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[Chronique] LNDN DRGS - Affiliated 2

01. Bark Loud
02. The Fee Is Mine (feat. K-Dee)
03. Not For Sale (feat. Kokane)
04. Bolt 45 (feat. Clyde Carson)
05. Waffle House (feat. Stalley)
06. Amalfi Drive (feat. Leven Kali & Mc Eiht from Compton’s Most Wanted)
07. Fun (feat. AllBlack)
08. Back At It (feat. Del the Funky Homosapien)
09. One Cup (feat. Lil’ Keke)
10. Real Original (feat. Domo Genesis)
11. Sepulveda (feat. TRAE THA TRUTH)
12. On The Regular (feat. Big Hit)
13. Heathrow Bound

Localisation : Compton, Los Angeles, USA / Vancouver, Canada

Année : 2024

Voici un album que l’on n’a pas vu venir et qui postule pour être le lauréat de l’année, tout simplement. Il aura fallu attendre 5 années pour voir la suite du projet « Affilated ». L’idée comme son nom l’indique, c’est de faire intervenir des invités appréciés par le duo ou des potes sur l’album. Et si certains, se demandent pourquoi aucun rappeur de Griselda, Curren$y, Larry June ou encore G Perico sont sur l’album… C’est par ce que le roaster a totalement était revu afin d’être renouveler. Et c’est ce qu’on aime, livré encore un album de qualité avec une toute nouvelle équipe. C’est l’été avant l’heure, ils ont apporté le soleil qui manquait dans le rap, une musique en saturation depuis quelque temps déjà.

London Drugs

C’est le nom du groupe composé du rappeur Jay Worthy et du beatmaker et producteur Sean House. Il faut savoir qu’ils sont difficilement accessibles, car ils ne donnent que très rarement voir jamais d’interview. Ils ne communiquent pas des masses (surtout Sean) et sont forcément encore plus discrets dans nos contrées. Allons à leur encontre et voici ce que je peux vous en dire. L’histoire commence dans les années 2000 où les deux compères se rencontrent à travers des houses parties, ils commencent à réellement rouler ensemble en 2010. Le succès arrive très tôt, en 2015 avec le hit « Uza Trikk » en featuring avec A$AP Yams (R.I.P), G Perico et Earl Swavey. Ce qui marque par extension la sortie de leur premier EP « LNDN DRGS ». Ils conserveront ce nom pour nommer leur groupe, de base, c’était juste pour nommer leur EP et c’est resté. Ensuite, les sorties de projets s’enchaînent à un rythme assez important. Il est compliqué de qualifier leur style, eux appellent cela « du gangsta rap sur du funk » et non de la G-Funk. Je pense que c’est bien défini.

Concrètement, c’est une réelle alchimie qu’il y a eue entre les deux. Sean produit depuis un moment et il a pour habitude de rider avec Jay. Sean passe souvent des morceaux de funk et de soul. Jay repère des morceaux intéressants et Sean s’occupent de créer des samples et des boucles pour pouvoir rapper. Le choix des titres appartient aux deux artistes bien que Sean soit le maitre à jouer. La pièce maitresse de leur discographie est leur EP : Aktive (2015) qui leur a ouvert la porte à beaucoup d’artistes, dont Cardo, AlchemistDâm-Funk, Jake One… Ce projet a connu une sacrée trajectoire, Aktive devait initialement sortir sous le label d’ASAP Yams (A$ap Worldwide) après qu’il ait pris le duo sous son aile, mais il est finalement sorti sur SoundCloud via Fool’s Gold. En 2018, ils rééditent une version deluxe de l’album avec neuf chansons supplémentaires disponible sur tous les services de streaming. L’album contient des feats avec Polyester The Saint, Payroll Giovanni, Freddie Gibbs, Krayzie Bone, YG Hootie, K-Dee

Le duo a également sorti « P On the DRGS » (2017), « Brain On DRGS » et « WestSide Party » avec King Most en 2018, « Umbrella Symphony » avec Curren$y (2019), une série de projets nommés « Burnout » (2020) et évidemment « Affilated » en 2019. Ce dernier contient des featurings de Iamsu!, Problem, Soopafly, Conway The Machine, T.F, Larry June, Casey Veggies, Meyhem Lauren, Mac Mall, G Perico… Entre temps, Jay Worthy a également sorti des projets dont : « Fantasy Island » avec Alchemist et « G-Worthy » avec Cardo et G Perico en 2017. « The Tonite Show with Jay Worthy & Mitchy Slick » (2018), Two4one et avec Harry Fraud « Eat When You’re Hungry Sleep When You’re Tired » en 2020. Il est, en effet, très friand des projets en collaboration, on peut ajouter à cette prestigieuse liste : Dj Muggs (Cypress Hill), T.F, Budgie, Roc Marciano ou encore Kamaiyah. Et pour la plus récente du groupe : Jay Worthy, Larry June & LNDN DRGS2 P’z In A Pod  (2022).

