01. Intro
02. One Step (feat. Tekitha & Hell Razah)
03. Blessed Are Those
04. From Then Till Now
05. Cross My Heart (feat. Inspectah Deck & GZA)
06. Fake MC’s
07. It’s Over
08 .Crusaids (feat. Tekitha)
09. Tai Chi (feat. Hell Razah & 60 Second Assassin)
10. Heavy Mental
11. If You Don’t Know (feat. Ol’ Dirty Bastard)
12. Atoms to Adam (feat. Antonio Chance)
13. High Explosives
14. Wisdom
15. B.I.B.L.E
16. Mystic City (feat. Antonio Chance)
17. Information
18. Science Project (feat. Hell Razah)
19. Almost There
20. The Professional
Toujours étrange de revenir sur un album des décennies plus tard, mais c’est souvent nécessaire. Dans ce cas précis, j’avais besoin d’explorer un peu plus la spiritualité, les théories et la finesse d’écriture d’un album qui m’avait déjà convaincu. Killah Priest est l’un des plus proches du Wu-Tang Clan, notamment à ses débuts, il se dit ensuite que lui et Shabazz The Disciple ont eu des différents avec RZA. Priest est avant tout connu et reconnu pour son incroyable musique « B.I.B.L.E » que je présenterai à travers une chronique dédiée tant elle est puissante. Ce classique produit par 4Th Disciple est étonnamment présent sur le légendaire « Liquid Swords » de GZA sorti en 1995. Priest est en solo sur le morceau, chose impensable sur un album d’un autre artiste, et c’est cette performance qui a permis au rappeur de préparer sa carrière. Il apparaîtra à plusieurs reprises auprès du clan ou de ses membres. Aucun membre solo de la Wu-Fam n’est plus proche du clan que lui. Il se raconte d’ailleurs qu’il pensait pouvoir réussir à se faire un nom dans le milieu du rap par ses propres moyens, sans être affilé au clan…
Je dirais oui, car il est talentueux et unique dans son genre, mais qui peut se targuer de se priver de l’aide/ la visibilité du plus grand groupe de rap de l’Histoire ? D’ailleurs, il est tellement affilé au clan qu’il fait partie du groupe le plus proche du clan : Sunz Of Man. Ce groupe mériterait d’ailleurs également qu’on s’attarde dessus à part entière tant il a été talentueux et a marqué de son empreinte le rap East Coast non ? Les membres du crew se nomment Prodigal Sunn, Hell Razah, 60 Second Assassin ; Shabazz the Disciple ; 7th Ambassador et Supreme ayant quitté le groupe avant le premier album officiel. L’accent était mis sur les textes qui traitaient de sujets importants tels que la société, les théories complotistes (qui peuvent parfois se révéler vraies !En effet, ne voir des complots nulle part est au moins aussi impertinent qu’en voir absolument partout !), les enseignements des 5%… Le rap qui élève l’esprit en fait, celui qu’on pratiquait inlassablement à une époque, et qui peut trouver un véritable écho par delà les générations !
Le second groupe auquel il appartient n’est autre que les Four Horsemen (HRSMN) composé d’un roaster incroyable avec Canibus, Ras Kass et Kurupt. Pharoahe Monch et Chino XL (R.I.P) étaient également prévus dedans ! Il a également rejoint et sorti des projets avec d’autres crews, dont Black Market Milita (Timbo King, Hell Razah, Tragedy Khadafi…), Maccabees ou encore Almighty (Bronze Nazareth, C-Rayz Walz, Cappadonna, Planet Asia…). Sa carrière est aussi mystique que son esprit.
