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[Chronique] L'Hexaler - Lune Croissante [Belgique]

01. Le ciel comme limite
02. Coronarien feat. Souffrance
03. Les poumons de l’Amazonie
04. Archimede
05. Dans l’ombre depuis des lustres feat. Deadi
06. La date et l’heure
07. Lune croissante
08. Premature
09. Violence feat. Furax Barbarossa
10. Poudre a canon
11. Longue peine feat. Seyte
12. A 1000 km a la ronde
13. Panorama

Localisation : Seraing (Liège), Belgique

Année : 2023

Le rap possède vraiment quelque chose de particulier, il est mouvant. Il se renouvelle, pour le meilleur comme pour le pire. Il y a toujours des nouveaux courants, je ne parle pas de mode. Parfois, tu penses avoir fait le tour, en fait, t’as juste tourné autour du pot. Et n’ayons pas peur de le dire, le centre de gravité ne cesse de se déplacer. Le rap français a été en perte de vitesse, d’identité et fatalement de qualité. Quelques « anciens », comme on peut les appeler, ont tenu le cap, mais pas tous. Certains ont assuré la relève, beaucoup de nouveaux ont tiré la couverture vers le bas. La majorité (visible) en fait. L’autre avantage du rap, c’est qu’il n’a pas de frontières, la bonne musique est de partout. Notre but est de vous la faire découvrir.

LA BELGIQUE ASSURE LA RELèVE

Après l’excellent « Pour que les étoiles brillent » de Youssef Swatt’s en 2022, c’est au tour de L’Hexaler. Je connaissais l’artiste sans m’être réellement penché dessus, quelle erreur. Bien qu’il ait beaucoup de similitudes avec son compère dont il est proche, c’est différent. Avant de dérouler cet excellent album, parlons un peu du personnage. L’Hexaler, anciennement Exal (Alex à l’envers) se réfère au verbe s’exhaler : s’exprimer. Bien vu. Il rappe depuis une bonne vingtaine d’années, son premier groupe se nommait SPK (S-Prit Kritik), un projet en 2005. Depuis, il roule presque en solo. Il a fondé le collectif / label « La Fine Équipe » avec Rifer (concepteur graphique) Bilbok et Aro qui gèrent tout le côté studio. Depuis, c’est 6 albums, 2 compilations, un EP avec Melan et l’album que je vous présente. On comprend aisément que son nom de scène lui sied très bien.

Arrêt sur image, il y a ce débat entre ceux qui accordent ou non de l’importance à une pochette d’album. D’autres ne posent plus leur nom ou le nom du projet dessus, trop de notoriété ? Celle qu’on a ici est tout bonnement magnifique. On y voit un personnage perché sur une lune qui s’élève au-dessus des nuages. Ces derniers sont de couleurs mauves, ils sont sombres. Fatalement, ils renvoient à l’obscurité, celle qui règne sur les sociétés actuelles et tout ce qu’elle représente. L’image est artistiquement sublime, au-delà de la métaphore. En regardant encore, on y voit des points blancs qui représentent les étoiles (l’espoir), une brille plus que les autres d’ailleurs. L’idée me rappelle beaucoup « Bring Me Back When The World Is Cured » de Sadistik & Kno. On s’imagine un voyage astral loin du quotidien, l’un des rôles primaires de la musique. On est conquis. Le code couleur en plus d’être éloquent est finement dosé. Du sombre au clair, car c’est au clair de lune, sous les lumières que personne ne regarde que tout se révèle. On est déjà conquis, on prend notre billet, on vient squatter la lune à notre tour. Forcément, à ce niveau-là, la curiosité est tellement importante qu’on ne peut passer à côté.

La Fine équipe au complet

Donc on l’a vu, pour réaliser un projet solide, il faut une équipe qui le porte. Je vais présenter les invités d’honneur par ordre d’apparition : Souffrance de l’Uzine. Ce Mc explose depuis quelques mois et on le retrouve un peu partout. Mérité pour le rappeur de Montreuil. Il fait honneur à son statut et propose une prestation de qualité, dur de faire mieux comme entrée en matière. La production est signée El Gaouli qui y injecte encore tout son génie. Les variations de beats, les passages a cappella, c’est lissé, on atteint le nirvana. L’un des plus beaux morceaux.

