01. Light Prisms (Feat. Rasheed Chappell & Xp The Marxman)
02. One Way Or Another (Feat. Aaron Cohen & UFO Fev)
03. City Lights (Feat. Rome Streetz, Ty Da Dale & Sauce Heist)
04. Gravity (Feat. Jared Evan & Ren Thomas)
05. Santeria (Feat. Dirty Sanchez 47 & Lord Sko)
06. Gain Knowledge (Feat. Wais P & The Musalini)
07. Lewis Walker Interlude
08. Champagne For The Pain (Feat. Termanology)
09. My Nephew And I (Feat. Bobby J From Rockaway)
10. Soul Ties (Feat. Passport Rav)
11. The Recipe (Feat. Lil Dee)
Avant de parler concrètement de l’artiste et de l’album, je voudrais faire un point sur les beatmakers en général. En premier lieu, il y a une différence de langage avec nos amis anglo-saxons. Aux États-Unis, le terme « producer » (producteur) désigne en fait celui qui a produit le projet, pas la musique en question. Ils vont utiliser le terme « beatmaker » pour désigner l’artiste qui a conçu la piste audio. En France, le mot producteur équivaut en général au beatmaker, donc celui qui a fait la piste instrumentale. C’est important à souligner bien qu’en général, on dit plutôt producteur que beatmaker pour désigner ce dernier. Le « producteur » américain est plutôt le maestro, le chef d’orchestre, celui qui peaufine, supervise et apporte sa patte. Le meilleur exemple étant Dr. Dre qui « commande » presque ses musiques, on avait écrit un article sur ce fabuleux artiste. On y reviendra avec un article actualisé.
Alors pourquoi cet aparté important ? Pour plusieurs raisons, dont le plus important, la reconnaissance. En France, le beatmaker est rarement mis en avant, voir jamais. On peut faire le parallèle avec les directeurs artistiques et réalisateurs de clips hormis des noms comme Chris Macari ou Sank. C’est un vrai problème dans l’industrie, et c’est l’une des raisons pour laquelle on a lancé des compilations « Respect The Beatmaker » . Personne ne va écouter un album a cappella contrairement à un album instrumental, on peut schématiser ainsi. Résultat, il faut se faire un nom en tant que beatmaker et l’imposer dans les crédits pour être connu du grand public. En parallèle, des tas d’artistes amateurs et pros ont utilisé des beats « gratuits » pour concevoir leur album sans toujours mentionner le beatmaker. Mais ils l’ont fait assez régulièrement pour donner du crédit à pas mal d’entre eux dont : Oxydz, Anno Domini… Qui ont avant tout brillé par la qualité de leurs productions, la preuve, aujourd’hui, ils font partis des références undergrounds.
Outre-Atlantique, c’est différent. Déjà, il y a eu beaucoup de duos de rappeurs et de beatmakers, soit en tant que groupe, soit en tant que duo. Et chacun est reconnu et respecté autant que son vis-à-vis en théorie. Le rappeur prend toujours soin d’introduire le beatmaker qui ne possède pas de micro. L’autre différence, c’est qu’aux USA, il faut se vendre, et tous les artistes sont en général crédités et se mettent en avant. C’était moins vrai avant les années 2010 environ. Combien de fois, il a fallu contacter directement l’artiste ou chercher longtemps pour savoir qui avait produit telle ou telle musique ou chanter tel ou tel refrain ! C’est à mon sens, très illogique et irrespectueux, à moins que cela était convenu ainsi. En revanche, ces derniers temps (principalement avec l’underground), le beatmaker est très crédité, c’est presque devenu un argument commercial. J’aime beaucoup une phrase de Ras Kass, qui disait que les featurings, c’était juste pour le marketing. Car en somme, il peut faire un album sans invités. Aujourd’hui, les rappeurs de tout bord mettent en avant sur la tracklist chaque producteur. Et en effet, ils ont raison, car il y a plein d’albums / artistes qui seraient passé à la trappe sans un beatmaker de renommée en guise de pub sur leur tracklist. C’est à mon sens, une victoire totale pour le rap et sa communauté. Il y a encore du chemin à faire pour d’autres corps de métiers (Dj’s, chanteurs / chanteuses par exemple) mais c’est une réelle victoire et une avancée certaine.
Au point qu’aujourd’hui, la « star » est le beatmaker sur certains projets. Il se permet de sélectionner les artistes avec qui il souhaite travailler pour réaliser son propre album. Je ne parle pas de compilations et autres, mais bien d’inédits comme celui-ci. Nef, riche de toutes ses expériences l’a bien compris. Citons : Flee Lord, Mickey Factz, Ea$y Money, Nems, Mooch, Rigz…
Le projet qui l’a également mis en avant est celui en collaboration avec XP The Marxman et Domapeace : Late Nite Views. Il est d’ailleurs crédité autant que les deux rappeurs et non pas en simple « produced by… ». Ce qui est à souligner, car c’est le même pied d’égalité que les autres artistes du projet. Nef est également ingé son et il chapeaute tout depuis son studio « Time Is Money » situé à Brooklyn. Véritable artiste indépendant, très présent sur la scène underground comme nous venons de le voir, il sort définitivement son propre projet. Les précédents ont également eu l’importance mais n’étant pas autant diversifié en terme d’artistes, celui-ci est plus éclectique.
L’album s’ouvre avec le second single qu’il a nommé « Light Prisms » qui réunit Rasheed Chappell et XP The Marxman. Ces trois-là se connaissent bien et le rendu est forcément de qualité. Les deux rappeurs possèdent une voix assez particulière et reconnaissable, car elles naviguent entre un aigu prononcé et une autre très profonde.
La seconde piste est quant à elle le premier single officiel « One Way Or Another » avec Aaron Cohen et UFO Fev, encore une fois le travail est de qualité. Enfin, on retrouve un dernier single « Champagne For The Pain » avec Termanology qui fait parler son talent sur un beat bien rythmé sur une guitare électrique assez smooth. Les fans de rap underground actuels et notamment toute cette nouvelle scène hyper productive s’y retrouveront facilement. En plus de tous les artistes présents sur l’album, les beats comportent beaucoup d’instruments appréciés : violon, piano, guitare, chœurs… Et surtout toujours une batterie, ce qui contraste également avec certains beatmakers qui s’en passent totalement. L’album dans sa globalité embarque 10 titres rappés et un interlude qui est également bien produit. Aucun titre n’est à jeter, « Gain Knowledge » est par exemple une pièce majeure et répond parfaitement au style des artistes. Il s’ouvre sur un sample typiquement orienté pour le pimp que représente The Musalini, des notes de piano bien huilés. « Santeria » avec son ambiance plus angoissante et ses cornes permet à Rome Streetz, Ty Da Dale et Sauce Hei$t de kicker fort sur un BPM plus lent. On appréciera également la présence du chanteur Jared Evan aux côtés du rappeur Ren Thomas sur « Gravity » qui aurait également pu faire un single plus accessible.
Voilà, on y est, on tient la pièce maîtresse du beatmaker, on peut aisément dire qu’avec cet album, il a trouvé son public et imposé son style. L’album porte bien son nom, il y a suffisamment de titres, la qualité avant tout oblige et c’est élégant, rien ne dépasse, tout est propre. La musique est bonne, homogène, pas de titre en dessous ou trop en décalage avec les autres, un travail de gentleman. On sent que tout a été fait avec une certaine éthique, quand on a un RDV important, on soigne chaque détail. Nul doute qu’on le verra de plus en plus souvent crédité sur les projets à venir d’autres artistes. Nef a livré un album de singulier.
Rédigé par Fathis