Je vais tenter d’explorer les arcanes de cet album ô combien alambiqué. Déjà, Killah Priest lui-même est dur à définir du point de vue religieux/spirituel. Il est un Israélite hébreu noir, dont explication donnée par Wikipédia est la suivante
C’est déjà compliqué, mais en plus, KP croit également en Allah et Jésus, il s’appuie donc sur tous les livres religieux. Il faut ajouter à cela qu’il est très intelligent et qu’il est un puits de connaissances, bien que parfois, il divague, il n’en est pas moins un érudit. Une personne qui s’informe, lit et s’instruit beaucoup, ce qui explique ses réflexions si pertinentes. Possédant une grande capacité analytique, il retranscrit aisément sur papier ses analyses : sa longue carrière parle d’elle-même. Pour conclure et pour être précis, avant « Heavy Mental », il s’était également illustré sur le classique « Diary Of A Madman » de Gravediggaz, « 4Th Chamber » de GZA, « Snakes » de O’l Dirty Bastard ou encore « Where Ya At? » avec Ice Cube, Chuck D, Mobb Deep, Kam, Ice-T…
Pressé de connaître son heure de gloire, en parallèle des albums de son groupe Sunz Of Man, il s’appuiera sur les « Wu-Elements » pour produire son album. D’ailleurs, ceci constitue, entre autres, la plus grande force du Wu : le fait qu’ils aient réussi à créer une nébuleuse artistique comme personne d’autre dans l’Histoire du Rap, ils avaient un réseau de beatmakers, chanteurs/chanteuses, rappeurs, groupes, musiciens, vidéastes… RZA étant occupé sur sa carrière solo et celle de son crew, il ne s’est pas impliqué sur cet album. Ce sont donc les deux beatmakers les plus talentueux et les plus en vogue du moment qui ont pris le relais : 4Th Disciple et True Master, avec une légère mais significative participation d’Y-Kim the Illfigure du groupe Royal Fam.
Ainsi, tout était prêt pour livrer un album qui deviendra un véritable classique, beaucoup trop incompris et en avance sur son temps pour être apprécié à sa juste valeur. Considéré comme l’une des pièces maîtresses du style et classique absolu de Priest pour certains ; et relégué au second plan par d’autres, voire délaissé au profit d’autres albums de l’époque (âge d’or oblige) ou d’albums liés au Clan.
L’introduction de l’album s’ouvre sur un dialogue tiré du film « L’Égyptien », un film américain de 1954. Le film raconte l’histoire de Sinouhé, un enfant abandonné élevé par un médecin qui lui transmet sa vocation et sa science. Un jour dans le désert, il sauvera sans le savoir le pharaon Akhenaton. Et il fait le lien avec le christianisme qui serait assez similaire aux croyances égyptiennes de l’époque. Si on va jusqu’au bout de la pensée, toutes les religions se ressemblent et contiennent à peu près toutes, les mêmes éléments remaniés et réarrangés selon les époques, les cultures…
Et puis dans la foulée, le titre « One Step » s’ouvre avec la phrase devenue culte : « Your arms too short to box with God… » (Tes bras sont trop courts pour boxer avec Dieu). Référence à une comédie musicale de Broadway basée sur le Livre de Matthieu et intitulée Your Arms Too Short To Box With God. La comédie musicale elle-même fait référence à la première utilisation de l’expression par James Weldon Johnson dans son roman The Autobiography of an Ex-Colored Man (l’autobiographie d’un ancien homme de couleur).
Cette phrase sera interprétée par la chanteuse Tekitha qui est principalement connue pour son affiliation au clan et des classiques comme « Impossible » ou « A Better Tommorow » du Wu Tang, « Manchild » de Shyheim, « Mantis » et « Build Strong » de RZA, « Not Promissed Tomorrow » de Sunz Of Man…
La seconde voix qu’on entend dans le refrain est Hell Razah qui n’était pas prévu à la base ! Il se trouve qu’il était présent lors de l’enregistrement du titre et KP lui a alors proposé de participer. Initialement, c’était Popa Wu (R.I.P) qui aurait dû participer. La production, quant à elle, est signée True Master.
Ses couplets parlent principalement de l’esclavage noir et de leur arrivée en Amérique. Beaucoup de références à la Bible, aux Israélites noirs qu’ils considèrent comme les premiers humains. Il pense également que les Égyptiens de l’époque étaient noirs et fait des métaphores intéressantes avec les drogues, les jeux, l’alcool… Qui piègent les noirs américains et autres défavorisés dans les ghettos. Les religions selon lui empêchent l’Homme d’accéder à la sagesse tout comme il croit que l’Homme Noir est une entité divine qui est coincée sur terre à cause de sa forme physique. Il convient de noter que c’est une idéologie partagée par d’autres rappeurs et afro-américains.
