sage Poet : Constamment. J’écume les disques obscurs. Cela va de la pop urbaine japonaise au folk bulgare, en passant par l’afrobeat Highlife des années 70 du Ghana. Les boucles deviennent des squelettes que j’étoffe avec des batteries, des lignes de basse et des intentions.

Ranking Sarazin : Passionnant. La folk bugare, tu es vraiment surprenant comme gars ! En tout cas l’union d’une musique riche et de paroles profondes produit un résultat aussi esthétique que profond… Vraiment, tout ça se ressent à l’écoute de tes albums, tous, autant les uns que les autres, très sincèrement. Rien n’est laissé au hasard et chaque élément de chaque projet est mûrement réfléchi, tant sur le fond que sur la forme, jusqu’aux pochettes des albums qui ont toujours une signification, qu’elle soit culturelle, artistique, esthétique, politique ou historique. Comment travailles-tu sur tes pochettes ?

Sage Poet : Chaque détail compte. Les pochettes sont des extensions de la musique. Celle de « Keepers Of The Garden », mon avant dernier projet donc, et bien elle représente des femmes Samburu, qui symbolisent la tutelle (il s’agit d’une des rares cultures matriarcales au monde, issue de l’ethnie Bantoue du Kenya parlant le Swahili c’est-à-dire une société où ce sont les femmes qui ont le pouvoir, contrairement aux sociétés patriarcales telles que nous les connaissons, où c’est l’Homme qui détient le pouvoir, ndlr). Je conçois la plupart des pochettes moi-même, en privilégiant la simplicité et le symbolisme. Pour moi, j’assimile cela à un véritable rituel solitaire. Tradition, dualité et résilience.

Portrait de Femme Samburu 

IV / Une œuvre spirituelle et politique exigeante

Ranking Sarazin : La dimension spirituelle transparait vraiment dans tous les aspects de ta démarche artistique, c’est très inspirant, et à la lumière de ce que tu produis, cela ne m’étonne pas de toi. En ce qui concerne tes textes, ta poésie est également très soignée, tant sur le plan de l’exigence esthétique que de l’exigence intellectuelle. Tu traites d’Histoire, de Politique et de Philosophie avec profondeur, humilité, subtilité et finesse, et là encore, ta culture est immensément riche…

Sage Poet : La curiosité est ma boussole. Je lis avec voracité. L’histoire de l’Afrique, la philosophie orientale et même la physique quantique. Le hip-hop m’a appris à poser des questions et à me poser des questions, alors je les intègre dans mes rimes pour éveiller la curiosité des autres.

Ranking Sarazin : Justement, peux-tu nous parler du processus créatif, comment réalises-tu tes projets, tu commences par écrire les paroles ou par composer les musiques par exemple ?

Sage Poet : La musique d’abord. Le paysage sonore détermine l’ADN de l’album. Je vis avec les rythmes, je laisse les concepts mariner, puis je construis les tracklists et j’écris les paroles. C’est à la fois méthodique et intuitif.

Ranking Sarazin : Tu chantes principalement en anglais, mais il t’arrive aussi de chanter ou d’inviter des emcees à chanter dans divers dialectes africains, et on sait tous les deux que le pouvoir du langage et sa place centrale dans la question de l’identité. Justement, quel sens et quelle place donnes-tu au langage dans la livraison de ton message ? Peut-on y voir une dimension politique, une forme de décolonisation des esprits ? L’expression est forte, j’en ai conscience, mais elle est à l’image des questions qui se posent lorsqu’on analyse ta démarche.

Sage Poet : Décolonisation ? En effet, le terme est fort. Non, c’est un choix purement personnel que d’intégrer les dialectes dans ma musique. La décolonisation est vraiment un terme lourd de sens.
Non, je suis simplement Sage Poet, et mon ambition s’arrête là. Si un jour je rappe en chichewa (une des langues bantoues, ethnie très représentée en Afrique centrale et australe – Afrique du Sud, ndlr), ce sera de manière organique, pas de manière performative.
L’anglais me relie au monde entier, mais les dialectes m’enracinent dans mon pays. Ce n’est pas politique. C’est honnête. La langue est un pont ; je veux que les auditeurs sentent leur terre sous mes mots.

