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L'Islam et le rap américain [Partie 2] : L'héritage

Préambule

Je suis athée et j’écris cet article de mon propre point de vue, non pas au nom de l’équipe d’Hip Hop Sans Frontières. Je ne cherche ni à dresser une critique, ni à encourager quoi que ce soit. Étant un grand fan de musique rap, j’ai constaté que l’Islam était très représenté. Néanmoins, la religion dominante et la plus représentée est le christianisme. Il existe d’ailleurs un courant nommé « Chrisitian rap » dont j’ai eu l’occasion d’évoquer à travers le site.

Je parlerai dans ces articles que des États-Unis, j’écoute du rap français également (tout autant que du rap international). Il existe divers dossiers sur le sujet et en toute franchise, je trouve que les pratiques ne sont pas les mêmes d’un pays ou d’une culture à une autre. L’objectif de ces dossiers est d’essayer d’analyser et de comprendre pourquoi et comment cette religion a eu autant d’importance à travers le temps au sein du rap ?

J’insiste sur le fait que la pratique d’une religion, les croyances et la compréhension des livres et différents savoirs appartiennent à chacun. Vous verrez qu’il y a beaucoup d’incohérences et plusieurs pratiques différentes. L’idée principale que je retiens est que chacun de ces pratiquants prêche le bien.

Je vous invite à me faire part de votre avis par commentaire et participer ainsi à la diffusion de la culture Hip-hop dans son ensemble. Je vais citer plusieurs sources dans cette série.

Comment est vécu l'Islam dans la Cote Est ?

J’ai parlé des rappeurs old school, place à la génération qui a suivi. Les années 90 ont marqué l’industrie du rap à jamais, c’est l’époque où l’on trouve le plus de groupes et d’artistes engagés. La nature militante même de l’expression via la musique est à son apogée ici, en tête de liste, le racisme, la drogue dans les ghettos (introduite volontairement par le gouvernement ?!), l’égalité homme / femme, Caucasiens / Afro-américains / Latinos… Une époque avec beaucoup de revendications, où les termes « food for thought », « drop knowledge » et autres fut très utilisés. Le but est avant tout d’informer, et beaucoup d’artistes ont pu se retrouver à travers les courants de l’islam. L’un des plus versés dans le domaine n’est autre que le plus grand groupe de l’histoire : Wu-Tang Clan et les membres de la Wu-Fam.

Ce sont à mon sens ceux qui s’inspirent le plus et les mieux diplômés de l’école des Five-Percents. D’autres pratiquent vraiment au-delà de leur musique comme Mos Def ou Freeway. Talib Kweli, Q-Tip et Ali Shaheed Muhammad (A Tribe Called Quest) sont aussi dans la même démarche. Il y a beaucoup d’artistes (la majorité en fait) qui sont des convertis à l’islam. Certains diront qu’ils ont été directement influencés et touchés par les courants religieux précédemment évoqués. D’autres ont été touchés par des artistes ou par des proches et ont embrassé la foi islamique. Rappelons que pour certains (souvent d’ailleurs) la foi est plus importante que la musique. Je pense à Beanie Sigel qui marchait bien sur le label de Jay-Z, Roc-A-Fella et qui a tout arrêté ensuite pour se consacrer à la pratique de sa religion.

Il y a des conversions (au-delà de la sphère musicale également) qui ont eu lieu… en prison. En effet, le système carcéral est pour moi totalement à revoir. Il n’aide en rien à part à enfermer et détruire encore plus les gens. Je reviendrai dessus avec un article dédié aux prisons américaines. Quel est le rapport alors ? On sait maintenant avec certitude que l’armée américaine et le gouvernement US se sont totalement trompés en envoyant des terroristes et djihadistes dans la même prison. Tout cela a facilité les rencontres et crée des réseaux encore plus puissants et dangereux.