Le morceau suivant se nomme « Blessed Are Those » et il est produit par Y-Kim qui, malgré son immense talent, a vite disparu du circuit dans les années qui ont suivi. Il a beaucoup de faits d’armes à son actif et les fans se rappellent encore de son âge d’or (1994-2000). Il y a définitivement trop de mystères ici… Mais on peut l’excuser, car en fait, ce n’est pas le beat originel, le chanteur Al Green n’a pas voulu qu’il utilise le sample d’une de ses musiques. Pourtant Killah Priest a tenté de le convaincre personnellement au téléphone, mais, visiblement, le nom du rappeur le dérangeait et n’a pas cédé. En effet, le fait d’associer le mot « prêtre » à « tueur » dérangeait l’auteur du sample, pensait-il peut-être qu’il faisait de l’horrocore ou autre ? Finalement, quelques années plus tard, il diffusera le morceau initialement prévu et on aura droit à cette fameuse version « original » sur la mixtape « A Prelude To The Offering ».
Le titre s’ouvre donc de nouveau avec un extrait du film The Egyptian. Néanmoins, le beat qu’il lui a fourni n’est pas à la hauteur surtout qu’il est placé en début d’album, soit la partie la plus intéressante. La star est bien KP, son second couplet est d’ailleurs mis en avant par le magazine américain The Source. « Hip Hop Quotable », c’était la section mensuelle dédiée au meilleur couplet de rap. Il faut dire que pour le coup, il ne l’a pas volé, il a une façon de décrire la société qui est intéressante. On peut dire qu’il a su « sauver » un beat de mauvaise qualité par sa performance au micro et donner un second souffle au morceau.
Traduction :
« Il n’y a pas de partage des richesses,
Et des soins de santé médiocres, la peur de soi
C’est insensé la façon dont ils ont mis notre princesse noire
Sur l’assistance publique pour mettre fin à notre existence « .
Tentons de comprendre ce qu’il veut dire. Aux États-Unis, pour lui, les deux partis politiques, Républicains et Démocrates, auraient finalement le même programme. Les Républicains affirment que la réduction des impôts sur les riches aidera tout le monde parce que les riches amélioreront ainsi l’économie dans son ensemble en la stimulant. Les Démocrates, quant à eux, cherchent à développer les programmes sociaux (politiques sociales) en augmentant les impôts des riches. En fin de compte, pour KP, aucune de ces solutions n’apporte d’avantages concrets à ceux qui restent enlisés dans la pauvreté, et n’ont pas accès à des aides élémentaires que la plupart considèrent comme acquises, comme les soins de santé par exemple.
En raison de la structure de la société américaine, le rappeur nous dit que les femmes noires dépendent de l’aide sociale pour s’occuper de leurs enfants. Cela est dû en partie aux taux élevés d’incarcération des hommes noirs qui ont tendance à être incarcérés à des taux plus élevés que les hommes blancs commettant les mêmes crimes. KP considère que l’ensemble du système fait partie d’un complot, et que les personnes au pouvoir souhaitent se débarrasser des Noirs. Le crack en est également un exemple, car considéré comme un produit mortel introduit directement dans les ghettos notamment par la CIA. Je ne vais pas m’y attarder, mais cette théorie est bien documentée, et on voit clairement comment l’État américain à aidé les gouvernements corrompus et les narco-trafiquants sud-américains pour acheminer leur drogue… Au pays de l’Oncle Sam. Concernant les prisons américaines, je vous renvoie à notre dossier complet et sourcé : 13 faits hallucinants sur les prisons américaines.