Ranking Sarazin : Cela fait sens encore une fois, à l’écoute de ta musique ça parait limpide et évident à la manière dont tu le dis. Justement, comment vois tu le rôle de l’Art ? Quelle en est ta conception ?

Sage Poet : L’Art est un service. Mon but n’est pas la célébrité. C’est de susciter la réflexion, d’honorer les ancêtres et de contribuer au dialogue mondial entre les cultures. Si un auditeur fait des recherches sur l’Histoire de l’Afrique après avoir écouté mon album « Alchemy » par exemple, alors j’aurais réussi !

IV / Retour sur la discographie de Sage Poet : processus créatifs et messages

« Alchemy » (2018)

Ranking Sarazin : Oui, tu es dans une dynamique de planter des graines dans les cœurs et les esprits et bâtir des ponts entre les Hommes et les cultures, là où beaucoup érigent des murs. Cette approche d’émulation constructive, c’est aussi ce qui nous anime à travers Hip Hop sans Frontières …
Justement, parlons d’« Alchemy » – disponible sur ton Bandcamp – car c’est une véritable pépite en termes de composition musicale et de qualité des textes, parfaitement représentatif de ton œuvre globale. Tu y abordes toute la grandeur de l’Histoire et du Patrimoine africain, ainsi que ta fierté pour tes origines. Tu parles de la spoliation de nombreuses découvertes africaines par les Occidentaux, notamment issues de la culture Kamite (culture africaine ancestrale particulièrement riche, qui a diffusé des valeurs philosophiques, religieuses, scientifiques, artistiques et sociales sur tout le continent africain. Elle est à l’origine des plus grandes, des plus avancées et des plus raffinées civilisations du continent – Voir les travaux de Cheikh Anta Diop, ndlr).

Sage Poet : Oui, le hip hop a été mon 1er professeur : des rappeurs comme Public Enemy et Dead Prez ont dit des vérités ignorées par les écoles. Ensuite, j’ai dévoré les œuvres de Cheikh Anta Diop (philosophe et historien africain, théoricien de l’origine noire africaine – Kamite – des Pharaons d’Egypte, ndlr), Frantz Fanon (psychiatre martiniquais, grand philosophe et militant de la décolonisation, engagé dans la lutte de libération de l’Algérie, ndlr) et Malidoma Somé (penseur, philosophe et théologien mystique burkinabé, ndlr). J’ai lu la Bhagavad Gita (livre sacré de l’hindouisme, ndlr) et le Ramayana (grand livre initiatique en langue Sanskri, un dialecte d’Inde, ndlr), Sun Tzu (philosophe et stratège chinois, auteur de « L’Art de la Guerre », ndlr) et Sigmund Freud (père de la psychanalyse, théoricien de l’inconscient humain, ndlr). Je m’intéresse à des thèmes divers et variés, c’est la curiosité qui m’anime, pas les études académiques formelles.

Ranking Sarazin : Il y a une réelle dimension pédagogique dans tes textes, ce qui implique un grand nombre de recherches, ainsi que la capacité, ensuite, de synthétiser, harmoniser et mettre tout cela en chanson. Comment procèdes-tu ? Combien de temps le processus de création t’a t-il prit ?

Sage Poet : D’abord la recherche. Je compile des notes, je distille des thèmes, puis je sculpte des rimes. Le défi consiste à trouver un équilibre entre la profondeur et le rythme. Trop académique, le texte perd de son groove ; trop vague, il manque de punch. En termes de processus créatif et de réalisation, l’écriture a pris des semaines, l’enregistrement des jours. Le plus long a été le mixage/mastering, qui dépendait de l’emploi du temps de l’ingénieur. La patience fait partie du processus, c’est indéniable.

Ranking Sarazin : Oui, c’est une question de juste milieu, de subtilité et de sensibilité… Passionnant ! Et sinon, en termes de compo’ musicale, les instrus sont toujours très jazzy. Mis en perspective avec ton engagement, on pourrait encore penser à une démarche politique par une forme de réappropriation… Ce n’est plus seulement l’Afrique qui va et qui profite aux Amériques, mais ce sont les Amériques qui viennent et profitent à l’Afrique, tu vois ce que je veux dire ? Utiliser et se réapproprier cette musique, est-ce une démarche politique ou simplement esthétique, ou les deux ?

