Penar est un artiste né en France en 1992 et qui est parti vivre en Suisse dès l’âge de 11 ans avec sa famille. Le rap est sa passion principale, et elle semble trouver ses origines auprès de son père, un musicien, compositeur et chanteur. Bien que sa mère n’était pas musicienne, elle lui a fait découvrir beaucoup de musiques. En dehors de sa passion, il est un ouvrier indépendant dans le bois et le bâtiment. Mais qui de mieux placé que l’intéressé lui-même pour en parler ?
Ma rencontre avec le rap est un souvenir marquant ! J’ai 8 ans, c’est le jour de mon anniversaire.
Ma grand-mère m’avait donné un peu d’argent et je suis allé chez un disquaire sans trop savoir quoi m’offrir ni pourquoi. Mon regard a tout de suite été attiré par un titre : J’appuie sur la gâchette (1993), de Suprême NTM. Je me souviens de cette pochette avec un gun dessus : mon premier achat. Sans hésiter.
De retour à la maison, j’ai pris une vraie claque en l'écoutant. Je ne sais pas si j’étais conscient que j’écoutais du rap à ce moment précis, mais je me souviens bien avoir écouté ce CD en boucle et connaître très vite par cœur toutes les paroles.
Entre mes 8 ans et mes 11 ans, j’ai découvert d’autres artistes qui m’ont marqué tels que Mc Solaar, IAM, la FF et Eminem. Gros choc aussi en visionnant La Haine pour la première fois. C’est comme si, à partir de ce film, je captais enfin d’où venait le rap, ce rap que j’écoutais. Je comprenais et je sentais dans tout mon être à quel point c’était fort de pouvoir s’exprimer et dénoncer les injustices.
Puis, j’ai traversé une période de quelques années pendant laquelle je me suis un peu détourné du rap pour m’intéresser au rock, hard rock, métal, punk. À cette époque, j’étais à fond dans le skate.
Vers mes 13-14 ans, je suis revenu au rap. J’écoutais aussi beaucoup de reggae.Penar Tweet
La culture hip-hop ne cesse de se développer en lui, pour preuve, il se mettra au graffiti dès son adolescence. Il trouve un nouveau moyen d’expression à travers cet art à part entière. Il s’y investit tellement qu’il finit par ouvrir une boutique en ligne dédiée au graffiti et participe à plusieurs évènements afin de vendre son produit, de valoriser son travail et de gagner en visibilité. Donc, si vous voyez des graffs signés Penar, vous savez qui se cache derrière. Comme le voulait la tradition, pour se qualifier d’artiste hip-hop, il fallait toucher plus ou moins à toutes les disciplines. Et c’est chose faite le jour où il décide de s’acheter une MPC pour s’essayer au beatmaking. Suite à des soucis de santé, il délaisse le graffiti au profit de l’écriture et de la production de beats. Et comme les étoiles ne naviguent jamais seules, il fait la rencontre de deux artistes expérimentés qui vont le motiver et l’accompagner : Lessa et Jas. Il est devenu papa de deux filles entre temps, c’est donc le soir, la nuit qu’il met sur papier toutes ses idées, perché sur son balcon, il trouve l’inspiration. Il crée sans cesse et possède un tas de morceaux qui ne demandent qu’à être kickés dans un studio. Et pour couronner le tout, il me fait penser à Youss du groupe Intik qui disait qu’il fallait toujours rapper en public, devant 10, 100 ou 1000 personnes. Un vrai Mc prendra le micro et fera son show sans se soucier du public qu’il aura en face, pourquoi ? Car il est sûr de lui et de son art.
Penar devient un habitué des open mic, autant fan de rap que pratiquant chevronné, il pulvérise les micros à chaque fois qu’il en a l’occasion. Il fera d’ailleurs pas mal de rencontres et de freestyles improvisés ainsi, on peut citer Melan, Cenza, Youssef Swatts ou encore Boss One du 3ᵉ Œil. Ce qui est déjà une victoire en soi. Tout a bousculé le 7 octobre 2023 quand il a fait la première partie de l’Hexaler. En août 2024, il se lance dans son album avec des séances assez intenses. Une présélection de 25 titres pour en enregistrer 13 dans un studio professionnel. Résultat, exit le home studio et bonjour les sessions de 4 à 5 heures d’enregistrement. Un vrai travail de professionnel.
Au fait, pourquoi Penar ? Pourquoi « Cercle Vie Cieux » ?
Comme écrit plus haut, Penar était mon dernier blaze avant d’arrêter le graff. Je l’ai très peu utilisé, ayant arrêté peu de temps après l’avoir trouvé. C’est venu d’un mélange d’idées, d’émotions, de jeux de mots. De mémoire, mon cheminement était : Peinard, Peine art, Pen art (art du stylo), Pena (peine en langue latine), Penna (stylo en langue latine).
J’avais commencé à réfléchir au nom de l’album dès 2022. Je notais quelques idées.