Ensuite, vient le mythique « From Then Till Now » qui aura marqué, je pense, beaucoup de monde. Étant un grand fan de Ghost Dog, mon film préféré avec Usual Suspects, j’ai adoré le passage où on entend ce titre. On y voit le protagoniste principal voler une voiture et rouler la nuit avec ce morceau en fond sonore : la scène est magique. Le sample appelle à une escapade nocturne, à la contemplation de la lune grâce au sample principal que Marion Marlowe a chanté en 1955 dans « The Man in the Raincoat », où elle fredonne un air dont on entend et reconnait des sifflements derrière. C’est d’ailleurs toute la force et l’identité du cinéma du réalisateur de Ghost Dog, Jim Jarmuch, qui aime filmer le New York des bas fonds de nuit. Grand fan du Wu Tang Clan, il a fait participer différents membres du crew dans la plupart de ses films. La base est parfaite. Ajoutez à cela un sample de London Starlight Orchestra et la finesse du producteur Y-Kim et vous obtenez ce chef d’œuvre.
Priest démarre son couplet après une courte conversation avec un ami de son quartier qui lui demande ce qu’il a fait depuis « B.I.B.L.E ». Le morceau est particulier, car il comporte un premier et long couplet, un refrain classique dans la teneur et un second couplet bien plus court. Dans ce titre, il parle du passé et du moment où les Noirs étaient en avance sur le monde. Pour résumer, il dira qu’ils sont passés de personnes très cultivées, qu’ils passaient du temps à étudier des livres religieux à des graffeurs qui marquent les murs de leur nom. Le grand écart est important et presque inconcevable, mais il défendra cette idée tout au long de son album et de sa carrière. Autant dire qu’il ne voit pas cela comme une évolution positive et qu’il reste pessimiste pour l’avenir des Afro-américains.
Le titre suivant « Cross My Heart », est considéré comme l’un des meilleurs de sa carrière et un classique du Wu. Franchement, je trouve que la prod de True Master manque clairement de profondeur, beaucoup trop simpliste surtout quand on voit les chansons qui la précèdent et celle qui suit surtout. Il faut dire que la présence du clip à l’époque (pas forcément répandu) et surtout l’apparition de deux emcees du Wu à leur prime change la donne. Concernant les couplets, c’est du haut niveau. Le Killah en propose un qui est énorme, au point de se demander « est-il le meilleur de l’album ? » … C’est possible.
C’est de l’égo-trip donc forcément, c’est plus simple à performer, et il le fait très bien, il verra d’ailleurs quelques unes de ces punchlines samplées par d’autres artistes par la suite. Encore une fois, il colorie en dehors des lignes et s’octroie un couplet bien plus important que ses deux invités. Il prouve néanmoins qu’il peut apporter un côté plus technique et freestyle, et non pas seulement un rap orthodoxe.
Inspectah Deck pose comme toujours un couplet très technique avec un flow tranchant. Impossible de passer à côté, quelques lignes suffisent pour tirer toute la couverture à lui. Si son album était sorti à temps (vers 1996), il aurait clairement marqué encore plus l’Histoire. Il est reconnu pour être l’un des plus gros kickeurs du rap.
Enfin, arrive GZA, fidèle à lui-même, sagesse et technique, finesse et pugnacité, il lui en faut peu pour s’illustrer. L’album est clairement lancé.
On arrive à mon second morceau préféré « Fake Mc’s » , un thème très fréquent dans le rap, mais diablement efficace dans l’esprit de Killah Priest. La production de 4Th Disciple est parfaitement calibrée ; au passage, on assiste à l’un des meilleurs duo rappeur/beatmaker de l’Histoire : ils ont souvent collaboré ensemble, sur des projets entiers également. Le beat est une boucle de piano qui donne l’impression d’avoir été jouée à l’envers ou qui est inversée, la ligne de basse est également très présente, du jazz couplé à une poésie formant un rap au top.
Le titre commence comme souvent par une intro très courte du prêtre, et nullement besoin d’expliquer le sujet. C’est surtout le refrain qui va faire office d’ouverture. Le beef East/West coast est toujours en vigueur et sans le dénoncer clairement, il brûle quelques milliers d’emcees. Il balancera dans le premier couplet une punchline qui est toujours d’actualité !