C’est intéressant à noter, souvent, on crédite Jay en plus du groupe. La raison, la plus évidente est qu’il a gagné une certaine notoriété et que son nom est plus célèbre que le nom de son groupe. Il est maintenant signé chez Griselda Records (Westside Gunn, Benny The Butcher, Boldy James, Rome Streetz, Camouflage Monk, Conductor Williams…). C’est assez ironique comme signature d’ailleurs, car il est assez différent des standards du label très axé street. C’est un rappeur qui divise un petit peu par le fait qu’il utilise le mot « nigga » alors qu’il n’est pas noir. Il ne fait pas non plus l’unanimité au micro, on lui reproche un flow assez identique et pas technique, les beats sont tellement bons qu’on relègue au second plan ses lacunes. Il faut avouer qu’il a beaucoup évolué et que les critiques à son encontre ne sont pas toujours fondées. Il est également reconnu sur le fait qu’il arrive à bien s’entourer, faire des choix stratégies et des collaborations qui portent rapidement leur fruit. Il est évident qu’il n’est pas le rappeur qui brille le plus sur un freestyle ou un posse song, mais il s’adapte bien aux instrus qu’il choisit. Sa soif insaisissable de créer de la musique est plus qu’encourageante. Il a une voix assez lourde et en général, il se distingue assez rapidement. Ce qui contraste en général avec les productions assez funky sur lesquelles il pose.

Quant à Sean House, il est trop discret. Comme si son génie nécessitait de longues hibernations. En effet, en dehors de son travail pour son groupe, il n’y a quasiment rien à se mettre sur la dent. Alors, certes, à chaque fois sorti, on a l’impression que c’est tout un show de lowrider qui descend jusqu’à Houston, mais c’est tellement rare. Il ne semble pas du tout concerné par une carrière solo, au contraire, il met toute son énergie à soutenir le groupe ou son compagnon. Plus qu’un beatmaker, il semble assez investi dans les projets solos/collaboratifs de Jay. Et comme il communique très peu et ne tease pas grand-chose, difficile d’aller plus loin. Et pourtant on aurait aimé tant il est fort !

Une musique conçue pour des décennies

J’entre maintenant dans le vif du sujet, à savoir l’album « Affilated 2 » qui mérite une ovation des plus mémorables. L’album ne fait pas dans la dentelle et nous fait de suite bouger les hanches avec un sample de « Touch Me (All Night Long) » de Fonda Rae et le groupe Wish. Les sonorités discos reconnaissables à travers les percussions tel le xylophone nous projettent immédiatement sur la piste de danse. Le sample est bien découpé, il ne possède pas de refrain, juste la voix de Fonda Rae en fond qui accompagne l’imposante voix de Jay. On ralentit le tempo sur le morceau suivant pour intégrer le rappeur K-Deee qui possède un flow assez fluide et qui épouse parfaitement la rythmique. Là encore, on sample un classique « The Beat Is Mine » du groupe américain « Vicky D ». Sean a ralenti la boucle, y a incorporé de nouveaux éléments et le tour est joué. Le principe est très similaire au morceau précédent « Bark Loud » avec le sample du chanteur qu’on entend tout le long du morceau avec un effet comme on peut entendre dans certains titres de Michael Jackson. Sauf qu’ici, on a un refrain rappé, simple et efficace.

Le troisième titre « Not For Sale » constitue le premier banger de l’album à échelle nationale, voire mondiale, je dirais. On tient l’un des titres qui aurait largement sa place dans un best-of du groupe, et ce, même dans 20 ans. C’est le seul titre à ma connaissance qui samplent deux morceaux différents pour obtenir ce troisième morceau de rap. Le refrain est carrément devenu ma sonnerie de téléphone pour info. Le titre sample de nouveau un titre disco « If the Price Is Right » de Bonnie Pointer qui semble simple à reproduire à première vue, mais encore une fois, Sean découpe parfaitement le classique. Le refrain est rechanté et revu par un chanteur masculin, le BPM reste élevé (101) mais bien plus smooth que l’original. Il faut dire que 40 ans sépare les deux morceaux, c’est logique de le redynamiser et le retravailler. Mais la plus haute valeur ajoutée est évidemment la présence de l’inimitable Kokane ! L’OG, comme il aime s’appeler, navigue dans les eaux claires des vibes funky et soul depuis les années ’90 a fait le bonheur de toute la planète. Autant présent aux côtés des artistes comme Dr. Dre (Chronic 2001), Rekta ou Cartelsons (France) ou des B.O comme Deep Cover, Bones, Training Day… Il semble impossible d’être passé à côté du phénomène qui ferait presque oublier le regretté Nate Dogg. Forcément son refrain à lui seul est une masterclass, et que dire de son couplet ? Hormis qu’il se soit inspiré du titre « Heart Of Glass » de Blondie qu’il a parfaitement reproduit, il a bien saisi les temps dans les musiques. Si on distingue clairement deux séquences dans la partie réservée aux couplets, Kokane s’assure pleinement de proposer des variations de flows qui ne laisseront à coup sûr personne indifférent. Nul ne pourra lui contester sa place, aucun autre artiste n’aurait pu mieux s’approprier les 2/3 du morceau.

