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[Dossier] Aux Pays-Bas, c'est Boom Bap ou rien

Le Hip-Hop aux Pays-Bas

Les Pays-Bas, appelés parfois Hollande est un pays se situant en Europe de l’Ouest. Il forme une frontière avec la Belgique et l’Allemagne. On y parle le néerlandais. Le pays est menacé de disparition suite à l’élévation du niveau de la mer qui est trop important… Néanmoins, le pays est équipé face à ce phénomène et devrait pouvoir s’y prémunir. Paradoxalement, il fait partie des pays européens les plus urbanisés et il est très énergivore. En revanche, il est très écolo et fait la part belle aux cyclistes et aux engins non motorisés. Ses principales villes sont Amsterdam, la capitale, Rotterdam et son port international, la Haye, Utrecht et Eindhoven qui est bien connu des fans de foot européen. Le pays possède également des territoires insulaires dans les Antilles, notamment Saint-Martin. Les Pays-Bas sont également réputés pour être un paradis fiscal bien gardé dont profite Netflix, Nike, Uber, Tesla, Starbucks… Concernant sa population étrangère, il y a une communauté importante de Turcs et loin, derrière, on trouve des Marocains, des Surinamiens (ancienne colonie néerlandaise), des Indonésiens et des Allemands. Concrètement, plus de 75% des immigrés sont européens, un peu comme en France, n’en déplaise à ceux qui parlent de remplacement ou autre ! D’ailleurs, on dénombre en France et en Europe plus de migrants légaux que de migrants illégaux. Concernant le néerlandais, elle est la troisième langue germanique la plus parlée au monde après l’anglais et l’allemand. Elle possède naturellement des similitudes avec ces langues. On y trouve également des dialectes dans certaines régions, mais très minoritaire.

Concernant la musique en général, la scène dominante et reconnue mondialement est la musique électronique. La musique classique a une part importante comme le Rock ou le Jazz… On comprend dès lors que le rap est loin derrière. Le mouvement Hip-Hop est arrivé à la fin des années 1980 et le graff s’y est fait une place assez significative. Il faudra attendre 1995 pour voir le rap se faire un nom à l’échelle nationale avec Extince. Ce rappeur issu d’une petite ville du sud publie « Spraawkater » en 1995, premier single notable. Son album « Binnenlandse Funk » en 1998 ouvrira définitivement la voie aux autres. Pour aller plus loin, vous pouvez retrouver notre dossier sur le classique et cultissime album de l’artiste E-Life. Un autre paradoxe qu’il faut souligner, les rappeurs qui rappent en néerlandaise sont majoritairement originaire Maroc, Suriname ou des Antilles néerlandaises. Les natifs des Pays-Bas aiment rapper en anglais comme nous allons le voir.

Ce n’est pas un secret, beaucoup de rappeur européens et internationaux aiment rapper en anglais « pour toucher plus de monde ». Il y a aussi un côté fataliste poussant l’artiste à se dire que le public local n’épousera pas le rap. Il faut dire, qu’en général, ce ne sont pas des scènes qui s’exportent beaucoup à l’étranger et qui intéressent les labels. On peut parler de Opgezwolle, Sticks & Delic, Skinny Bonez Tha Godfatha, Melph, Robin Da Landlord, Pete Philly & Perquiste, Mr. Morbid, Melph, Commitee Gunman… Bon nombre de compilations et mixtapes des années 90′ étaient rappés en anglais ! Forcément, elles ont eu plus de visibilité, ce qui en a inspiré d’autres. D’ailleurs, les affilés du Wu Tang Clan qu’on appelle communément la Wu-Fam ont une branche importante aux PB. Cilvaringz, Moongod Allah, Most High Brotherz, Lin Brotherz… Leur particularité, c’est qu’ils viennent en partie du Maroc ou autre et rappent en anglais.