Les Afro-américains qui sont injustement incarcérés se sont ainsi retrouvés en prison. Beaucoup ont dit avoir trouvé la foi, avoir lu le Coran, rencontrer des frères et avoir entrevu la lumière. Ainsi beaucoup en sont ressortis plus fort, plus aguerris et mieux armés. Tout ceci n’est pas anodin, les Afro-américains retrouvent dans les enseignements de la Nation Of Islam des ennemis communs. Le premier étant l’ignorance. Bien évidemment, certains n’ont pas attendu de passer par la case prison pour se convertir. Un exemple d’artiste converti en prison et qui perfore : Dave East.

Quid de Nas ?

"Après avoir quitté l'enseignement public en 8e, Nas se consacre au hip-hop et à l'apprentissage de la culture africaine, deux voies qui le mènent à la Nation des Dieux et des Terres (NGE). Contrairement à de nombreux rappeurs new-yorkais qui ont emprunté un chemin similaire, il n'est pas devenu plus tard membre de la Nation, mais il l'a souvent fait référence et à l'islam en général dans ses œuvres. Il a commenté ce choix dans une interview en disant : « Quand j'avais environ dix ans, j'ai pris des cours (de doctrine NGE), alors là, ça m'a ouvert. Je viens d'être intrigué par la Nation des Cinq Pour Cent, l'Islam depuis que je suis enfant, puis j'ai commencé à voir la différence entre ce qu'était la Nation de l'Islam et l'Islam dans son ensemble, alors j'ai vu la différence. Et je choisis juste ma propre voie."

Sans surprise, on le sait que le rappeur qui se fait appeler aussi « God’s son » soit le Fils de Dieu prie Jésus.

D’ailleurs pour comprendre, pourquoi tant de rappeurs américains pratiquent différemment, je cite : 

"Le couplet de RZA dans "Protect Ya Neck" illustre une conséquence de cette idée de "Dieu de l'univers". Comparés à d'autres groupes similaires, les Five Percents hébergent un "code moral plus lâche que celui autorisé dans d'autres sectes musulmanes noires", car l'organisation estime que les dieux peuvent mieux déterminer par eux-mêmes comment vivre en tant qu'êtres divins libérés. Par conséquent, tout comme chaque homme noir de l'organisation "a la capacité de prendre ses propres décisions concernant les vêtements, la consommation de drogues et d'alcool d'aliments particuliers, et les rôles dans les relations", ils peuvent également le faire : "Explorez tous les chemins et respecter les bons efforts des autres », y compris la « philosophie et les pratiques orientales », les « mouvements hébreux nubiens » et même le christianisme."

Forcément, on comprend que chacun est responsable de soi et qu’il doit assumer ses choix. Par ailleurs, on surnomme Brooklyn : Médine (deuxième ville sainte de l’Islam), et Manhattan, La Mecque (plus grande ville sacrée de l’Islam). Preuve que l’islam a une place importante dans la ville natale du Hip Hop.

Si on se déplace un peu sur la carte, en allant vers le nord-est, on tombe sur la ville de Boston. Deux artistes entièrement musulmans y pratiquent de la bonne musique, il s’agit de Blak Madeen, composé de Al-J et Yusuf. Le premier album « Supreme Aftermath » fut très bien accueilli dans l’underground, Yusuf avait déclaré à l’époque « C’est du hip-hop, avant tout. Il n’est pas nécessaire d’être musulman ou cinq pour cent ou quoi que ce soit pour le ressentir. La musique est universelle » . C’est exactement cela, garder les pieds sur terre, ne pas inciter, mais plutôt graviter autour et offrir différentes lectures.

Et dans le reste du pays ?

Freedie Gibbs qui a le vent en poupe depuis quelques années maintenant adhère totalement à l’idéologie des 5%. Il semblait même qu’il se soit définitivement converti à l’islam, il se rend également à la mosquée. Il fait des références à l’islam dans certaines musiques. Cela m’amène à évoquer The Jacka qui était l’un de ses amis, ce rappeur originaire d’Oakland s’est fait tuer en pleine rue le 2 février 2015. Ses parents avaient 14 ans à sa naissance. Les sources ne sont pas assez parlantes, on sait seulement qu’il s’est converti très jeune à l’islam. Son nom religieux est Shaheed Akbar.