Traduction :
« Il y a trop de rappeurs à l’Est qui veulent devenir des gangsters
Il y a trop de gangsters à l’Ouest qui veulent devenir des rappeurs ».
Le rap est né à New York dans le Bronx au début des années 1970. Plus d’une décennie plus tard, il revêt un manteau inédit à Compton en Californie avec la naissance du Gangsta Rap. Porté par le groupe N.W.A (Ice Cube, Dr. Dre, Eazy-E…), le groupe popularise et officialise ce style de rap. Eazy-E par exemple, (et comme tant d’autres) n’a jamais écrit ses textes de rap (Cube lui écrivait à ses débuts) et les a pourtant rapper. Dans un format plus large, il y a beaucoup de gangsters, de dealers, de voyous… Qui ne sont pas dans le rap à la base, mais qui y voient quelque part une façon d’arrêter les trafics illicites, investir leur argent et prospérer.
Le rappeur Berner par exemple, originaire de San Francisco s’est créé l’un des plus gros répertoires artistiques grâce à ses ventes de weed. Il dira lui-même qu’il s’est mis au rap, car il était pisté par les fédéraux. Sans regrets, car il dira également qu’il gagne beaucoup d’argent, il n’a plus besoin de se cacher, il a des femmes et également des fans. Il a du monde avec lui, et ses albums sont plutôt bons, d’ailleurs il vient de sortir un documentaire « Weed & Wine ». Il est vrai que sur la cote ouest, fut un temps, où certains rappeurs faisaient plus parler d’eux pour leurs problèmes avec la justice que pour leur musique.
Coté Est, c’est différent, on a beaucoup de narration et d’histoires fantasmées ou complètement fictives. Cela contribue et créer une image de gangster ou de thug alors qu’il n’en est rien. Dans tous les ghettos, il y a eu des trafics, mais trop de rappeurs s’inventent une vie ou un passé pour gagner en crédibilité auprès des artisans de la rue. Pour en revenir et finir sur cette musique, c’est un thème assez récurrent dans un style de musique où la concurrence et l’égotrip sont mis en avant. KP n’en démord pas et prouve sincèrement qu’il a sa place dans ce milieu et a son propre style.
On ne comprend pas trop la suite, c’est du remplissage d’album, tout simplement… Le titre « It’s Over » est carrément inutile, il fait baisser la qualité de l’album. L’interlude qui suit « Crusaids » possède une bonne instru mais il ne rappe pas dessus… Et il faut un bon coup d’accélérateur et un turbo en bonus pour faire repartir la machine.
4Th Disciple qui a produit les deux morceaux que je viens de citer, continue, et nous livre le fameux « Tai Chi« . On retrouve Hell Razah et 60 Second Assassain en featuring, et là, on dit oui ! Ce titre est souvent cité comme l’un des meilleurs de l’album. Le titre contient plusieurs samples, dont un de la chanteuse Thelma Houston, des Commodores et un autre de Lee Dorsey. Le titre sera d’ailleurs repris en 2002 par Warcloud qui fait également parti de la Wu Fam. La production est incroyable, assez mystique et envoûtante, dans la lignée du Wu.
Un style inimitable. Hell Razah démarre avec un couplet très puissant, le meilleur sur ce morceau. Initialement enregistré en 1996, il aura fallu attendre 2 ans pour qu’on puisse l’écouter. 60 Second Assassain propose un style plus proche du reggae sur ce titre, je le trouve un peu en décalage sur la première partie du couplet, le feat ne correspond pas trop selon moi. Killah Priest ferme le morceau et chante durant deux lignes qu’il répétera jusqu’à la fin du morceau, il s’en sort de nouveau avec les éloges.
Un commentaire d’un internaute que j’aime bien à propos du titre « Cette chanson dépeint leur marche à travers les montagnes enneigées du Tibet à la recherche d’un ancien monastère sacré, dans le but de délivrer des raps éclairés qui lèvent les sorts démoniaques jetés sur l’humanité. »
C’est une excellente métaphore qui peut presque s’appliquer à tout l’album. D’ailleurs, on arrive au titre éponyme « Heavy Mental », piste 10 sur 20. Pour ce titre, également, beaucoup de monde crie au génie et au fait qu’il possède trop d’avance. Il est rare d’entendre un beat sans batterie, sans drums, aussi flottant que celui-ci en 1998. Aujourd’hui, beaucoup de producteurs usent de ce style voire en font leur marque de fabrique comme Nicholas Craven.