Le son des années 90 comme crédo

Sans plus tarder, j’entre dans le vif du sujet. L’idée de cet article, au-delà de présenter le rap hollandais dans son ensemble. C’est de parler d’une catégorie d’artiste néerlandais qui rappent tous en anglais. Mais surtout, sur des beats qui font directement penser aux beats des années 1990. C’est totalement volontaire et assumé, on est dans la forme la plus brute du rap. La tête d’affiche de ce « mouvement » est l’iconique BlabberMouf, il est clairement incontestable. Il a un débit impressionnant au micro, pouvant passer à des rimes chantées à une profusion de syllabes à la seconde très rapidement. Il apporte également une touche reggae dans son flow comme certains le faisaient aussi à l’époque. J’en ai déjà trop dis, je ne vais pas m’attarder sur lui, car un dossier entier lui sera consacré, c’est le minimum.

EllMatic

Le meilleur disciple de cette école répond au nom d’EllMatic. Il possède des caractéristiques un petit peu semblable à son confrère, mais tout de même différentes. Ce qui les relie plus que tout, c’est leur appartenance au groupe « Het Verzet » composé de Dookie, AstroNout, dOOp, Ntan (qui produit en plus de rapper) le beatmaker Mad et Dj Vieze Vingerz. Tout ce beau monde a lancé le mouvement en 2007 pour sortir un seul et unique album : Greatest (S)Hits en 2012. On s’en doute un peu, c’est très décousu, on n’y trouve aucune structure, c’est plutôt une mixtape pour introduire le style et l’équipe. C’est de l’autoproduction. L’aventure pour Ell, commence réellement en 2013 avec son premier single « Fresh Out Of The Box » où le style est très identifiable. Des scratchs, des cuts sur l’instru, des backs qu’on entend beaucoup comme dans « Protect Ya Neck » de Wu-Tang par exemple. Des variations de flows où la voix du Mc est plus importante que le beat lui-même. Pas de doute, on a tous les codes de l’âge d’or du rap. C’est évidemment modernisé et plus adapté au public actuel, bien que disons le, ceux et celles qui ont découvert le rap en 2005 vont vite abandonner.

Et comme souvent, à cette époque, les choses se faisaient rapidement et parfois avec les moyens du bord. Il prendra soin de se montrer sur beaucoup de projets locaux et auprès de Тулим, un groupe ukrainien avant de livrer son premier devoir. En 2017 « Face The Blank Page » voit le jour en tant que premier album solo officiel. 4 ans auront fallu pour peaufiner cet album, considéré aujourd’hui comme une pierre angulaire dans le style que ce mouvement a remis au goût du jour. L’album est produit par des néerlandais : Sneadr, Ntan, Zudo, Kick Back, Propo’88, Truffel The Phunky Phaqir et Mad. Jusque-là rien d’anormal, par contre de retrouver Sqb, un artiste chilien sur le projet ou encore Matis CentrumStronan, un Polonais est assez étonnant. Les prods à l’image de « Lifestylez Ov Da Poor And Dangerous » du regrettée et immense légende qu’est Big L, se veulent minimaliste. De qualité, certes, mais souvent composé avec peu d’instruments et de samples. Le ton est plutôt axé sur les textes (conscients) que sur l’ambiance générale du morceau. Le projet comme tous les autres sont conçus comme un ensemble, c’est presque un concept sans réel fil conducteur. Nul doute que si l’album avait vu le jour en 1995, il aurait clairement eu une autre réception. Ceci étant, c’est un choix fort de conviction que de représenter cette branche du rap oubliée et dépassée aujourd’hui avec tous les courants qui ont émergé et fait évoluer la musique. Concernant les featurings, on retrouve son noyau principal en plus de Dookie, un rappeur local. Le rappeur originaire de Heerlen, dans le sud du pays a gravé son nom dans le marbre du boom bap avec cet ambitieux projet.

Fort de son succès, il continue de travailler et livre « Nuttin But Flava » en 2018 qui est une collaboration avec Sqb. Sacrée connexion mêlant un rap anglophone et hispanique avec Rick Santino et B. Montes qui sont également chiliens. Il fera de ses collaborations avec des Mc’s/beatmakers sa marque de fabrique. En 2019, c’est autour de « Interim EP » avec Kijk Een Ster, un beatmaker également de Heerlen. Ce qui constitue au passage sa collaboration la plus prolifique, notamment dû au fait que le beatmaker est moins ancré dans les beats très voire trop parfois bruts et minimalistes.

