Hip Hop Sans Frontières

[Chronique] Tha Manz - CCF

1. Intro (feat. DJ Venum)
2. Plaire Aux Miens
3. L’ancienne
4. Pire Ailleurs (feat. Abrazif)
5. Le Jour D Après
6. Le Chant Des Mal Aimés (feat. Swift Guad)
7. Hustle & Flow
8. Ça C Est Fait (feat. Johnny Slash)
9. Bordel
10. Le Code (feat. Kekro)
11. Poignée De Punchlines
12. J’Accélère (feat. Fonik)
13. Vendredi 13 (feat. I.N.C.H)
14. Qqvfdt (feat. Stick CMF)
15. Boulevard Des Testards
16. Fast Life (feat. Mylo Stone)
17. Sans Glaçons (feat. Amertume À La Prod)
18. Xyz

Localisation : Montpellier, France

Année : 2025

L’année 2025 est indéniablement un grand cru pour le rap français, notamment underground avec : OGB (Mafia K’1 Fry), les sorties mensuelles de T.I.S, Flynt, Lacraps, Grödash (Ul’team Atom), Aka Seul Two, Gamni,La Fondation, Prince Fellaga, Fik’s Niavo, Vice & Versets (Ul’team Atom), Mysa, Rizla X Seyté ou encore Youssef Swatt’s, L’Hexaler, Scylla & Furax Barbarossa, Youssoupha et d’autres.

Ce qui est fascinant, c’est de remarquer que le centre de gravité n’est plus seulement situé à Paris ou à Marseille. Cette fois, c’est à Montpellier qu’il faut se rendre, dans une ville qui s’agrandit un peu trop vite et qui commence à faire du bruit. Au niveau national, c’était déjà une ville culturelle majeure et le rap commence vraiment à s’y développer maintenant. Tha Manz est né et a grandi en région parisienne, puis en 2013, il a choisi de vivre à Montpellier et a commencé à faire de la musique. Nous avons eu l’opportunité d’échanger avec lui afin d’enrichir au mieux cet article. Initialement, il était beatmaker et il a naturellement publié « Évasion », un EP instrumental de 8 morceaux.

"Évasion c'était en 2017, à cette époque j'avais pas beaucoup de contacts dans le rap donc j'avais réalisé un projet où je ne dépendais de personne."

Pour ma part, je l’ai découvert plus tard avec l’album « Sixième Sample », réalisé en collaboration avec SLD Prod. D’ailleurs, c’était un excellent album où se côtoyaient une multitude d’artistes qui venaient poser sur les productions, tels que : Ol Zico, Templar (Ul’team Atom), Melan, Vin’s, Tekilla, L’Uzine (Souffrance, Fonik, Cenza, Tony Toxik…), La Chronik, Furax Barbarossa et L’Hexaler… C’est à ce stade de sa carrière que l’attention a commencé à se porter sur ce beatmaker talentueux encore peu connu.

"Pour nous aussi avec SLD Prod ça a été une aventure complètement folle, pleine de rebondissements et d'évolution ! Au départ SLD Prod venait pour bidouiller mon ordinateur et comme on se rencontrait et qu'on était tous deux beatmakers, on s'est dit autant faire une collab'. Finalement la collab' s'est transformée en big réunion de MC's, la première session de beatmaking il a squaté 2 mois chez moi ahaha ! En tout ça aura duré 4 ans, pour nous il y a clairement un avant et un après Sixième Sample."

Pour un artiste plutôt solitaire (comme il le confiera lui-même), c’est presque surprenant, il n’est pas particulièrement friand des collaborations, ce sont plutôt les autres qui l’invitent. Cela témoigne largement de son style et de son originalité.

CCF

Cela nous conduit donc à son fameux album « CCF » (ça c’est fait) sorti en 2025. L’album a suscité un grand engouement sur les médias sociaux et a véritablement rencontré un accueil très positif. Ceci est d’abord attribuable à sa qualité, qui est incontestable. Il y a aussi eu une campagne de promotion qui a connu un certain succès. Ceci est dû à la direction artistique et à l’attention accordée à l’image de l’artiste, du projet et de son environnement. Cette combinaison idéale a parfaitement marché. Évidemment, je lui ai posé la question suivante : « Tes vidéos, tes produits dérivés, tes graphismes… » Tu possèdes véritablement un sens aigu de l’esthétique et des couleurs.  C’est toi qui es à l’origine de tout ça ?« 

"Ahah tout ça je le dois majoritairement à SC Prod, c'est elle la magicienne ! On bosse ensemble depuis environ 5 ans maintenant, j'aurais jamais autant évolué sans elle. Souvent j'ai une idée qui naît, on en parle ensemble, puis nos cerveaux rentrent en symbiose et ça fuse d'un coup ! On aime bien les challenges et surtout on s'éclate à créer tout ça, je suis content que ça puisse parler !"