Mais KP l’a fait avant les années 2000, le mérite lui revient encore plus, car il a produit le titre. On est littéralement transporté dans l’espace, dans un planétarium où le rappeur nous instruit. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à concevoir ce titre sur sa forme, mais il faut dire que c’est osé et assez réussi.
L’atmosphère qu’il a su créer a certainement dû servir de point de départ pou d’autres. Priest a toujours été un artiste à part dans l’industrie. Dans le fond, il nous fait voyager avec lui, il faut juste ouvrir nos chakras, laisser l’imagination se perdre et entrer en méditation. C’est compliqué de suivre, car il fait référence à beaucoup de choses sans toujours s’attarder dessus. C’est un très long couplet sans refrain encore une fois, il nous offre un voyage sans visa ni passeport. Très déstabilisant pour son époque, mais tellement loin… dans tous les sens du terme.
Le titre qui suivra se nomme « If You Don’t Know » avec l’iconique Ol’ Dirty Bastard. Ce dernier signera uniquement un refrain rempli de sagesse. Le titre est produit par True Master et rappelle étrangement « Shadowboxing » de GZA. Il fait encore honneur à l’âge d’or du Wu. Killah Priest quant à lui propose deux couplets assez conséquents. Ce qui est à souligner, c’est que le titre se conclut sur une outro de Malcolm X, une belle réussite.
On touche maintenant à un classique absolu nommé « Atom to Adam » . Le titre semblait tellement en avance à son époque, l’écriture est tellement poussée qu’elle fait encore sens aujourd’hui. Dans ce morceau, il explique comment d’un atome, on a créé Adam, le premier Homme selon la bible. Le premier couplet décrit la conception de la vie, le second parle de la vie sur Terre et le dernier, de la vie après la mort, le paradis pour lui. Si on le suit, il croit que la vie est arrivée sur Terre via une bactérie transportée par des météorites et des comètes. Cette théorie de la vie sur Terre se nomme « panspermie ».
À la fin du premier couplet, il naît, il a passé 9 mois dans le ventre de sa mère, quitte son enveloppe « divine » et connaît lui aussi une forme physique pour évoluer sur terre.
Dans le second couplet, il traverse les siècles et les continents en parlant de la vie et use de métaphores pour décrire l’Histoire. Le passage au paradis est plus court et nous renvoie à notre première condition, cette entité céleste qu’on a perdu au profit de notre forme physique acquise en arrivant sur Terre.
La production est de bonne qualité, signée 4th Disciple. Le refrain est également très bon, il faut créditer Shangai The Messenger qui ne collabore quasiment qu’avec ce duo. Pour beaucoup de personnes, le titre est devenu une référence et a fini d’installer Killah Priest parmi les plus grands écrivains et érudits du rap.
Après avoir atteint le sommet, il fait une grave chute. Le titre « High Explosives » n’a rien à faire là pour moi. Il s’ouvre sur un refrain, comporte deux couplets légers et se referme sur un refrain. Je n’ai pas trouvé ma came avec ce titre que je juge inutile, hormis faire du remplissage d’album. C’est Arabian Knight qui est à la prod, et qu’on se le dise, il est capable de beaucoup mieux comme il le prouvera plus tard auprès de GZA, Inspectah Deck, Afu-Ra, Termanology ou encore Graig G. Cela sera vite excusé, car KP revient en force avec « Wisdom » où notre disciple préféré reprend les commandes.