On est plus terre-à-terre avec une rythmique plus lente et plus proche des classiques du rap avec « Bolt 45 » Ce vieux briscard de la Bay, Clyde Carson refait parler la poudre après une longue hibernation (parsemée de quelques singles), et comme souvent, il donne de la force à la collaboration. Ce parti pris de ne pas faire de refrain peut être un frein pour certains. Le tempo continue encore de baisser avec « Waffle House » qui voit intervenir Stalley. Assez étonnant de voir le rappeur de l’Ohio, lui qui est musulman, très pieux et délivre souvent une bonne lecture de la société, venir rapper sur un titre assez léger. Son couplet est des plus notables, les fans s’y retrouveront assez facilement, car il va au-delà de répondre à la demande de collaboration, le rappeur anciennement signé chez Rick Ross (Maybach Music), prouve qu’il est toujours au top. Sa prosodie fait toute la différence et ce featuring fait également parti des meilleures collaborations de l’album.

Et maintenant, on stoppe tout et on écoute… ! Arrive LE morceau de l’album, du groupe et plus encore.« Amalfi Drive », et avant de continuer à en parler. Il faut définir ce titre qui a une importance capitale pour comprendre sa vibe. « Amalfi se situe sur le golfe de Salerne (mer Tyrrhénienne en Italie). La côte amalfitaine est principalement constituée de falaises rocheuses. La ville est implantée sur des parois rocheuses qui plongent au fond d’une gorge, s’ouvrant sur le port, le tout dominé par le mont Cerreto (1 315 m).  » C’est ce que dit Wikipédia. Depuis 1997, elle est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle est constituée principalement d’édifices religieux et de musées et est très faiblement peuplée. Par contre, en termes touristiques, c’est intéressant. Hormis ses magnifiques plages, son coté nature sauvage et son port animé, elle offre une expérience unique. En effet, il est possible de longer le bord de mer durant environ 2 heures sans panneau stop ni feu rouge. On comprend vite que c’est la relaxation extrême étant donné que le seul arrêt autorisé est le coucher de soleil. Avouez, ça fait rêver. Elle est donc devenue une référence pour ceux et celles qui aiment chiller tranquillement en voiture, la ride est permise comme nulle part ailleurs. Cette musique est une invitation au voyage, mieux encore, elle vous permettra de faire le voyage à l’instant T sans que vous n’ayez quelque chose à faire. C’est magique, c’est une carte postale consultable en permanence et un rayon de soleil qui nous réchauffera sans jamais nous brûler. Encore une fois, on atteint un BPM très lent (71), on n’ira pas plus bas, mais c’est nécessaire. 

Mc Eiht (Compton’s Most Wanted) propose un couplet en plus, mais honnêtement, on n’est focalisé que sur le refrain et la vibe. Le sample est encore une trouvaille de dingue, c’est Tyrone Davis et le titre « Ain’t Nothing I Can Do » qui ont permis la création de cette sucrerie. Encore une fois, c’est très discret dans les sonorités, mais envoûtant, relaxant et le travail de Leven Kali relève du génie. Ce chanteur à la voix si particulière ajoute une touche d’érotisme dans le refrain un peu comme pouvait le faire Johnny P (R.I.P) et d’autres chanteurs des années ’90. Cet artiste néerlandais, connu pour avoir travaillé sur « Renaissance » de Beyoncé et « More Life » de Drake semble totalement emporté dans son inspiration… On l’entend encore chantonner alors que le morceau est prêt à se boucler. C’est ce que j’appelle un refrain marquant, bien écrit, bien interprété et clairement identifiable, c’est un style qu’on ne retrouve que très rarement. Du sur-mesure et livré avec amour, pour ceux qui découvrent ce chanteur, c’est clairement une vitrine de se présenter via une telle prestation. On a qu’une envie, c’est de le voir performer en live sur une scène très colorée et une piste qui nous laisse de quoi bouger notre corps avec cet hymne.

