01. June 2nd
02 .’87 Lebaron
03. St. Dominics
04. Beach Ave (feat. Niko Is & Mickey Factz)
05. Don’t Die Wondering
06. Stash Pocket feat. (Boldy James)
07. Beef and Broccolis
08. 2am on Steinway
09. Luck’s Up
10. Lost One
11. Under Water
01. 10 E 60th St (Prod. By Noir Tapes)
02. Pinot Noir (Feat. Monday Night) (Prod. By Noir Tapes)
03. Cocacabana Freestyle (Prod. By Noir Tapes)
04. Golden Lady (Feat. Amiam) (Prod. By The OG Ninja)
05. Skate Key (Prod. By The OG Ninja)
06. Cooper (Prod. By Nineteen94)
07. Chun Li (Feat. Elcamino) (Prod. By Silencio)
08. 808 (Prod. By Silencio)
09. Open Your Eyez (Prod. By Misterdillinger)
10. Infamous Familia (Prod. By Nineteen94)
11. Patria All-Stars (Feat. Estee Nack) (Prod. By Silencio)
12. Hat Trick (Prod. By Silencio)
« Joe Frank », du nom du père de The OG Ninja, est une merveille d’un point de vue du fond, pour l’énergie et les sentiments profonds qu’il véhicule, il s’y livre sans fard. Rendant un brûlant hommage à son père disparu subitement, l’histoire qui accompagne à la fois le concept et le processus créatif de ce projet en dit long sur l’artiste. Abordé comme un réel exutoire, il entreprend l’écriture de cet album dès le lendemain du décès de son père.
Véritable thérapie, The OG va y sublimer à sa façon cette terrible épreuve, telle une catharsis. Mais justement, les mystères et les paradoxes de la vie sont aussi radicaux et surprenants qu’impénétrables… Alors qu’il est en pleine introspection pour l’écriture de l’album, il apprend une magnifique nouvelle, la naissance prochaine de sa fille ! Il se retrouve dès lors confronté brutalement à la mort et à la vie, passant ainsi de l’obscurité à la lumière, de la tristesse à l’espoir et la joie. En effet, la mort est intrinsèque à la vie autant que la vie n’a de valeur et de sens que parce qu’on sait que la mort est au bout du chemin ! Et les sentiments profonds et contradictoires qui en émanent donnent lieu à un combat intérieur que The OG Ninja exprime avec pudeur et poésie. Ce qui donne à « Joe Frank » une dimension particulièrement profonde, à la fois intimiste et universelle. Oui, ce projet possède une dimension universelle, car tous, autant que nous sommes, simples mortels, serons tôt ou tard confrontés à de telles épreuves dans nos existences.
D’ailleurs, le philosophe grec Aristote nous explique que le monde, la nature et la vie ne sont que paradoxes, polarités et contradictions. En effet, au même titre qu’il existe la vie, il existe la mort, le bien et le mal, la lumière et l’obscurité, la nuit le jour, le froid le chaud, le fort le faible, ainsi de suite… Et l’homme, en tant que produit de la nature et de ce monde, est lui-même perpétuellement traversé par de telles tensions qui jalonnent toute son existence. Il grandit puis dépérit, il fait le bien il fait le mal, oscillant constamment entre des sentiments et attitudes contradictoires. C’est le cas des sentiments de joie et de tristesse, d’amour et de haine, de justice et d’injustice, ou encore de vice et de sagesse, qui, en plus de nous suivre, nous modèlent tout au long de nos vies.
Nous ne pouvons ressentir et appréhender chacune de ces composantes de la vie uniquement parce que leur exacte opposée existe aussi. C’est aussi cette balance qui nous modèle et qui donne toute sa valeur et sa raison d’être à la Vie. Sans tout cela, nous ne serions tout simplement pas des êtres humains. Le concept initial de cet album repose sur des fondements humains profonds et puissants, ce qui explique en partie pourquoi ce projet avait déjà tout pour devenir une œuvre majeure, d’une grande maturité, avant même qu’il ne soit réalisé.