J’aime beaucoup les jeux de mots, les double-sens. Cercle Vie Cieux s’est imposé. Ce mélange d’expériences douloureuses dans lesquelles je me suis trouvé, entremêlées à des élans de vie positifs qui, peu à peu, trouvent place : l’espoir, la rêverie, la spiritualité. La fraternité dans la musique aussi…Penar Tweet
Pour ma part, ce fut une très agréable surprise, car je ne connaissais pas du tout l’artiste. Forcément, l’origine, le fait que cela soit en français (j’en écoute moins) m’a forcément parlé, de plus, la pochette est vraiment bien réalisée, je trouve. Elle me rappelle étrangement d’autres pochettes, et la première qui me vient en tête est celle de « Une vie et quelques » (2022) du rappeur Hugo TSR. Puis en regardant la tracklist, j’ai également eu le sourire en voyant deux fois le nom de Mani Deïz, qui, comme je l’ai déjà dit, au risque de me répéter même, il fait partie des dix meilleurs beatmakers français de ces dernières années. Donc forcément, voir son nom sur une tracklist, c’est un signe de confiance et de qualité, on se met déjà à croire au projet. Le premier extrait où on entend les gros kicks de sa MPC se nomme « Dit Moi Pourquoi », hit de l’album à l’instant même où les premières notes de piano résonnent.
Le titre et le thème sont parfaitement choisis. Penar use d’un flow novateur qu’il articule à sa guise sur le beat. Comme le titre l’indique, il se pose des questions sur les absurdités de ce monde et la bêtise humaine. Certes, le thème paraît classique, mais force est de reconnaître qu’il est très bien écrit : entre punchlines et rimes bien senties, on se régale. C’est mélancolique, c’est beau, ça rappelle un certain savoir-faire et un style qui a marqué l’âge d’or du rap français. Si un titre devait lui rendre hommage, c’est bien celui-ci. Il balaye très large mais développe également des idées intéressantes, c’est très prenant malgré l’ambiance plutôt morose. Le second titre produit par le beatmaker parisien se nomme « Illumination ». Il m’a moins convaincu, on peut le considérer comme un égo-trip qui vient conclure l’album. Peut-être est-ce là un message du emcee pour rappeler qu’il n’est qu’aux prémices de sa carrière et qu’il sait manier le micro sous tous ses aspects. Le titre reste de qualité et il n’y a pas débat à savoir s’il doit faire partie ou non de l’album.
Le second beatmaker qui s’est également grandement illustré et que je découvre également se nomme Stam. Il nous vient de Belgique. Il commencera par livrer le titre « Trente Temps » où le rappeur suisse fait un point sur sa vie et raconte son vécu. Et comme on ne se fait pas seul, il a partagé le mic avec Lessa et Utopix qui délivrent également des couplets intéressants. Le refrain est assuré par Penar et le moins qu’on puisse dire, c’est que la connexion est absolument bien ficelée. D’ailleurs, il faut savoir que le refrain a été écrit par Lessa pour les 30 ans de Penar.
La boucle de guitare qui compose le morceau est très inspirante et colle encore une fois bien avec la prose lyrique proposée par les artistes. Enfin, le second titre produit par notre ami belge, c’est « Fin Des Temps » qui est peut-être le meilleur titre de l’album. Encore une fois, le sample de guitare est de toute beauté, encore plus profond et inspirant que le précédent. Il dégage une certaine nostalgie, le choix du thème ne devait pas être facile. Il a une certaine énergie, presque spirituelle, des notes de musique qui poussent à la réflexion, à se perdre soi-même, à explorer son intérieur. Penar s’y donne à cœur joie, sa voix est nette, aucun problème d’articulation, il varie son flow et surfe sur les variations proposées par le beatmaker. D’ailleurs, il le dédicace directement sur ce morceau. Il termine en disant « j’écris ça face à ma feuille jusqu’à ce que j’aie vidé mon sac » et le beat continue de tourner… La finition est de très grande qualité.
Si on prend l’album par le début, on est sur un 12 titres, la norme actuelle. Il s’ouvre sur « Toc Toc », c’est Valhak Beats qui est crédité pour le beat. Penar a un réel besoin de rapper, on sent dès le début que c’est une thérapie pour lui. À l’ancienne, pas de désirs maladifs ou de rêves de villas de luxe, d’une vie de superstar ou d’exhiber sa réussite à la TV. Le rap, tout simplement, un message positif, au plus proche de la réalité et jamais négligé. On retrouve également Le Jas qui vient poser un couplet. D’ailleurs, on retrouvera ce dernier sur « Flashback » au côté de Lessa déjà présent sur l’album. Le titre est produit par Nigma, un artiste espagnol. On est clairement sur de l’ego-trip assumé sur un beat qui sonne clairement plus old-school que le reste. Précision sur les deux artistes en feat : ils ne rappent pas, mais échangent à travers des conversations téléphoniques (Whatsapp) avec le rappeur suisse. Cette idée de les intégrer est venue du protagoniste principal qui a fait lui-même ce montage.
