HipHop sans frontières

[Interview] Sims & May Din (Partie 1)

Crédit photo : Solange Albano

Interview réalisée en février 2024 par Fathis

Fathis : Je vais rapidement faire une présentation de Sims. Tu es originaire de Lille, tu te faisais également appeler DJ Simsima. Tu as commencé dans les années 90 en tant que DJ, tu as pas mal roulé avec la Scred Connexion. Tu as placé beaucoup de scratchs pour des grands noms du rap français, tu animes une émission sur Radio Nova le vendredi soir, et tu as sorti plusieurs mixtapes spéciales rap français. Depuis quelque temps maintenant, tu fais des concerts un peu partout en France.

Et May Din, tu es plus dans l’ombre, mais tu as aussi une carrière de DJ. Tu es originaire du 18e arrondissement de Paris, et tu as accompagné Sims sur les lives et les vidéos. Tu es proche du label Chinese Man Records et on t’associe parfois au TSR Crew.

Sims : C’est une bonne intro, on va préciser tout ça au fur et à mesure.

Fathis : Vous touchez un peu à tous les styles de musique, qu’est-ce qui vous a amené au rap ?

Sims : Comment on est arrivé au rap ? C’est deux histoires, deux époques différentes. Moi, j’ai commencé à écouter du rap à la fin des années 80, début 90, j’avais 9, 10 ans.. Essentiellement à cause de Spike Lee et Do The Right Thing. Puis, il y a eu Boyz N the Hood de John Singelton et Menace II Society des frères Hughes. C’est vraiment le cinéma qui m’a fait découvrir le rap, parce qu’à l’époque, c’était loin d’être accessible comme aujourd’hui. Du coup j’ai d’abord plongé dans le rap US.
J’ai fait du skate toute mon enfance et adolescence, les vidéos de skate étaient une vraie porte ouverte vers le son des US que ce soit le rock sur la côte ouest et le hip hop sur la côte Est.
Ça m’a permis de découvrir des groupes comme Lords Of The Underground
Un été, après une mauvaise blessure, bloqué chez moi, je me suis vraiment penché sur le mix. Mais à Lille, dans les années 90, impossible de savoir ce qu’il fallait comme matériel pour mixer. Tout était une débrouille, pas de DJ School comme à Paris, Internet n’existait pas comme aujourd’hui… Voilà pour mon intro rapide.

May Din : J’ai grandi dans le 18e à Paris dans les années 2000. J’ai découvert le rap français très jeune, à la fête de la musique au square Léon, où des mecs comme Sniper ou la Scred Connexion jouaient. J’écoutais plutôt du rock pour être un peu différente, et à la maison c’était beaucoup de musique brésilienne, chanson française, soul… mais le rap avait une empreinte énorme dans mon quartier. J’ai été marquée par des artistes comme Diam’s. J’ai aussi grandi avec NTM et Fabe, mais j’étais plus branchée soirées techno dans mes jeunes années.

Pendant des années, je mixais principalement de la techno. C’est plus tard que je suis revenue vers le rap, notamment grâce à Sonath, un DJ incroyable. C’est un peu grâce à lui que j’ai basculé dans le monde du DJing hip-hop, car dans la techno, on touchait à peine les vinyles. En hip-hop, au contraire, on expérimente sans limite, et ça m’a vraiment plu.

Sims : Ce qui est génial avec le hip-hop, c’est que tu pouvais acheter des maxis avec le morceau, l’instru et l’acapella. Ça te donnait énormément de matière pour t’entraîner au scratch et à mixer. Et de possibilités créatives : Tu prenais les disques en double pour faire du pass pass, tu calais l’acapella sur une autre instru bref tu testais plein de trucs.

Fathis : Justement, en parlant de vinyles, on a vu un retour en force des vinyles et des cassettes ces dernières années. Qu’en pensez-vous, alors qu’on vit dans une époque de streaming ?

Sims : C’est bien que ça revienne, parce que le streaming, ça a ses avantages, mais ça dématérialise complètement la musique. À un moment, on a besoin d’un rapport physique avec une œuvre, un objet tangible. Rien que pour laisser une trace, un support pour la mémoire. Quand on sort un vinyle de notre collection, je peux te dire où on l’a acheté, avec qui on était, etc, c’est une madeleine de Proust…Aujourd’hui, les vinyles sont surtout des objets de collection. On a tous les deux une grosse collection, mais franchement, on n’écoute jamais nos vinyles à la maison. Le digital est vraiment plus approprié, rien que de pouvoir le diffuser dans toutes les pièces de la maison !

May Din : Oui, la qualité sonore du vinyle est meilleure, mais dans la pratique, nous, on n’en écoute pas à la maison. C’est devenu plus un objet symbolique qu’un support d’écoute quotidien. On utilise surtout les formats numériques pour mixer.

Sims : Exactement, et quand on allume les platines, c’est pour mixer ou scratcher, s’entrainer pas pour juste écouter un disque. Le côté vinyle, rituel d’écoute d’un album de A à Z, on le comprend mais ça ne fait pas vraiment parti de nos habitudes.

May Din : Il y a aussi toute une génération de diggers qui passent des heures dans les shops de vinyles à la recherche de pépites. Moi, perso, je n’ai jamais été hyper patiente avec ça, quand j’étais jeune j’allais souvent au shop de vinyle mais jamais plus d’une heure ou deux haha. Aujourd’hui avec les outils digitaux, c’est beaucoup plus simple pour moi de faire des playlists.