Le processus créatif de ce projet a ainsi permis à OG de se confronter à des épreuves difficiles et marquantes de la vie, à les accepter, se les approprier pour les exprimer artistiquement et de manière sereine. Ce qui se ressent à l’écoute de l’album. Et c’est sa capacité à avoir su magnifier et transmettre tout cela à sa façon, avec sincérité, qui a grandement contribué à la profondeur, la qualité et la beauté de « Joe Frank ». En canalisant et en libérant toutes ces énergies paradoxales, en est sorti un projet synonyme d’une résilience saisissante. C’est le fruit de cette résilience mais aussi et surtout parce qu’il est l’extériorisation de cette expérience de vie profonde et paradoxale qu’il est définitivement l’album de la maturité. Ce projet n’est autre que la retranscription esthétique et intime du combat perpétuel mené par un homme contre lui-même et sa propre destinée, confronté aux dures lois de la nature, et cela jusqu’à les faire siennes. Une recette subtile et complexe qui fonctionne !
Ainsi, c’est est un projet particulièrement profond et introspectif, autant d’un point de vue du fond que de la forme. Comme si le fait de mettre des mots en musique sur ses états d’âme opérait une forme de thérapie lui permettant donc d’exprimer ses souffrances et ses espoirs grâce à l’expression de ces sentiments et émotions contradictoires. La guérison et l’acceptation passant ici par le fait d’expier, grâce à l’expression artistique et la parole les traumatismes enfouis au plus profond de lui. Et vu l’importance que pouvait revêtir l’idée même de cet album pour The OG Ninja, à ce moment précis de son existence, on comprend alors aisément ce qui explique la réussite et la qualité de « Joe Frank ».
D’ailleurs, Sigmund Freud, le père de la psychanalyse, défendait l’idée selon laquelle l’art serait un outil au service de la libération des pulsions et des traumatismes enfouis au plus profond de nous-mêmes, grâce à l’usage de la parole, une des composantes fondamentales de la Musique, et plus particulièrement du rap. La musique comme médicament de l’âme. Et c’est ce que Freud nomme la « sublimation des pulsions».
Tout cela permet aussi de comprendre pourquoi, souvent, ce sont les épreuves et les périodes les plus obscures de la vie traversées par les artistes qui les amènent à créer leurs œuvres les plus marquantes et les plus touchantes. D’ailleurs, la célèbre citation de Nietzsche résume cela à merveille :
Et c’est ce processus qui expliquerait, selon Freud, le fait qu’une œuvre d’art puisse toucher les hommes de manière universelle, indépendamment de leur culture et de leur époque. Car l’artiste reste avant tout un homme qui exprime ses sentiments, des expériences de vie qui peuvent tous nous affecter et auxquelles on peut s’identifier.
Et c’est cela que The OG Ninja a admirablement bien su transmettre avec cee album. L’expression universelle de la peine liée à la perte d’un être cher tel qu’un père, unique, et du lien profond qui l’accompagne parle à tout le monde. On sent un OG grandit, à la fois orphelin, mais aussi et surtout, futur père prêt à honorer à nouveau la vie ! En créant, The OG Ninja a su exprimer ce qu’il avait au plus profond de lui, se livrant totalement et mettant ses états d’âme à nu, avec pudeur et maturité. Bien que l’album aborde d’autres sujets, c’est principalement cet évènement qui conditionne le projet dans sa globalité. En effet, « Joe Frank » est surtout un album de story-telling, The Ninja se livrant sur ses souvenirs de jeunesse ou encore sur ses principes et leçons de vie. C’est donc bien définitivement l’album de la sagesse et de la maturité, sans pour autant dériver vers une forme de moralisme. Avec Joe, on ressent toute l’expérience et toute la bienveillance qui anime The OG, cet album est une véritable pépite à tout point de vue, musical et textuel.
L’autre pépite sortie par The OG Ninja, c’est son dernier album « Cocacabana », sorti en Juillet 2024, un projet qui s’inscrit dans la continuité artistique et esthétique de « Joe Frank », mais pour des raisons différentes. C’est aussi une réussite totale, certainement plus encore que dans l’album dédié à son défunt père, car The OG Ninja l’a composé trois ans après, fort d’une plus grande expérience humaine et artistique.
