Hip Hop Sans Frontières

[Chronique] BARS – Skupe Stvari (Croatie)

01. Intro [prod. Pablo]
02. Ono Kaj Znam [prod. Shporky]
03. Ralica [prod. DJBZ]
04. Putevi [prod. Shporky]
05. Pod Zvijezdama feat. Ema Vranić [prod. Calltrain]
06. Puno Ljudi [prod. KolAK47]
07. Zašto [prod. Marvel]
08. Tražim [prod. Dirty Hairy]
09. In The House [prod. The Architect]
10. Rap Junkie [prod. Flowdeep]
11. Premium [prod. KolAK47]
12. Skupe Stvari [prod. Amerigo Gazaway]
13. Yo! [prod. GhetHeat]
14. Dan Po Dan [prod. Pablo]

Localisation : Zagreb, Croaite

Année : 2025

Le Hip Hop en Yougoslavie

Il existe une multitude de pépites internationales, mais leur découverte est tout aussi ardue ! Nous avons réalisé une excellente prise en plein centre des Balkans, plus spécifiquement à Zagreb, la capitale de la Croatie. C’était par curiosité que je m’étais penché sur cette scène et j’avais déniché quelques morceaux qui piquaient mon intérêt. Je pense particulièrement au collectif Tram 11 et son tube « Mokri Snovi (Remix) », mais avant de nous plonger dans le présent, faisons un petit retour en arrière pour mieux comprendre…

Sur un plan personnel, je tiens à dire que j’apprécie énormément cette région que l’on nomme aujourd’hui les Balkans. Pour un voyageur tel que moi, c’est véritablement le paradis. Musicalement, il existe également de la très bonne musique en général, mais elle est trop peu souvent mentionnée. L’histoire de cette nation est complexe en raison de nombreux bouleversements qu’elle a subis. Il est important de noter qu’elle (la Yougoslavie) désignait le « pays des Slaves du Sud » et qu’elle a existé de 1918 jusqu’à février 2003. Progressivement, des nations ont vu le jour et ont gagné leur indépendance. On distingue actuellement parmi ces nations : la Slovénie, le Monténégro, la Macédoine du Nord, le Kosovo, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine et la Croatie. Une autre caractéristique de ce pays est qu’il était un membre des régimes communistes, mais n’était pas assujetti à l’URSS à partir de 1948, et se trouvait de l’autre côté du rideau de renom de fer (bloc occidental / oriental). Cependant, la Yougoslavie a été ensanglantée par plusieurs conflits sur son propre sol.

En 1992, après avoir proclamé son indépendance, la Bosnie fait face à un siège meurtrier à Sarajevo. De la date du 5 avril 1992 jusqu’au 29 décembre 1995, la ville a subi un siège et des bombardements perpétrés par l’Armée populaire yougoslave ainsi que par l’armée de la République serbe de Bosnie. L’ONU a largement pris part à l’aide apportée à la capitale bosniaque alors assiégée et frappée. Le plus atroce et le plus terrible cas de massacre reste celui du génocide de Srebrenica, qui s’est déroulé entre le 11 et le 16 juillet 1995. Si vous désirez approfondir vos connaissances sur ce massacre, des informations sont disponibles sur le site :

Tout ceci offre un panel très large qui associé culture, religion, ethnie et diverses origines. C’est aussi ce qui confère à la région sa particularité et les influences qui se manifestent à travers son histoire et ses réalisations culturelles. Il est parfois exprimé que ce sont des gens qui adorent faire la fête et savourent la vie, ayant traversé la guerre et désireux de profiter pleinement de leur existence. Cela pourrait sans aucun doute expliquer l’attrait pour la musique électro-pop, électronique et autres genres, même si le rock reste le style prédominant des années 1980.À ce jour, on considère que le premier rappeur croate à avoir sorti un album s’appelle Mc Buffalo, avec la publication exclusive en cassette de « MC Buffalo’s 1st Cut ». Tout cela a eu lieu dans la troisième plus grande ville du pays : Rijeka, grâce à Denis Pilepić (DJ Denny) et son label D. J. – Team. Buffalo lancera d’autres projets avant de s’éteindre le 5 décembre 2012, dans la ville où il est né.

Cependant, Zagreb n’était pas en reste puisque Slavin Balen lançait sa propre émission de radio intitulée « Rap Attack ». À l’instar d’Ugly Leaders qui ont lancé leur album « Channel Is Deep & Beech » en 1992, d’autres artistes suivront cette tendance. Comme leurs prédécesseurs, ils seront touchés par la censure entourant leurs écrits qui prévaut dans la nation naissante. Le Hip Hop prend de plus en plus d’ampleur dans le pays, incitant une autre station à Zagreb à lancer une émission baptisée « Blackout Project », diffusée sur Radio 101. En 1997, comme dans plusieurs pays européens, le mouvement atteint des niveaux sans précédent en parvenant à placer un single de rap au sommet des charts de ventes ! C’est le célèbre groupe Tram 11 qui se chargera de ce projet avec leur hit « Hrvatski Velikani ». De même que dans d’autres parties de l’Europe, la fin des années 90 représente une phase cruciale pour la scène de la danse et de l’électro, qui traverse une période de déclin. Le rap aspire à se positionner en tête, tout comme la musique traditionnelle croate qui connaît un grand engouement.