Le titre parle d’une femme qu’il aime, et qu’il a faite principalement voyager au Moyen-Orient, et bien que le titre fait à peine deux minutes, il déverse énormément d’amour. Il s’inscrit parfaitement dans l’ambiance de l’album et fait penser un petit peu à un de ses classiques « Devil In Descize » avec ces chœurs dans le refrain. Le morceau s’arrête subitement quand il prononce le mot « Bible » et entame une parfaite transition avec la piste 15 « B.I.B.L.E ». Je n’évoquerai pas ce titre dans cet article, car une chronique lui est déjà dédiée, elle verra prochainement le jour sur le site. En effet, ce titre est un classique ultime du rap et il est important de le décortiquer minutieusement pour lui rendre pleinement hommage.
On arrive au morceau « Mystic City » qui est une tuerie incontestable, pourtant assez oublié dans sa discographie et dans cet album. On retrouve encore Shangai The Messenger et sa voix si précieuse, rappelant presque des chants de détresse à chaque ligne, il est parfait pour accompagner ce type de mélodie. La production est signée Y-Kim qui s’était fait discret jusque-là, et qu’il est bon de retrouver, clairement. Dans le contenu, c’est compliqué à décrire, il semble parler du monde dans lequel on vit et sa perception des choses. Seulement, il y a beaucoup de noms propres et de phrases qui n’ont pas de réels liens entre elles, du moins, je ne capte pas le sens. Ce qui pousse naturellement à l’interprétation, certaines choses sonnent justes, d’autres semblent prémonitoires. C’est aussi sa force, le fait d’écrire des textes qu’on ne peut saisir facilement, voire qui poussent à l’interprétation.
Le titre « Information » ne possède pas de clip, mais je suis tombé sur ce montage fait par la YouTube de Mystic City Assassains, que j’ai trouvé parfaitement illustré. D’ailleurs, c’est très tourné vers le Wu Tang et ses compères, c’est sympa à visionner pour redécouvrir des classiques. Le titre est de nouveau produit par le disciple qui semble être inépuisable, c’est clairement le second artisan de cet album. Sans parler du schéma de la musique encore une fois très particulier, il correspond plus à des structures musicales actuelles et pas vraiment à ce que le rap proposait… à son époque. C’est naturellement du très haut niveau !
Pour le coup, il dépeint le monde actuel qu’il avait déjà vu venir sans fausse note, seulement avec son intelligence, ses connaissances et les livres qu’il a lu. Il dénonce les écoutes téléphoniques ; les effets toxiques de la TV (elle nous regarde ou nous la regardons ?) ; les incarcérations abusives ; les réseaux sociaux et le monde virtuel ; les émeutes et les colères des peuples ; la surveillance sociale imposée par les élites, la CIA, le crédit social à la chinoise, les services secrets qui enregistrent tout… ; le rôle de l’école afin de créer des copies conformes vidant de toute substance les enfants, dont leur intelligence, leur créativité et autres ; le service militaire pour servir l’intérêt des États.
Comprenez une chose, aucune nation au monde ne souhaite votre liberté, le but est simple, vous donner le minimum de liberté physique et mentale pour s’assurer votre servitude au système. S’émanciper du système est soit fatal, soit utopique, soit extrêmement compliqué voire destructeur. Ce n’est pas impossible, mais pas aisé, et le comble là-dedans, c’est que la majorité des gens n’envisagent pas leur vie hors du système. Là est le paradoxe et la puissance qu’exercent les différents systèmes qui perdurent depuis des siècles.
La fin de l’album est proche, mais les pépites se succèdent quand on regarde de près. 4th Disciple signe encore une Wu production avec « Science Project » . La plus belle partie du titre reste l’introduction qui sample parfaitement le titre « I Will Love You Always » de The Stylistics (1976). Le saxophone est divin, d’ailleurs, ce qui suit l’est tout autant, cela aurait fait un refrain d’anthologie, dommage qu’il n’ait pas voulu le sampler.