L’artiste d’Oakland était d’une part très respecté dans le rap, mais également chez lui, on dit qu’il venait en aide aux personnes en difficulté. Il aurait guidé beaucoup de personnes vers le chemin de la foi. Tout proche de lui, se trouve son compagnon Husalah avec qui il forme les Mob Figaz, complété par Rydah J. Klyde, AP. 9 et Fed-X. Hus’ fait beaucoup référence à la religion dans ses musiques dit-on, je ne pourrais le confirmer dans l’immédiat mais, il est pieux, c’est sûr. Un autre rappeur également très proche répond au nom de Nef The Pharaoh. Ce dernier apprécie grandement son ainé, dans l’excellent « Out There », il indique s’être fait tatouer son pote, ne pas manger de porc et prier Allah. Je ne serais pas étonné qu’il ait suivi l’exemple de la star californienne.

Ce qui est intéressant avec ce pharaon, c’est qu’on voit bien que son fonds de commerce est les bitchs et les drogues. Après tout, la religion, c’est une relation en privée avec Dieu non ? Il y a bien d’autres exemples si on vient a creuser plus profondément. Dans l’absolu, Oakland a toujours été une ville où les Afro-américains étaient très présents. On estime qu’il représente 24% de la population environ contre 35% pour les Caucasiens. Ce n’est pour rien que le film Black Panther a cartonné dans cette ville par exemple. Ce n’est pas pour rien que le mouvement révolutionnaire Black Panther Party a vu le jour dans cette ville au même titre que 2 Pac. Le passé permet de comprendre le présent et le futur, toujours se fier à l’Histoire dès qu’on ne sait pas ou qu’on ne sait plus.

Enfin, le dernier artiste d’Oakland de source sûr, qui a été initié par le membre des Mob Figaz, c’est Joe Blow. Il le dit clairement dans le morceau « Inshallah » aux côtés  de Black Jesus et Freeway

Du côté du Midwest, on dénombre également bon nombre d’adeptes dont l’excellent Stalley, je vous renvoie à ma chronique pour T-Rex Magazine ==> Apollo Brown & Stalley par Fathis

Lupe Fiasco est quant à lui très intéressant, son vrai nom est Wasalu Muhammad Jaco, il est né à Chicago. Ses deux parents sont musulmans et il s’identifie lui-même fortement à ses racines religieuses, mais avec quelques mises en garde. Son père est un membre des Black Panthers. Il remet parfois en question la religion, il est très critique envers le système américain et va jusqu’à qualifier Barack Obama de terroriste ! Il est pieux mais, émet tout de même des doutes et ne prêche pas dans ses textes.

Toujours sur Chicago, l’autre grande figure est Capital D de All Natural et affilé au collectif Molemen. Il a grandi dans une famille catholique, en 2000, il se convertit à l’islam. Il est auteur de nombreux albums, il porte souvent un message de paix et analyse la situation géopolitique mondial. Il prend souvent position contre la politique des États-Unis et ne sort pas un album sans message. Rythme et paroles vont de paire chez lui. Parmi ces déclarations, notons celle-ci : « J’essaie de leur montrer que vous pouvez être créatif, artistique, heureux et toujours musulman ».  On y lit par ailleurs « Pour des raisons religieuses, Kelly ne se produit que dans des lieux qui ne servent pas d’alcool lorsqu’il est sur scène. » source : Capital D

Enfin, dernier grand nom du Midwest : Brother Ali. Il a une particularité physique qui va changer sa vie, c’est qu’il est albinos. Cette anomalie qui affecte sa peau l’a fait souffrir de discrimination, il s’est senti mieux accueilli auprès des Afro-américains. Il a 15 ans quand il décide de se convertir à l’islam pour des raisons qui sont également liées à son albinisme. C’est aussi à sa conversion qu’il décide de s’appeler « Ali ».