Le rappeur d’origine bosniaque (musulman de Bosnie) Edo Maajka, avec son œuvre « Slušaj Mater » (2002), sera celui qui se chargera de cette responsabilité et ouvrira la voie pour les pays limitrophes. Et encore une fois, nous sommes plongés dans une tendance de rap plus commerciale, plus accessible, mais moins authentique et de moindre qualité. L’histoire continue alors et se synchronise à nouveau avec celle des États-Unis. En conséquence, l’émergence de la trap a aussi considérablement transformé le paysage croate tout comme la scène rap quelques décennies plus tard.

L’album que nous vous suggérons s’éloigne considérablement de cette tendance qui ne suscite pas vraiment notre intérêt, comme vous pouvez l’imaginer.

Du jazzy rap croate

BARS est un MC émergent venant de Zagreb, la capitale croate, qui officie dans le rap depuis 2021. Il est donc un rappeur très jeune et ambitieux, mais surtout doué, ce qui lui a permis de se démarquer. Son premier morceau, intitulé « Utopija », a servi de tremplin pour se faire remarquer au niveau national et régional. Pour preuve, il sera invité sur le titre « Pokora » issu du projet Strip (2001) proposé par le rappeur Scriptor et le beatmaker Calltrain. Ces derniers sont tous deux bosniens et non croates, les distinctions entre ces deux langues sont minimes, tout comme pour le serbe (qui emploie aussi l’alphabet cyrillique), d’où leur facilité à se comprendre mutuellement. Cela facilite manifestement les liens et les opportunités sur le plan artistique.

Il va participer à de nombreux projets variés dans la région et construire sa renommée. Jusque là, son plus haut fait de micro est son featuring avec Valid (né à Détroit et d’origine serbe), un rappeur américain sur son album « Peach Brandy« . Solide et déterminé, il se focalise sur son premier disque « Skupe Starvi » qui sera publié en avril 2025. L’album s’ouvre par une longue introduction qui est constituée de messages laissés sur le répondeur par des artistes originaires de divers endroits du globe. C’est une pratique qu’on retrouve en général dans des interludes d’albums, notamment américains. D’ailleurs, cette influence va clairement se retrouver sur les morceaux contenant des scratchs dans les refrains, comme l’excellent « Zašto » produit par Marvel ou encore « Puno Ljudi » produit par KolAK47 et scratché par DJBZ. En parlant des invités, ils sont très peu, et on ne dénombre aucun rappeur. Seulement des DJ’s : Zub, Dirty Hairy et DJBZ et la magnifique voix d’Ema Vranić, ce qui fait peu, mais c’est justifié. D’une part, il est très à l’aise au micro, et de deux, l’album traite principalement de sa vie urbaine et se veut comme une introspection. D’ailleurs, la pochette de l’album qui est centrée sur son visage, confirme bien cette idée.

Cependant, il ne faut pas se tromper : ce n’est pas non plus un album qui tombe dans la facilité de l’égo-trip. En effet, cet élément ne correspond pas au hip hop jazzy qui traite de sujets plus universels, plus profonds et entraînants. L’album présente une grande cohérence et s’articule principalement autour de samples et de mélodies empreints de soul et de jazz. En résumé, c’est un boom bap contemporain, à la fois harmonieux, extrêmement subtil et diversifié. Chaque morceau promet une aventure et la variété des titres stimule sans cesse notre curiosité. Bien que la langue soit compliqué pour moi à déchiffrer, il y a quelques bribes de mots anglais, des titres ou des samples que j’arrive à saisir. Dans un souci d’approfondir mes connaissances, j’ai eu une discussion avec l’artiste. Vous pourrez retrouver cet entretien à la fin de l’article. Pour conclure sur la collaboration transatlantique déjà mentionnée, il a tout de même eu le privilège de bénéficier d’une production de The Architect (Stone Throw Records / Estee Nack, Nowaah The Flood, Mickey Diamond, Mad1ne, The Musalini, K.Burns, A-Plus, Hieroglyphics, Tha God Fahim…) ainsi que d’Amerigo Gazaway (A Tribe Called Quest, The Pharcyde, De La Soul, Marvin Gaye, Yasiin Bey (a.k.a. Mos Def), James Brown…). C’est assez éloquent quand on est un jeune artiste des Balkans et dont le rap n’est pas la musique qui domine forcément les charts. 