J’aime particulièrement les couleurs sélectionnées, qui captent immédiatement l’attention et contribuent à une excellente première impression. Ce qui est primordial aujourd’hui pour un artiste (quel qu’il soit) ; le travail réalisé est vraiment impressionnant quand on sait qu’il est totalement indépendant.  Cela ne se limite pas à une simple tentative de distinction dans le rap actuel qui est déjà saturé, c’est aussi un état d’esprit. Il y a un fil conducteur dans tout ça, à notre époque où les publications d’albums et de projets variés se multiplient sur internet et sur les plateformes spécialisées. Il est difficile de tout suivre, on doit nécessairement faire une sélection et laisser de côté certains éléments. Effectivement, la distribution de musique n’a jamais été aussi accessible grâce à des plateformes qui appuient véritablement les artistes comme Bandcamp ou les géants du secteur (Spotify, Deezer…) ou des plateformes plus restreintes telles que Soundcloud. Aujourd’hui, tout le monde a la possibilité de partager sa musique. Et cela n’inclut pas YouTube et autres plateformes similaires. Par conséquent, les artistes accumulent les sessions en studio et les collaborations, aboutissant à un résultat de qualité moyenne. Cela nous ramène quelque peu à l’époque des DJ et des mixtapes dans les années 2000. Tha Manz incarne l’esprit et la culture underground, ce qui justifie en partie sa décision de sortir son album en format physique, contrairement à la plupart des artistes qui offrent uniquement une version numérique sans tangible.

"Oui le physique c'est cool, ça fait partie de notre sphère underground, il y a le charme de l'objet et puis acheter un CD ou un t-shirt ça reste le meilleur moyen de réellement soutenir l'artiste que tu kiffes. Mais le digital c'est cool aussi, c'est pratique mais c'est la course à la productivité. Sortir un CD c'est comme sortir un bouquin je trouve. Ça serait dommage de ne pas l'imprimer ! Pas de vinyles prévus pour cet album ni pour les précédents, mais peut-être le prochain, à voir !"

On ne peut que soutenir son approche, toutefois, une interrogation me préoccupe : « 18 titres en 2025, ça semble risqué… non ? On observe plutôt une tendance vers les EP’s ou les albums relativement courts. Comment ce choix a-t-il été effectué ?« 

"En fait c'est parti du fait que j'ai été convié par 10vers à faire la première partie de Furax Barbarossa et Jeff Le Nerf en concert à Montpellier. Sacrée opportunité pour moi donc évidemment j'accepte, sauf que j'ai rien, j'ai zéro morceau à défendre donc il a fallu que je me crée un show de 45 min en 4 mois, en partant de zéro... Il me fallait de la matière, mais s'il n'y avait pas eu ce concert j'aurais sûrement fait plutôt 12 titres max comme tout le monde. En réalité, s'il n'y avait pas eu ce concert je n'aurais peut-être même pas fait l'album encore. "

Le résultat est impressionnant compte tenu du fait qu’il rappe depuis seulement 4 ans. Bien sûr, toute son expérience en tant que beatmaker est à son avantage, mais de nombreux beatmakers talentueux ne sont pas en mesure de réaliser cette acrobatie, et il devrait même parfois s’en abstenir. L’album débute avec une traditionnelle « intro » et des scratchs effectués par le célèbre DJ Venum (Onyx, Scred Connexion, Crown, Demi Portion, Saké, Ywill...) et c’est parti. Le deuxième morceau a rapidement connu un grand succès avec « Plaire aux miens ». Ce titre encapsule le personnage et l’album en entier, c’est un travail de style où la technique et la précision sont mises en avant, mais surtout, il met l’accent sur l’humilité et l’intégrité. Il fait du rap parce qu’il en est passionné et ne cherche pas à se travestir. Le succès commercial a son importance, mais la créativité ne peut être achetée. Ce refrain, à l’instar de tout ce qu’il va chanter sur cet album, déborde d’énergie et nous pousse sans cesse à hocher la tête. C’est également une signature je trouve.

Blood Castle, qui a contribué avec neuf productions au projet, est le beatmaker le plus présent. Nous avons une collaboration de qualité, oscillant entre boom bap à la mode et mélange de boucles de violon et de piano, parfaitement en phase avec le flow incisif de Tha Manz. Ce dernier a composé six morceaux, cédant les trois derniers à Johnny Slash (USA), Amertume à la production (Jul, Fonky Family, Psy4 De La Rime, L’Algerino, Puissance Nord, Furax, La Chronik) et enfin I.N.C.H (Loko, Hugo TSR, Seth Gueko, Freko, Al’ Tarba…). Cela présente un impressionnant panel de beatmakers. Du côté des collaborations vocales, le niveau est également très élevé. On peut citer Mylo Stone (Royaume-Uni), Stick CMF, Kekro, Abrazif, Fonik et surtout Swit Guad qu’on ne présente plus. C’est encore une fois assez remarquable pour un rappeur underground qui démarre de manière indépendante et loin des grandes zones d’influence.