"Dans la chanson Daylight de l'album The Undisputed Truth Ali explique : « Ils me demandent si je suis noir ou blanc, je ne suis ni l'un ni l'autre. La race est une invention, je n'y crois pas, mes gènes me lient à ceux qui me méprisent. Qui ont gagné leur vie en tuant ceux qui m'ont inspiré. Ce n'est pas juste parler de chanter et danser. Les hommes noirs m'ont enseigné la vie et être un homme. Donc je suis le produit de cette compréhension et une petite partie de moi ressent d'être l'un d'entre eux. Cela fait il de moi un menteur ? Peut-être. Mais je ne veux pas que les blancs qui m'acclament pensent qu'ils peuvent me revendiquer".

Lors d’une interview (2015) :  

"Quand j'avais 13 ans, mon artiste préféré au monde était KRS-ONE. Une fois, je suis allé à une conférence qu'il a donnée à la Michigan State University où il a éveillé en moi une fascination pour l'apprentissage et l'éducation. Ce soir-là, il m'a fait voir que le meilleur outil pour atteindre le salut et la liberté est la connaissance.

Il a fait de l'histoire, de la science, de la religion et de la philosophie non seulement de l'importance pour moi, mais aussi une force irrésistible. Dans cette conférence, KRS-ONE revenait sans cesse à Malcolm X et faisait référence à son autobiographie tout au long de son discours. Quand j'ai lu le livre, je suis immédiatement tombée amoureuse de Malcolm. À la fin de sa vie, lorsque Malcolm a déclaré que l'Islam était le seul système capable de guérir les Noirs de leur complexe d'infériorité et de guérir les Blancs de leur complexe de supériorité, j'ai su que je devais devenir musulman. Il n'y avait aucun doute.

J'ai donc commencé à mêler certaines expressions typiquement américaines de l'islam, comme la Nation of Islam (NOI) et la Nation des 5 %. À l'époque, j'avais également eu des interactions avec des communautés musulmanes sunnites majoritairement immigrées et j'essayais de synthétiser toutes ces idées au début de mon adolescence. À l'époque, ma mère était vraiment inquiète pour moi parce que mes pensées et mes idées étaient tellement éparpillées un peu partout. Alors elle a regardé autour d'elle et a trouvé une petite mosquée près de notre maison à North Minneapolis, Minnesota, qui faisait partie de l'Association de l'Imam Warith Deen Mohammed. À l'époque, il n'y avait pas de meilleure communauté pour moi.

Selon mon expérience personnelle, l'imam Warith Deen Mohammed et sa communauté ont été des pionniers musulmans américains dans le travail de construction d'alliances entre la communauté musulmane et les institutions occidentales. À partir du milieu des années 1970, l'association de l'Imam Mohammed était constamment engagée dans le travail interconfessionnel, les activités civiles et la sensibilisation générale des institutions gouvernementales. Il y a eu les premiers Américains musulmans à prononcer des prières au Congrès, à donner des conseils à la Maison Blanche et plus encore. À mon avis, la contribution la plus importante de cette communauté a été de créer des espaces où l'identité islamique américaine était complètement et organiquement harmonisée avec son identité ethnique et nationale. Les gens de cette communauté n'ont jamais eu le sentiment que leur islam était en quelque sorte opposé à leur noirceur, leur américanité ou leur génération d'âge.

Encore une fois, l’idée n’est pas de dresser une liste des artistes musulmans dans le rap américain, mais de plutôt comprendre la chose. Les attentats du 11 septembre que beaucoup remettent en question (Immortal Technique en tête de liste) ont développé un sentiment anti-musulmans aux USA. Forcément, dans le pays où la religion nationale est le christianisme, cela n’a pas encouragé de nouvelles conversions. 

Il y a également l’immense évolution du hip hop dans son ensemble et la migration des pôles interne à prendre en compte. New York est sûrement la ville du savoir dans le milieu, mais elle est aujourd’hui bien moins attrayante que Los Angeles ; des villes comme Atlanta, Houston, Oakland, Seattle, Chicago ou Detroit ont clairement leur mot à dire. Cela vient prouver à quel point le hip-hop est inspirant et comment il a lui-même été inspiré. Il convient tout de même de rappeler que les rappeurs musulmans sont très minoritaires.

Rédigé par Fathis