Sims : Dans les années 90, je passais des journées aux puces à Paris pour acheter des disques avec mes derniers francs, ou à Bruxelles, Londres… C’était le seul moyen d’avoir des nouveaux sons à jouer sur les platines et il y avait ce côté « quête » de certains disques introuvables. Tous les Djs avaient leur petite liste des maxis qui leur manquaient depuis des années. Aujourd’hui, avec le digital on utilise encore des vinyles, mais ils sont timecodés, ils permettent de jouer les fichiers numériques que l’on a sur l’ordinateur.

Fathis : Par rapport à la place des DJ’s aujourd’hui, on a l’impression qu’ils sont moins mis en avant dans le rap. Le MC prend plus de place, la danse aussi. Qu’en pensez-vous ?

Crédit photo : Solange Albano

Sims : Il y a une question de position, le MC est devant, le DJ un peu en retrait. Quand tu es DJ tu dois t’imposer par ta créativité, perso c’est ce qui m’ a plus là dedans. En plus comme je suis vraiment super mauvais danseur ça me permettait d’aller en soirée sans devoir être sur le dancefloor. Pour la place du Dj dans le rap… c’est encore autre chose le rap c’est un courant qui embrasse littéralement les progrès technologiques. Du coup aujourd’hui n’importe qui peut être Dj et accompagner un rappeur sur scène.

May Din : Il faut bien différencier les DJ’s aujourd’hui. Le mot « DJ » est devenu un peu fourre-tout. Aujourd’hui, certains rappeurs préfèrent faire leurs shows sans DJ, juste avec un ingé son qui appuie sur « play ». ça ne requiert aucun skillz et le rôle du DJ est devenu plus invisible dans la scène mainstream.

Sims : Oui, et ça a beaucoup changé par rapport aux 90’s où les DJ’s étaient hyper mis en avant. Aujourd’hui, certains grands artistes font des shows où ils sont seuls sur scène. On n’a plus forcément besoin de voir le DJ sur scène.

May Din : Dans l’underground, il y a encore des DJ’s qui font des shows à l’ancienne, mais c’est vrai qu’il y a moins de scratch dans le rap mainstream aujourd’hui. Les jeunes veulent s’éloigner de ces codes qui commencent à dater.

Sims : C’est clair. Aujourd’hui, Le scratch fait un peu cliché, daté c’est encore plus niche qu’avant, mais tout est cyclique, Y a un truc avec le scratch c’est que ça demande beaucoup beaucoup de patience et d’entrainement….

May Din : Il y a eu une démocratisation du rap. Aujourd’hui, n’importe qui peut se mettre au rap, avec un live band ou des méthodes de production électronique. C’est une ouverture qui est positive pour la diversité des musiques.

Sims : Tous ce qui contribuent à faire vivre la culture du hip-hop et son histoire est essentiel. Il faut garder une trace de ces artistes rappeurs, producteurs Dj et des machines/ techniques qu’ils employaient à l’époque, c’est ça qui a forgé le son Hip Hop, les contraintes des machines, le détournement de certains instruments… C’est primordial de se remémorer tout ça pour éviter que ça tombe dans l’oubli. Heureusement, il y a toute une génération qui documente cette culture avec des bouquins et des documentaires.

May Din : Oui, et il y a plein de nouveaux documentaires qui sortent. Orelsan, Dj Mehdi… par exemple, ont des docus hyper intéressant sur le rap français. C’est important pour l’histoire.

Sims : Si tu aimes la West Coast, il y a ce documentaire qui s’appelle Westcoast Theory, il est incroyable.
Sims et May Din : Celui sur Kanye West aussi…

May Din : Si tu veux une petite trace du rap français, le documentaire d’Orelsan, en termes d’archives de l’époque, est hyper intéressant. Le documentaire sur Pone de la FF ouvre une belle fenêtre sur l’histoire du rap Marseillais.

Sims : Ce qui est drôle avec Orelsan, c’est qu’il a les images et ne travesti pas l’histoire : on le voit se faire humilier dans des open mics… Comme quoi tu peux mal commencer et finir en nouveau Johnny Hallyday.

Fathis : Ce qui est bien avec le sample, c’est que ça permet également de faire le chemin inverse. Par exemple, moi, je me suis mis à écouter Sade (entre autres) parce qu’Axis d’ATK l’a samplée régulièrement. J’ai donc fait le chemin inverse.

Sims : Mes parents avaient une grosse collection de disques, et après coup, je me suis rendu compte qu’il y avait plein de samples de rap dans leurs disques.

May Din : Quand on s’est rencontrés, je travaillais au New Morning à la programmation. Moi, je suis plus dans la production d’événements, je suis DJ aussi, mais j’ai vraiment cette carte d’organisatrice de soirée. C’est moi qui ai produit les « Sims Samples », le Scred Festival, et énormément de concerts au New Morning pendant 8 ans. Du coup, on linkait beaucoup les artistes qui venaient au New Morning avec notre culture du sample. Et on se retrouvait à ramener nos potes en leur disant, « il a été samplé par un tel ou un autre », et on se retrouvait avec toute une clique à un concert de jazz.

Entretien réalisé et rédigé par Fathis

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