On peut aussi citer GhetHeat, basé en Slovénie, ou rappeler Calltrain en Bosnie. Cela démontre assurément que le jeune possède du talent et réussit à créer une audience bien au-delà des limites géographiques. S’il s’agissait de l’anglais, les répercussions seraient sans aucun doute plus importantes. Mais c’est aussi ça, l’essence même du Hip Hop ! C’est demeurer fidèle, authentique et sincère envers soi-même et ses origines. À l’exception de l’introduction, nous avons donc 13 morceaux qui sont au moins plaisants et plaisants à écouter. Sur un plan plus personnel, j’apprécie énormément « In The House » (produit par The Architect) qui me rappelle beaucoup une création du mythique Gramatik, un artiste originaire de Slovénie. Effectivement, le rythme paraît un peu plus rapide que pour les autres morceaux de l’album, et tout au long du titre on perçoit une voix émise par un sample, c’est tout ce qu’on demande pour bouger la tête durant trois minutes. Le titre « Pod Zvijezdama » de Calltrain est celui qui définit peut-être le mieux l’album et l’ambiance jazzy bistrot que nous renvoie le projet. Sublimé au refrain par Ema Vranić, ce deuxième single sur un rythme empreint de nostalgie interroge sa position sous les étoiles. Shporky crée le remarquable « Putevi » en se basant une fois de plus sur un sample anglais qui répète « such a long time », puis sera pitché durant les couplets, faisant penser à Kanye West à son prime. Il convient d’honorer Dirty Hairy qui produit le grandiose « Tražim » et scratch le dernier titre qui est tout aussi lourd : « Dan Po Dan » produit par Pablo

Toutefois, Amerigo Gazaway mérite les plus grands éloges pour avoir composé le morceau du même nom « Skupe Stvari », qui parvient à nous transporter grâce à son rythme dynamique, une sublime séquence de piano et des coupures habilement intégrées. Les variations au saxophone et les coupures font toute la différence, et pour conclure en beauté, il ajoute des scratches en croate. C’est vraiment la touche finale parfaite pour un album qui n’a pratiquement aucun défaut et qui fait une entrée remarquée en tant que première œuvre. C’est un plaisir total pendant 40 minutes qui valide parfaitement notre slogan « dope shit comes from everywhere ».

Interview

Fathis : Pourrais-tu te présenter et nous décrire ton parcours professionnel avant la sortie de ton album ?

BARS : Bonjour, mon nom est BARS, je suis un rappeur de 25 ans venant de Zagreb, en Croatie. Je pratique cela depuis mon adolescence. J’avais environ 18 ans quand je suis monté sur scène pour la première fois. Par la suite, j’ai réalisé plusieurs freestyles et collaborations avec divers artistes du milieu hip-hop croate au fil des années, en plus d’une bonne série de concerts (notamment en première partie de Slum Village et Souls Of Mischief), tout en travaillant progressivement sur mon premier opus.

Fathis : Quelle est ta perception de la scène actuelle en Croatie ? Ce n’est pas vraiment une nation réputée pour le rap, mais tout cela a beaucoup évolué… n’est-ce pas ?

BARS : Je veux dire, peut-être que ce n’est pas reconnu mondialement. Cependant, la Croatie a toujours possédé une scène hip-hop de qualité depuis les années 90 et le début des années 2000. Principalement à Zagreb. À mon avis, c’est actuellement meilleur que jamais, avec une multitude de styles variés et de nouveaux artistes, ce que je considère fantastique.

Fathis : Quelles sont tes influences ? Y a-t-il des artistes croates ou régionaux que tu recommanderais ?

BARS : J’ai toujours eu du mal à choisir une personne précisément, mais on peut dire que mes influences majeures proviennent des rappeurs des années 90. Durant mon enfance, j’étais un grand fan de Pac, Nas, Common… Mais, je ne m’inspire pas uniquement du rap.  J’apprécie la soul, peu importe le style, si tu vois ce que je veux dire. En Croatie, je recommanderais sans hésiter ONI, TDK, RH Space Orchestra, Burky… La liste est longue.  On trouve un grand nombre de talentueux rappeurs (et producteurs) dans cette région.

Fathis : On dirait que tu as une solide compréhension de l’anglais, toutefois, tu préfères rapper dans ta langue natale (ce qui est tout à ton honneur). Beaucoup d’artistes de renommée mondiale optent pour l’anglais afin d’élargir leur audience…

Bars : Oui, car cela semble plus… authentique. C’est pour cela que, bien que je comprenne qu’opter pour l’anglais pourrait me permettre d’atteindre un public plus vaste, je n’ai jamais véritablement eu le désir de le faire. Ce n’est pas l’objectif.