La maitrise est totale, à aucun moment il n’est pas dépassé par ses invités. Tous s’intègrent parfaitement au style et à l’univers de l’artiste. Il faut le reconnaître, il brille aussi en solo. Cet album devrait laisser une empreinte marquante chez ses auditeurs et augurer un avenir prometteur pour l’artiste montpelliérain. L’album ne suit à aucun moment les standards de la musique contemporaine ou des critères radio, pas de ponts dans les titres, pas de refrains plus longs que les couplets, pas de son orienté club ou autre. Il est suffisamment personnel tout en véhiculant un message global, sans jamais sombrer dans l’égotrip mais sans non plus se comporter comme un donneur de leçons. Je pense que sa force se trouve aussi à ce niveau, il ne prétend pas être un parolier ou un nostalgique, il fait office de passerelle entre plusieurs générations, c’est l’un des atouts majeurs du projet. Pour les amateurs de rap français dans son état brut, il est indéniable qu’il y a beaucoup à découvrir. En effet, ses visuels semblent aller dans ce sens, aucune image qui pourrait susciter la controverse ou être jugée inappropriée, juste du rap, tout simplement, dans sa forme la plus authentique. Le dernier titre « XYZ » semble œuvrer pour l’expression du corps et de l’esprit, l’élargissement des idées mentales. Cela est fort appréciable.

Tha Manz est un artiste qui aspire simplement à exprimer son art, laissant son corps s’exprimer et ses désirs se matérialiser. On perçoit l’ardeur, l’effort et le dévouement qui sous-tendent cette œuvre. Et quand on considère la création de l’album et la durée nécessaire pour composer 18 titres qui se défendront magnifiquement en concert, on ne peut que saluer l’exploit. Cela nécessite aussi un effort considérable et une certaine expertise pour ne pas prétendre être le meilleur sur un projet tout frais, à une époque où les conflits ne font que créer du buzz. Ça me fait penser à Fuzati (Klub des Loosers) et Orelsan ; lorsque le premier était véritablement en proie au suicide et à la dépression, et qu’il le répétait constamment dans ses paroles ; le second a construit une image de rappeur déprimé et raté. Tha Manz reste fidèle à lui-même, sans artifices, que ce soit en termes d’image ou de musique, du visuel à l’auditif, du numérique à la communication écrite. Ma dernière question fut : « Ton album a beaucoup fait parler de lui. T’attendais-tu à un tel « succès ?  » Étant donné que nous sommes bien éloignés des tendances actuelles et d’un album conçu spécifiquement pour les stations de radio. « Tu donnes également pas mal de concerts, ce qui témoigne déjà d’une grande reconnaissance artistique et personnelle. » Réponse de l’intéressé :

"Oui et non. Oui car on a vraiment bossé notre stratégie à fond et j'ai vraiment pris mon pied à créer tous ces morceaux et cet univers. Non car c'est un premier album, et ça fait que 4 ans que je rappe ! Mais malgré tout on était assez sûrs de nous sur la qualité que l'on allait envoyer, maintenant il y a toujours le doute. Et si en fait c'était nul ? Et si on se trompait ? Comme j'ai écrit dans "Plaire aux miens", je ne serais jamais numéro 1 et c'est ok. Je sais à qui s'adresse ma musique et il y a un vrai public pour notre catégorie. On savait aussi qu'après le succès de Sixième Sample, notre bébé mettrait aussi de la lumière sur son petit frère CCF. Je suis vraiment ravi des retours en tout cas, on a bien fait d'y croire à fond ! "

Cela illustre de manière précise ce que j’ai exposé depuis le commencement de l’article, ce que j’avais discerné chez l’artiste et qu’il validera au cours de nos discussions. Reconnaissant ses forces et ses faiblesses, il nous a révélé qu’il ne souhaitait pas réaliser un « CCF 2 », mais plutôt créer quelque chose d’unique. Pour ce faire, il va se donner le temps nécessaire pour évoluer. Entre-temps, il a performé au légendaire Demi Festival à Sète en 2025 et un peu partout en France. Je vous encourage à le suivre sur ses réseaux sociaux (indiqués ci-dessous) pour rester informé de ses dernières nouvelles. En conclusion, je dirais que je suis plutôt étonné de la qualité proposée sur un projet de 18 morceaux, je tiens à le souligner, parce qu’à titre comparatif, beaucoup de projets ne sont pas à la hauteur sur une dizaine de titres… C’est donc très audacieux, surtout qu’on n’est pas sur un album conceptuel avec des interludes et autres. C’est du rap, de la musique et rien d’autre. Nous tenons à défendre et à mettre en évidence cette approche, car tout comme lui, nous agissons par passion et par amour. Libres de nos choix, nous pouvons forcément être plus pointus dans notre démarche. À présent que vous disposez de toutes les informations requises pour apprécier cet album de choix, il ne vous reste plus qu’à commencer l’écoute.

Rédigé par Fathis

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