En 2020, il s’associe au beatmaker MpDress24 pour nous offrir « Practice Makes Perfect ». L’album qui devait être un EP à la base se nomme ainsi, car le mot d’ordre était de travailler sur le projet jusqu’à qu’il soit parfait. En effet, ils partent du principe que pour s’améliorer dans un domaine, il faut pratiquer sans relâche. Le projet n’est pas réellement convaincant à part pour les grands fans du style. Je le retiens principalement pour son underground hit « Bitter Sweet ».  Ce qui constitue le meilleur titre du rappeur et assurément le meilleur que j’ai entendu dans le style, une boucle de 4 secondes qui se répète inlassablement durant 3 minutes et 45 secondes. Une merveille parfaitement accompagnée, chantée et rappé par EllMatic, un refrain original et qu’on n’entend plus trop aujourd’hui. Le deuxième couplet est assurément la meilleure performance du rappeur depuis qu’il rappe. En 2021, il revient avec « Back 4 More » accompagné de Blabbermouf et MpDress24, sans conteste, ce 4 titres est de très bonne qualité, l’association des 3 artistes est dingue.

Ensuite, ce sera le calme avant la tempête. En 2023, il livrera 2 projets ! « Train Of Thought » avec le beatmaker allemand JoDu et « Una Cultura » avec Blabbermouf et les Chiliens Sqb & B. Montes. Les projets sont plutôt de bons bons. Cela crée également une connexion assez incroyable reliant l’Europe à l’Amérique du Sud à travers un album de qualité.

Da Shogunz

Le second artiste qui s’est aisément fait un nom à l’international est le Dj/beatmaker Propo’ 88. Sa renommée il la doit exclusivement à la puissance de ses productions. La vibe des ninetees y est présente mais également très personnalisée. Les sonorités sont plus spacieuses et dans un style plus abstrait. La meilleure façon de le vérifier est d’écouter son album « Astronomic Delight » avec Glad2Mecha, Hex One et Tek-nition (USA), Self The Bluest Eye (Canada), Dj Waif (Grèce) ou encore Wildelux. Ce dernier, rappeur américain mais vivant désormais au Japon a beaucoup collaboré avec Propo en formant le duo Certified Craftsmen. Son premier projet en collaboration avec Kick Back se nomme d’ailleurs « Cosmic Trippin ». L’autre projet important de sa discographie est « From The Top Of The Stack » avec Blabber en 2012. Son travail de qualité l’a mené dans divers pays, dont le Pérou, la Suisse, l’Angleterre, la France… Et ceux précédemment cités. Il a eu le privilège de collaborer avec le rappeur américain Praverb The Wyse qui est décédé en 2014 pour des raisons encore inconnues. Pour que vous soyez incollable sur l’artiste, sachez qu’il fait partie du groupe Da Shogunz auprès de Kick Back, Zudo, Blabbermouf, Truffel The Phunky Phaqir et Corto Maltez. Tout ce beau monde s’est associé au groupe True Masterz dont fait partie le maitre DJ Grazzhoppa (Belgique) pour nous livrer en 2017 l’excellent album « Rap Buddhaz ».

Truffel The Phunky Phakir / Mad Rev

Autre membre du groupe Da Shogunz, Truffel The Phunky Fakir rayonne de plus en plus. Il porte plusieurs casquettes dont beatmaker ou « Beat-creator » comme il dit, producteur, DJ et ingé son d’Amsterdam. Si on pioche un peu plus profondément dans sa biographie, on lit ceci :