Fathis : Ton album ne comporte aucun autre rappeur, ce qui est un choix fort de ta part. Quel est le message derrière cela ?

Bars : Je suppose que je souhaitais simplement partager mon récit sans le soutien de quiconque. Oui, c’est plus compliqué dans ce sens, mais j’appréciais le défi. J’ai un peu compensé cela en engageant 11 producteurs pour la réalisation de 14 morceaux.

Fathis : Pour les amateurs de ta musique qui ne maîtrisent pas le croate, pourrais-tu détailler les thèmes principaux abordés dans ton album ? Quel est le sens que tu souhaites véhiculer à travers le titre et quel est le message principal que tu veux transmettre ?

Bars : Cet album a une véritable dimension introspective. Si l’on traduit le titre « Skupe Stvari », cela donne « Choses chères ». Il ne s’agit pas vraiment de « choses » matérielles et d’objets onéreux. Il s’agit davantage de leçons cruciales, d’attitudes et de discours significatifs. C’est ce que je considère vraiment précieux, « cher ».

Je fais référence à des situations de ma vie courante, combinées avec une touche d’enchantement et quelques blagues fines, des jeux de mots. Il s’agit d’un mélange de tout cela, avec une nuance des années 90 et de Zagreb.

Fathis : Tu es considéré comme un artiste prometteur sur la scène nationale, et tu as sorti ton album à environ 20 ans. Que pouvons-nous attendre pour la suite ?

BARS : Avec moi, vous pouvez toujours compter sur un retour à la qualité, aux paroles et à l’essence même de la musique. Et sur des sorties peu fréquentes (ha, ha, ha). 

Fathis : Souhaiterais-tu collaborer avec certains artistes ? Des artistes originaires de France ?

BARS : Oui, bien sûr. Je ne suis pas très familier avec les artistes français, mais j’ai eu l’occasion d’entendre 2L lors de son passage à Zagreb (SheRaps), une talentueuse artiste française. Je serais ouverte à une collaboration avec elle. (Salutations à Phat Phillie.)

Fathis : On dirait que tu es fortement lié aux traditions du hip-hop, ce qui est évident dans tes vidéos et dans le scratch de tes morceaux. Que penses-tu du rap contemporain, qui fait appel à l’autotune, à l’intelligence artificielle et à d’autres technologies susceptibles de déformer la musique si elles sont employées abusivement ?

BARS : Je pense que cela pourrait avoir un impact sur le processus créatif dans le futur. En ce qui concerne l’autotune et les nouvelles technologies, j’apprécie tant que le hip-hop traditionnel reste vigoureux et prospère, tu me suis ? Cependant, cela ne devrait pas être une alternative.

Fathis : Peux-tu nous parler de tes collaborations avec des beatmakers étrangers ? Comment cela s’est-il passé ?

Bars : Quand tu dis « étranger », je ne vais pas compter les producteurs des Balkans.

  • Amerigo Gazaway est originaire de Nashville, mais il vit à Zagreb avec sa femme croate. On s’est rencontrés lors d’une soirée « Balkan Loves Dilla » où il a fait un set génial, on a commencé à discuter et on a créé un morceau (le titre). J’adore son goût et son sens de la musique. Un grand merci à mon bon frère Amerigo.
  • The Architect est originaire de Californie, il était en tournée à Zagreb avec son groupe, Souls of Mischief, où j’ai fait le set d’ouverture. C’est là que nous nous sommes rencontrés, et plus tard, nous avons fait un morceau. Salut à The Architect.
  • Dirty Hairy est originaire du Royaume-Uni, mais il vit à Zagreb depuis un certain temps déjà, donc il est pratiquement des nôtres maintenant, ha ha. Je ne me souviens pas vraiment de comment nous nous sommes rencontrés, probablement lors d’un de ses concerts de DJ. C’est un producteur très doué. J’adore son style, donc celui-ci était attendu depuis longtemps.

Fathis : Y a-t-il autre chose que tu souhaiterais ajouter ? Un message que tu souhaiterais transmettre à nos lecteurs ? Aurais-tu des anecdotes à partager sur l’album ?

BARS : Je n’ai pas d’autres commentaires à faire pour l’instant, à part réitérer mes salutations envers tous les producteurs de cet album, et saluer toutes les personnes qui ont contribué d’une façon ou d’une autre. Si j’oublie quelqu’un… je souhaite également adresser mes remerciements à toute l’équipe de Hip Hop Sans Frontières pour avoir établi ce contact et réalisé cet article en faveur de la culture. Poursuivez votre remarquable travail. 1L(love) de Zagreb, en Croatie.

Fathis : Un grand merci de nous avoir répondu et pour ton apport à cette magnifique culture. Peace.

Rédigé par Fathis

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