Un projet sans fioriture, un artiste qui reste fidèle à lui-même et à ses racines, un bon choix de beats… Cela ne peut qu’aboutir à un produit de qualité. Le projet se veut homogène et on retrouve de nouveau Le jas & Lessa sur « Fusil De Chasse ». Ce titre se démarque du reste, malgré qu’on s’y retrouve dans l’écriture et les textes, car il possède une véritable ambiance jazzy hip-hop. Si on l’entend plus du côté des rappeurs asiatiques ou américains, c’est moins courant en France, de nos jours du moins. Ce qui fait forcément plaisir, surtout quand c’est bien accompli. Pour la production, elle est clairement sans frontières, car c’est Garabato Beats, un beatmaker de Lima au Pérou, qui l’a signée. Encore un morceau de qualité. Ensuite, retour à Nîmes en France avec Amertume à la prod qui a produit « À La Base », un véritable hit. Comme le nom du beatmaker le laisse entendre, c’est un morceau qui ne respire pas la joie, mais brille par sa qualité auditive. Et puisque tout se connecte, le sample me fait penser à une guitare latine couplée à un sample de voix qui la complète à merveille. Le emcee est toujours aussi facile sur ses refrains ainsi que ses couplets, on n’a aucun mal à suivre le rythme et à se laisser bercer par ses enchantements. Quel plaisir de s’y perdre.
Et puisque la connexion avec l’artiste péruvien fut tellement évidente, on le retrouve sur « Elle ». Et le morceau n’est pas sans rappeler le classique « I Used To Love Her » de Common paru sur le légendaire « Resurrection » (1994). Ce n’est donc pas une ode à la gente féminine ou à une fille en particulier, mais bien à la musique. Et oui, souvenez-vous, le rappeur de Chicago avait marqué la communauté Hip-Hop à l’époque en décrivant une fille durant 3 couplets avec tout le vocabulaire qui l’accompagne. Puis vient la chute du morceau où il explique que ce dont il parle… C’est le Hip-Hop. L’une des plus grosses gifles lyriques et une mise en scène parfaite, sûrement jamais égalée aujourd’hui. Ici, on est moins énigmatique et on comprend de suite qu’il parle de sa musique, son amour pour elle est tellement intense qu’on comprend qu’il a cela dans le sang. Le beat est sensationnel, la prestation est au top, on obtient un nouveau hit.
Enfin, concluons avec « Sur La Melo » où on retrouve une dernière fois Lessa au micro. La production est signée Carlskee, on revient encore sur un beat qui rappelle l’âge d’or, on est assez proche de ce néo-boom-bap hollandais que propose BlabberMouf, EllMatic, Truffel The Phunky Phakir, Mad Rev, MpDress24…
Vient le temps de conclure, l’exercice le plus dur pour un chroniqueur. Sans aller trop loin, je peux dire que Penar est un artiste talentueux qui affirme sa personnalité à travers ce premier album. Il faut souligner la qualité de l’album, la rigueur et l’implication de sa personne pour venir honorer le mouvement. C’est bien plus travaillé que beaucoup d’artistes très bien entourés qu’on peut entendre un peu partout. Il n’a pas été gourmand ni avare : 12 morceaux sans interruptions, une ode au rap. À aucun moment, il ne dénature son essence ou cherche à faire un titre commercial. Il n’y a pas de pétard mouillé, chaque titre que vous pouvez écouter reflète la qualité de l’album. Certains titres se démarquent plus que d’autres, mais aucun n’est réellement en dessous. Ce sera une question de goûts et de sensibilités. Je pense qu’on est en droit d’attendre de nouveaux projets au moins aussi aboutis et sérieux ; on l’avait intégré dans notre top albums international de 2024. On devait en garder seulement 10 ! C’est dire à quel point nous avons estimé ce projet. Surprenant et rafraichissant à la fois, il mérite amplement qu’on s’attarde dessus. Il est difficile de s’y retrouver aujourd’hui tant il y a d’artistes et de musiques à écouter, mais sincèrement, beaucoup sont une perte de temps… À moins que vous souhaitiez toujours écouter le même style de musique et les mêmes paroles. Pour ma part, la créativité, la prise de risque et la singularité font partie de mes critères de choix pour différencier un album.
Un projet sans fioriture, un artiste qui reste fidèle à lui-même et à ses racines, un bon choix de beats… Cela ne peut qu’aboutir à un produit de qualité.
P.S : Ne faîtes pas la même erreur que moi, j’ai opté pour le streaming sur Spotify et je me rends compte qu’il propose une version de 10 titres, soit 2 en moins que l’album originel. Je découvre donc la pépite « Le Paradis » produit par le grand Mehsah. Encore une fois, notre prodige suisse signe de son flow atypique et formule de belles phases. Les placements de ses rimes font des ravages, il prouve également et encore une fois qu’il peut créer des refrains de qualité. Le second titre qui est passé à la trappe se nomme « Megakiff » où l’on retrouve de nouveau Lessa, mais aussi Utopix. Un beat simple et efficace, des styles différents et complémentaires qui font bouger la tête. Résultat des courses, si vous voulez l’album dans son intégralité, il faudra se le procurer auprès de l’artiste ou passer sur YouTube ou autre, mais pas Spotify, hélas.
Rédigé par Fathis