« Les rythmes de Truffel se composent de tambours bruyants et de samples groovy jazz/funk/psychédélique avec un son représentatif du milieu des années 90, combiné avec des touches de jazz sombre et des influences de la côte ouest. Truffel est spécialisé dans l’art du cratedigging. Truffel vit pour trouver des breaks rares, des disques étrangers bizarres et tous les types de jazz. Avec ses compétences polyvalentes sur le MPC2000XL. » Cela rend honneur au personnage. Sa principale contribution est son travail sur « Da BlabberMouf LP » (2015) et les autres projets cités. Pour les invités, on trouve son entourage et d’autres têtes comme Veks, un rappeur de San Diego ou le légendaire Prince Po qui formait avec Pharoahe Monch, le groupe Organized Konfusion. L’album est également parsemé d’interludes et d’un beat bonus, le tout est très bien produit. Il est un indispensable pour les amateurs du style. Sachez qu’il existe également une version instrumental. L’histoire ne s’arrête pas là, car en 2023, il décide de rapper lui-même sur ses propres productions ! Son album « Dysphunktional » est livré avec 11 titres rappé aux côtés de Mad Rev, BlabberMouf et Capital J, un Dj canadien. Enfin, il compte également à sa discographie « Mad Phunky EP » en collaboration avec Mad Rev. Un 5 titre de très bonne qualité. La voix et le style de Truffel colle parfaitement aux prods, car il a une voix qui rappelle certains rappeurs des années ’90 comme Evidence (Dilated Peoples).

Et toujours dans la continuité, je viens d’évoquer Mad Rev qu’il faut également suivre. Il est plus discret et a pour le moment seulement publié « Da Surinam Swordswan EP » en 2021. Pour les beats, on retrouve Zudo, Truffel the Phunky Phaqir, SQB et Yaghist. Et tout comme les rappeurs des années ’90 qui avaient tous un style, un talent particulier ou une compétence unique, lui possède le pack complet. Il se différencie notamment par cette vibe plus funky et plus dansante qu’on retrouve ailleurs, mais pas autant prononcé. EllMatic sur « Get On Wit It » la joue presque Naughty By Nature. Cela va même plus loin avec « Get Yo Funk On » en feat avec Capital J où on est carrément en mode G-Funk. Dès lors, la question qu’on se pose, c’est « pourquoi ? ». Pourquoi pas plus de projets de cet artiste qui réussit là un excellent exercice. 7 titres sans failles et une magnifique fin « Moonlight – Zudo Remix » avec Moonstreams nous transporte tellement loin dans le ciel qu’on ne peut redescendre. Depuis, c’est quelques singles par-ci par-là, mais aucun projet d’envergure. Si on exclu évidemment l’EP en collaboration mentionné plus haut. C’est assurément le plus gros regret (à l’heure actuelle) de cette scène tant il est doué et prometteur.

Je sais que le sujet vous passionne autant que moi, mais je ne vais pas faire tous les artistes. J’en ai présenté une grande partie, je pense, oublié certains (sûrement), mais avec cela, vous êtes plus que parés. Nous, en tant que média Hip Hop, on a représenté et apporté du contenu inédit à notre audimat et aux fans du mouvement. La suite, c’est vous qui l’écrivez. J’ai découvert ces artistes, il y a déjà un moment, aujourd’hui, avec les Spotify, suggestions YouTube et autres, c’est plus simple. La meilleure façon de soutenir ces artistes, c’est en achetant leurs produits et en streamant leur musique. Ce qui est aussi bien, c’est de parler d’eux et de nous par conséquent qui vous proposons sans cesse du contenu inédit et orignal. C’est également un coup de massue à toutes les personnes qui ne cessent de scander « le rap est mort ». Les puristes en auront pour leur compte, tu peux écouter des musiques typées années 1990 en 2024… Qui dit mieux ? Underground Hip Hop will live forever baby… Et n’oubliez pas « Dope Shit Comes From Everywhere ». Tous ces artistes font cela par amour, pour la musique, pas pour l’argent ou les vues.

P.S : Mention spéciale au très talentueux et important artiste Christmaz. Son album « Black Dragon », sorti en 2019, est très intéressant. On y retrouve du beau monde : Ntan, Blabbermouf, Sqb, Kick Back… Et une forte connexion européenne : B-Side (Allemagne), Mono:Massive (Autriche), Loop.Holes (Norvège), eFrik (Suède)… La raison pour laquelle je le mentionne maintenant, c’est qu’il n’est pas hollandais. Il est dans la même vibe que ses voisins et jouent beaucoup avec eux, mais il est suédois.

Rédigé par Fathis