Si Hell Razah est bien crédité en featuring, il ne rappe pas dans le morceau. Il se contentera de citer des noms de quartiers et quelques mots toujours suivis de « Science Project ». Les deux couplets rappés sont proposés par le Killah en personne. Le titre fait référence à un groupe de jeunes qui a dérivé du mauvais côté de la société bien qu’ils avaient l’enseignement nécessaire pour suivre le droit chemin. La citation en outro est particulièrement intéressante :
Quelques jours avant l’année 2020, il publiera un album nommé « The Exorcist » où figure « Science Project 2 ». Ce qui peut témoigner de ce que cette musique représente dans sa carrière. On arrive sur « Almost There » qui peut presque nous faire oublier qu’on écoute un album de rap, on se croirait dans la série de films Histoire de fantôme chinois…
L’ambiance est mystique, pas effrayante, mais plutôt lugubre, ensorcelante et surtout captivante. Le titre est très étrange au final, il semble déballer une connaissance du monde antique, actuel et celui décrit par les livres religieux comme personne ne peut le faire dans le rap. Néanmoins, on se perd vite, car c’est une façon à lui de faire de l’égo-trip je dirais, c’est axé sur sa connaissance, et non pas sur sa technique de rimes ni son flow.
C’est agréable mais pas mémorable. Cette production marquera la dernière du disciple pour cet album qui a su parfaitement capter les attentes du prêtre et façonner ce classique de ses doigts en or. En effet, le dernier morceau est produit par John Da Baptist qui est connu pour avoir travaillé avec le Wu et leur famille.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce titre est carrément de trop, il est à mon sens le plus mauvais de l’album. Pas réellement dans le coup, surtout en fin d’album, il n’est pas adapté… On dirait un sous-produit qui aurait voulu rassembler des membres du clan pour se livrer à un duel au micro, mais auquel personne n’aurait répondu. C’est bien dommage, car un gros roaster du Wu aurait pu un minimum sauver le titre « The Professional. » La fin de l’album.
C’est le défaut de l’album, trop long avec des morceaux inutiles, et comme si cela ne suffisait pas, il a ensuite sorti une édition « Anniversary » en 2019 avec 10 titres de plus ! Quand on aime, on ne compte pas, certes, mais n’abusons pas.
Néanmoins, l’outro qui accompagne ce titre est intéressante : « J’ai écrit ceci pour toi, mon fils, où que tu sois, pour tes enfants et les enfants de tes enfants, c’est un piètre héritage, mais c’est tout ce que j’ai ».
L’album s’est ouvert avec un discours du film « The Egyptian » (1954), il se ferme naturellement avec. L’album est une grande réussite noyée dans la masse et dans l’âge d’or du rap, il constitue toujours la meilleure œuvre du rappeur à ce jour. Il est resté fidèle à lui-même, bien que proche du Wu Tang, influencé également par la culture chinoise et tibétaine, plus par le côté spirituel que par le kung-fu.
C’est peut-être un tort, car il nous fait plonger dans son univers, mais l’immersion aurait été plus grande en intégrant plus de dialogues ou en créant un univers plus concret. Bien qu’il ait su créer une base de fans solide, il aurait pu faire mieux je pense, commercialement au moins. Dans l’artistique, il n’y a rien à regretter, il a le soutien des plus grands et continue aujourd’hui de proposer un rap de qualité. C’est un album à part dans la musique, surtout à une époque où la G-Funk avait fait des ravages, le Gangsta Rap était en vogue et de nombreux artistes et groupes essayaient de se faire un nom.
Il faut ranger cet album auprès des lyricistes et des univers atypiques, sa ligne de conduite est restée la même et force le respect. On peut aisément conclure en disant qu’il aura marqué toute une génération et aura réussi à briller par sa qualité et son authenticité, il doit pleurer quand il entend les rappeurs actuels qui font la une des journaux… Il était de notre devoir de lui rendre hommage et de dépoussiérer cette œuvre d’art mystérieuse et incomprise, à l’identité propre et qui pousse à la réflexion, à l’ouverture d’esprit. Il y a beaucoup de bonnes musiques aujourd’hui, mais quel album marquera son temps ? Sont-ils aussi profonds et sensés ?
Quand on s’interroge sur le monde, on se rend compte qu’il avait raison sur beaucoup de points le Killah Priest. Je me répète, mais on était en 1998, il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Seule la lecture permettait d’en apprendre sur le monde… Qui lit encore aujourd’hui ?
Chronique rédigé par Fathis