Sur le plan artistique justement, cela s’explique entre autres par la progression de sa carrière, de ses diverses rencontres, notamment auprès des artistes de la sphère Griselda lors de leurs multiples scènes communes. Cette émulation a continué de le nourrir en tant qu’artiste, à le faire grandir lui mais aussi sa notoriété. En effet, c’est bien au contact de l’excellence et de ses pairs qu’on apprend et qu’on progresse le mieux. Lorsqu’on a la chance de partager la scène avec des artistes tels que Conway the Machine ou encore Benny the Butcher, on échange, on observe et on avance, et surtout on progresse tout en élargissant ses connaissances et son réseau. Et cela se voit d’abord dans la diversité des artistes impliqués sur l’album.
Ainsi, avec « Cocacabana », il a souhaité pousser le processus créatif et le concept des collaborations encore et toujours plus loin, ayant déjà mis la barre particulièrement haute avec « Joe Frank ». Et le pari est totalement réussi ! En invitant des beatmakers et des emcees du milieu du rap underground de renommée mondiale, OG The Ninja a encore passé un cap dans sa carrière et ses ambitions artistiques.
En effet, on retrouve dans cet album des beats d’une pureté rare, comme par exemple le magnifique track « Pinot Noir », construit à partir d’un sample de chanson française dans l’esprit « chanson moderne de cabaret parisienne », dans le style d’Edith Piaf. Un magnifique track, à l’esthétique et à l’énergie particulièrement prenante et nostalgique. Ou encore « 10 E 60th T », qui, avec « Pinot Noir » ont tous les deux une dimension jazz magnifiquement équilibrée et qui ont été tous deux produits par le remarquable beatmaker australien Noir Tapes.
Les tracks « Cocacabana freestyle », « Golden lady » et « Skate key », sont, quant à eux, des productions de The OG Ninja lui-même. Ils s’inscrivent à merveille dans la continuité des beats de Noir Tapes, ayant eux aussi une forte identité boom bap / jazzy, sur un fond relativement obscure parfois même à la limite psyché. Ainsi, comme dans Joe, une certaine harmonie se dégage de l’articulation de la tracklist, et c’est donc à nouveau un projet d’une cohérence rare que nous délivre The Ninja, porteur d’une esthétique musicale nostalgique profonde et saisissante.
L’album propose ainsi une diversité de tonalités parfois obscures, parfois légèrement colorées. Un fil conducteur jazzy prédomine sur l’ensemble de l’album, ce qui vient lui donner une dimension particulièrement authentique. On chemine ainsi entre des ambiances posées, parfois mélancoliques, d’où se dégagent parfois des énergies langoureuses voire chaloupées. La musicalité du projet navigue entre divers contrastes parfaitement maîtrisés et complémentaires, qui se nourrissent les uns les autres de leur esthétique et de leur diversité. Si bien que l’album, dans sa globalité, offre une véritable harmonie esthétique, autant « lyricale » que musicale. Bref, une véritable pépite vous dit-on !
En termes de featuring, on retrouve d’ailleurs dans « Cocacabana » deux des artistes phares de la sphère Griselda, et pas des moindres ! On retrouve le fameux El Camino, en feat sur le track «Chun Li», tandis qu’Estee Nack, ancien membre des Tragic Allies et acolyte régulier de l’excellent Al Divino, s’invite sur « Patria All Stars ». Ce track est d’ailleurs un des singles qui porte l’album, et pour lequel OG a décidé de réaliser un clip haut en couleurs, à l’image de l’ambiance du projet dans sa globalité.
Mais The OG Ninja est un artiste prolifique, et il arrive en ce mois de septembre fort d’une actualité musicale pleine de surprises et de fraîcheur, avec la sortie, actuellement, d’un EP 11 titres, « Heyrbrainschemes 2 ». Le projet est d’ailleurs accessible pour l’instant sur la chaine YouTube de l’artiste et très bientôt sur les plateformes musicales.
Rédigé par Mehdi Malah a.k.a Ranking Sarazin