Sage Poet : Oui, mais de toute façon, originellement, le jazz est africain. Improvisation, polyrythmie, appel et réponse. L’utiliser n’est donc pas se le réapproprier, mais je dirais que c’est plutôt se reconnecter. La musique de la diaspora nous appartient à tous. Le jazz est une résistance. Un langage né de la lutte. Mais je suis aussi attiré par sa beauté. Mon intention n’est pas ouvertement politique ; il s’agit d’honorer la vérité à travers le son. La démarche est donc bien double, comme tu l’évoques.

« Secrets » (2019)

Ranking Sarazin : Cela semble d’autant plus évident lorsqu’on écoute ton album « Secrets ». Dès la 1ere écoute, on saisi toute la portée politique et historique du projet. Les thèmes, les personnages mis en lumière… Jusqu’à la pochette, avec ce portrait N/B de Steve Biko, grand activiste de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud. L’album est même entrecoupé d’extraits sonores de ses discours politiques parmi les plus puissants. Pourquoi Steve Biko, que représente-t-il pour toi ?

Sage Poet : Biko incarnait le courage. Sa position sans équivoque contre l’oppression reflète ma propre éthique. « Secrets » est un hommage à ceux qui disent la vérité au pouvoir, quitte à en payer le prix fort. 


Ranking Sarazin : En effet, cela force le respect et l’humilité mais aussi l’envie d’ériger en modèle ce genre de figure historique… Par ailleurs, la diversité des samples que tu utilises sur ce projet est très représentative de la richesse de ta culture et de ton identité musicale : là encore, tu puises un peu partout, du jazz à la musique orientale, africaine et même sud-américaine. On est souvent surpris et impressionné par l’originalité et la diversité des références que tu utilises et les associations que tu oses…

Sage Poet : « Secrets » est une mosaïque. Jazz éthiopien, folk sud-américain, cordes arabes. C’est un pèlerinage sonore. Pour moi, il représente le pouvoir du hip hop d’unir des voix disparates.

«12 Petaled Lotus » (2022)

Ranking Sarazin : Tes paroles sont inspirantes… Quelle belle analogie, j’aime bien cette idée de mosaïque en y repensant… Un autre de tes autres projets particulièrement marquant à mes yeux est « 12 Petaled Lotus ». Pour sa qualité à la fois esthétique et textuelle. Que peux-tu nous en dire ?

Sage Poet : C’est mon œuvre la plus ambitieuse. Elle explore la dualité lumière/obscurité, masculin/féminin. La pochette – Louis Armstrong aux Pyramides – symbolise le pont entre les époques et les cultures.

Ranking Sarazin : En effet. Et justement, parlons de cette pochette. Elle reprend la célèbre photo de Louis Armstrong jouant du saxophone pour sa femme devant les Pyramides égyptiennes. Et en écoutant tes paroles, on ne peut s’empêcher de penser que cette photo illustre ta perception de l’africanité : une Histoire puissante – les Pyramides – pour un peuple possédant une grande et puissante diaspora – Louis Armstrong (une diaspora, ce sont tous les membres d’une même communauté disséminés partout dans le monde, ndlr) …

Sage Poet : Exactement. La joie d’Armstrong devant les Pyramides incarne à mes yeux toute la fierté, la richesse et la beauté de notre héritage culturel. La grandeur de l’Afrique n’est pas seulement ancienne. Elle est vivante dans la créativité de la diaspora.

« Keeper Of The Garden » (2024)

Ranking Sarazin : Oui, en effet, cette grandeur s’inscrit autant dans le temps que dans l’espace. Un autre de tes projets me paraît tout aussi marquant et puissant, il s’agit de ton avant dernier album, « Keepers of the Garden ». Les « Garden Keepers », ou « Gardiens du Jardin » sont en fait les sages gardiens de la nature et du savoir dans ta culture. Peux-tu nous parler de cet album et nous en dire plus sur ce que représentent ces « Gardiens » ?