Bien conscient de leur réussite et de son futur succès (il fera office de single), il change de style par la suite. Le morceau qui suit se nomme « Fun », à l’opposé du précédent, un sample qui renvoit à la old school avec des grosses caisses claires et des débits plus importants dans les flows. Cette fois, c’est ALLBLACK qui s’y colle, son entrée est fracassante, car il isole l’instru avec une sorte de reverbe et il découpe son couplet comme personne avant lui dans cet album. On revient un peu dans le style des premiers morceaux de l’album. Grande réussite. Et s’il y a bien un artiste qu’on n’attendait pas, c’est bien Del The Funky Homosapien (Hieroglyphics), impossible de vous dire la dernière fois qu’on l’a entendu officiellement. Ce vétéran n’a évidemment aucun mal à se poser sur un beat alternatif et qui diffère du reste de l’album. Sean a sûrement voulu lui faire un clin d’œil, en tant qu’auditeur avéré (comme beaucoup) de l’artiste.

L’album semble légèrement s’essouffler en fin de course, nous ne sommes pas dans du « screwed & chopped » mais la présence de Lil Keke sur « One Cup » pourrait le faire croire. Le schéma est plus classique, couplet/refrain / couplet/refrain, un peu trop rappé pour qu’il reste en tête. Pas le temps de s’ennuyer, car la Cadillac repart aussitôt avec « Real Original » qui est encore plus volatil. Mais l’un des morceaux phare de cet album, c’est « Sepulveda » qui sample la sublime Melba Moore et son « Livin’ For Your Love ». Ce qui permet à un autre rappeur de Houston de poser un couplet toujours apprécié, veuillez accueillir Trae Tha Truth. Et si j’apprécie beaucoup le rappeur Big Hit (qui a sorti un album de dingue en 2023), son apparition passera au second plan sur « On The Regular« . C’est un morceau avec lequel j’ai du mal, il est en décalage de l’album dans le style et dans le contenu, dommage. On fini heureusement et inévitablement sur une bonne note : Heathrow Bound avec aucun feat ou presque. En réalité le morceau sample « I Don’t Wanna Be Lonely » de Midnight Star et encore une fois, il est parfaitement intégré à la musique, ce qui donne une excellente fin de musique, d’album et une outro magistrale.

Sean House (gauche) et Jay Worthy (droite)

L’analyse de l’album est conséquente mais nécessaire et primordiale tant, le projet est grand. Le mérite revient à tous les artistes, autant Sean House qui a su trouver des samples de qualités, les exploiter et les remanier comme jamais. Toujours dans l’ombre, mais indispensable et c’est bien quand il compose pour LNDN DRGS qu’il est le plus efficace. On aimerait maintenant le voir produire pour d’autres artistes et que son nom s’exporte, bien sûr, il ne faut pas que cela soit au détriment de la qualité. Je pense que ceux qui vont découvrir ou (re) découvrir voudront se replonger sur le travail du groupe, et il y a de quoi faire.

Jay Worthy quant à lui se régale de toutes les prods, on le sent toujours assez à l’aise sans grande valeur ajoutée. Il est dans les temps, il ne court pas après les temps, il s’adapte très bien. Il ne se laisse que rarement dépasser par ses invités, fait rare, aucun invité ne livre une mauvaise prestation. Il faut rappeler qu’ils sont au nombre de 12 sans compter les refrains et autres dans les samples. C’est homogène, bien mixé, bien masterisé, tout est bien ficelé, ce qui n’est pas simple vu l’envergure du projet et du style orienté disco. Tout cela peut vite partir dans tous les sens. En un mot, cela veut clairement dire qu’on a ici la marque d’un grand groupe. Leur meilleur album à ce jour et pourtant, ils ont une sacrée discographie. Si avec ça, vous ne vous la coulez pas douce cet été…

En tout cas, ils sont en train de créer un nouveau style aux côtés d’artistes comme Anthony Danza dont on ressent des similitudes avec ses BBS Diaries ou encore All Hail Y.T. D’ailleurs, on aimerait les voir rapidement accomplir des merveilles avec ce duo. On espère voir d’autres artistes un peu moins connus et qui surfent sur cette vibe comme Curtis Dro, Aj Snow, Le$, Banco Ray, Ru$h… Personne ne serait capable de dater cet album et personne ne peut imaginer que nous sommes en 2024. Plus personne n’apparaît dans le rétro.

Rédigé par Fathis