Le style de rap diffère totalement, mais pas l’idée. Deadi est également dans cette mouvance, très en vue depuis quelques années, il a instauré une base fan assez solide. Son fast flow, ses gimmicks, ses jeux de mots et son originalité font encore une fois mouche. Assez incroyable d’ailleurs, pourquoi ? Car on se retrouve (encore !) sur une magnifique prod d’El Gaouli, un chant lunaire, un hymne au divin, un poème aux anges. Incroyable, la piste pourrait tourner en instrumental tant elle scintille. Le troisième rappeur à intervenir n’est autre que Furax, encore une grande figure de l’underground. Le rappeur toulousain qu’on ne présente plus tant il est apprécié aujourd’hui. Itam, membre du collectif Kids Of Crackling, délivre à son tour une excellente production. Plus classique, mais célestement efficace. Enfin, le dernier rappeur a posé est un confrère, Seyté du groupe La Smala, un collectif belge. Pourquoi changer une équipe qui gagne ? On repart avec le beatmaker de KOC, l’instrumental est encore une fois travaillé, plus encore. Elle colle de nouveau parfaitement à l’univers, entre le rêve et la réalité, l’espoir et la nostalgie. Une étoile de plus.

Il reste deux autres invités, non pas des rappeurs, mais des DJ’s, et pas des moindres. Le premier étant l’éternel Dj Djel, membre fondateur de la Fonky Family. Quel honneur, comme un symbole en fait. Surtout qu’il se retrouve sur le même album que Dj Rolxx qui fait partie de cette nouvelle génération qui n’a aujourd’hui plus rien à prouver. La plupart l’ont connu en tant que Dj officiel de Demi Portion. Avec un tel casting, on ne peut pas rater son décollage. C’est beau d’avoir autant de soutien, et l’acteur principal là-dedans ?

On l’identifie facilement grâce à son timbre de voix qui ne laisse aucun doute. Il va droit au but, peu d’égo-trip, rien de surjoué, son flow capte toujours l’attention. Néanmoins, je pense que c’est vraiment sur les textes et les messages qu’il arrive à nous marquer. Voici quelques citations :

La furie et la foi comme l'époque de la Fonky
Ouais, j'ai le mal d'un orphelin dans le village de Fontin
À quoi bon rayonner quand toute ma ville s'assombrit ? Pas d'maquillage, j'passe le Kärcher sur un visage de fond d'teint

L’humain conquiert l’univers mais n'connaît pas son anatomie

Comment les jeunes de demain finiront ? Quand on leur apprend qu’on ne respecte que les millions Tout pour l’apparence et manque d’opinion Ils n’ont rien commencé, ils pensent aux finitions

Et je n’vends pas l’échec, j’me cherche dans la bonté de l’autre En bas de l’échelle, à force de la secouer, ils vont tous tomber de haut

Il convient de parler des deux « interludes » présents dans l’album. Et même, ces courts extraits sont des bijoux. Le premier est d’une tristesse sans nom, il évoque la mort de son père par euthanasie. Il se livre à cœur ouvert ici, le message est poignant, quelle force de caractère. On retrouve une production signée Pitfa. Le sample m’a de suite parlé, j’ai reconnu « Spread Your Wings » du rappeur américain Freestyle d’Arsonists. Ce titre rend hommage à toutes les victimes des catastrophes naturelles (ouragan Katrina en particulier), les innocents morts dans les guerres et autres. Il faut déployer ses ailes pour rejoindre notre trône et accepter la mort, car il n’y a rien à faire. Ce sample provient du film « Le secret des poignards volants » (2004), un classique du Wu Xia Pian. La composition est signée Shigeru Umebayashi. Un compositeur japonais pour un classique du cinéma chinois. Il n’en est pas à son coup d’essai, car il a signé sur plusieurs films chinois. Le second titre similaire est « Prématuré » de Gamni, tout comme le précédent, on regrette que ce soit trop court. Et qu’on pense avoir fait le tour de la lune… On découvre les étoiles filantes.

Je pense à un morceau comme « Panorama » où Itam nous éblouit de nouveau. C’est un one shot, sans détour, clair et concis. Dans un autre style, mais toujours bien ciblé pour maintenir le tout homogène, on trouve « Poudre à canon ». Sarbacane à la prod, il rate rarement sa cible. Et comme l’un n’est jamais loin de l’autre, c’est Greenfinch qui s’y colle sur « Lune croissante ». Toujours dans ce style assez unique, on reste dans l’instrument de prédilection de l’album, le violon, sublimé encore une fois par les deux artistes.

On a donc du 13 sur 13, un album complet qui possède une âme, une entité propre, qui est bien produit et bien rappé. Il y a de quoi se faire tirer les oreilles si vous ne l’avez pas déjà écouté. C’est le meilleur projet du rappeur belge à ce jour, aucun n’était mauvais jusque-là, il faut dire. On sent qu’il est arrivé à son top niveau, à pleine maturité, les thèmes, le choix des invités, les messages, l’univers… Tout est conceptualisé. C’est solide, ça s’écoute à plusieurs occasions, le travail est bien plus qu’accompli. L’album s’en va rejoindre quelques classiques perchés tout là-haut, loin de toute la médiocrité coincé sur cette terre. L’underground vivra pour toujours avec des artistes comme L’Hexaler. Les étoiles continueront de briller et de maintenir ce monde en suspens, au moins tant que la musique est bonne.

Chronique rédigé par Fathis