Sage Poet : Deux ans d’écriture et de peaufinage. J’ai commencé avec le track « Eden’s Enigma » puis ça a évolué vers ce qu’aborde la chanson « Butterfly », un hommage au peuple Samburu et au symbolisme du serpent hindou ainsi que d’autres thèmes comme l’écologie pour sensibiliser sur les combats que nous devons mener, etc.
Chez nous, les Gardiens transcendent les cultures – ce sont des gardiens universels de l’équilibre. En Afrique, ce sont les ancêtres ; en Inde, ce sont les nagas. L’album remet en question la diabolisation occidentale des serpents, en soulignant leur rôle sacré ailleurs.
Je ne suis pas un mystique pour autant, mais je respecte la sagesse ancestrale. La mettre en valeur permet de contrer le stéréotype selon lequel l’Afrique manque de profondeur philosophique. Nous avons toujours été des penseurs.

Ranking Sarazin : Mais totalement, les cultures orales ancestrales des grillots d’Afrique de l’Ouest par exemple. Et c’est ça aussi qui est fort chez toi, cette capacité à se réapproprier et à revendiquer une identité culturelle et cultuelle.
En parcourant ta discographie, on constate d’ailleurs qu’il n’y a pas de redondance et que la place de chaque projet au sein de ton œuvre a été mûrement réfléchie, une certaine complémentarité qui se dégage de l’ensemble. Il semble y avoir une vision à long terme derrière tout cela…

Sage Poet : Exactement, tu as parfaitement saisi le concept ! Ma discographie est une mosaïque de thèmes. La politique, l’histoire, la spiritualité… Tous se demandent : comment guérir en tant que peuple ? La réponse réside dans la connaissance de notre passé et dans l’imagination d’un avenir meilleur.

Les projets à venir

Ranking Sarazin : Pour savoir qui tu es, saches d’abord d’où tu viens… Sages paroles ! Et sinon, regardons vers l’avenir… Tu es sur d’autres projets, des collaborations à venir ?

Sage Poet : Prochains albums : « Stars In Prison » et « Building the Temple ». Divine Dynasty (son groupe réunissant ses compagnons de route, ndlr) a également sorti son 3eme album cette année. Certains de mes meilleurs textes se trouvent dans cet album, et les 2 sont en cours de réalisation. Collaborations ? Yugen Blakrok. Son art est cosmique, allez l’écouter pour vous en faire une idée. A son contact, j’apprendrais d’ailleurs certainement plus que je ne contribuerais.

VI / Conclusion

Ranking Sarazin : Hâte de découvrir ça ! En tout cas, je rappelle qu’on peut écouter tes projets et suivre ton actualité musicale sur ton Bandcamp « Sage Poet ». Projets qui mériteraient d’ailleurs tous largement un traitement physique, une version vinyle serait magnifique… Je lance une bouteille à la mer !
Alors qu’on arrive au terme de notre entretien, y a-t-il quelque chose que tu aimerais ajouter ? Y a-t-il un message que tu aimerais faire passer ?

Sage Poet : Avant tout, un message de Gratitude pour toi frère Ranking Sarazin, ainsi qu’à toute l’équipe de Hip hop sans frontières. Aux auditeurs : Creusez plus profondément que la surface. Nos histoires sont importantes. Paix.

Ranking Sarazin : Ce fut un honneur et un plaisir d’avoir ce riche échange avec toi. Merci pour ta confiance et ton temps, tu nous auras ainsi permis de saisir un peu plus l’artiste que tu es dans toute sa complexité et toute sa subtilité. Après ça, on ne peut qu’encourager tout le monde à aller découvrir, soutenir et donner de la force à ton travail. Avec tout notre soutien, que la Paix soit sur toi et les tiens, et je te souhaite une belle continuation au nom de toute l’équipe de Hip hop sans frontières. Encore merci et félicitations pour ta riche contribution à notre culture hip hop.

Sage Poet : As-Salaam-Alaikum mon frère.

Entretien réalisé et rédigé par Ranking Sarazin

Facebook
X
Telegram
WhatsApp
Threads
LinkedIn
Reddit