HipHop sans frontières

[Chronique] Jae Skeese & Superior - Testament of The Times

01. Union 2’s
02. In My Hands
03. Cement 4’s feat. Kota Savia
04. 2Cents
05. Cantonese Characters feat. Rome Streetz & Ty Farris
06. Preguntas
07. Ksubi Tags (Interlude)
08. Risk & Reward
09. Sign Of The Cross feat. OT The Real
10. Broken Mirrors
11. Mothers & Gods
12. Skyscraper

Localisation : Buffalo (New York), USA / Allemagne

Année : 2024

Fut une époque, où on associait des sonorités/des artistes à une région à la première écoute de l’album voir du single. Ce qui est beaucoup moins vrai aujourd’hui. La qualité peut venir de n’importe où, n’oubliez pas « dope shit comes from everywhere ».  L’Europe en particulier est très bien placée, on a évoqué pas mal de fois le sujet via des articles couvrant la Turquie, les Pays-Bas, la Suisse, la France, l’Allemagne… Et c’est précisément là qu’on retourne, outre-Rhin, où l’on trouve définitivement des beatmakers hors norme. Je ne vais pas m’attarder sur Superior qui produit encore une fois un album de dingue. J’en ai parlé dans « [Chronique] Vega7 The Ronin & Superior – Sleep Is The Cousin ».

Donc j’emboîte le pas, et je présente Jae Skeese, le rappeur du projet. La majorité des auditeurs l’ont découvert suite à sa signature sur Drumwork Music Group, le label de Conway The Machine. Jae rappe depuis une quinzaine d’années environ, et c’est vrai que sa popularité s’est accrue ces dernières années. En cause, Ses récents projets, dont « Revolver Ocelot » (2021), « Authenticity Check » (2022) avec le beatmaker de renom, Big Ghost LTD et « Abolished Uncertainties » (2023). On peut logiquement y ajouter le mini album « Pain Profided Profit » avec Conway. Vers 16 ans, il rencontre un grand nom de l’underground nommé Billie Esco (son dernier projet est lourd) et il lui a présenté l’inévitable Camouflage Monk. Un beatmaker que vous avez dû entendre au moins une fois. De fil en aiguille, Conway l’a contacté pour lancer son label et depuis go ! Mérité.

Concernant le projet, il est assurément le meilleur qu’il a pu faire. 12 titres qui ont vu le jour le 8 mars 2024, tout n’est pas parfait, mais concrètement, rien n’est inaudible. Superior est toujours très fort derrière les manettes, c’est varié, on ne tombe dans les sonorités qu’on reproduit partout et c’est vraiment plaisant. Le titre « Ksubi Tags » tagué comme un interlude est magnifique. Il est rappé durant plus de deux minutes, le sample d’opéra est enivrant, Jae cisaille la prod. C’est dire le niveau de l’album. Le titre le plus marquant, est assurément « Mothers & Gods ». Le morceau est fort et dresse un portrait assez pessimiste du rappeur qui parle beaucoup de la mort… Lors d’une interview, il dira qu’on l’a déjà braqué avec une arme. C’est surtout la mort de son père quand il avait une dizaine d’année qui l’a forgé. Les paroles évoquent sa vision des choses, très street, terre-à-terre, personne hormis sa mère et Dieu ne se soucie de lui. Le beat sur lequel il rappe ne possède presque pas de batterie et offre une boucle qui rend automatiquement nostalgie ou rêveur selon notre ressenti. Il a parfaitement adapté à son univers et à ses textes.

L’autre titre très marquant est le premier de l’album, nommé « Union 2’s » qui est une réelle introduction. Un couplet sec sur une guitare qui électrise l’atmosphère et où Jae met tout le monde d’accord. D’ailleurs, c’est ce qu’il vient signer dans ce morceau, il veut son moment de gloire. Il est aisé de déceler la capacité de Skeese à se balader au micro tant, il peut varier de débits sur les beats et proposer également différents flows.

Le morceau le plus populaire est sans doute « Cantonese Characters » avec les apparitions de Rome Streetz et du rappeur de Detroit qui a la cote en ce moment, Ty Farris. On reste fidèle aux traditions et quand il s’agit de kicker et faire des rimes complexes avec des flows incisifs, ces trois-là, le font sans problème. Puisqu’on est dans les featuring, il convient de noter la présence du rappeur OT The Real sur « Sign Of The Cross », lui qui peine à percer malgré ses importantes prestations. Il livre encore une fois un couplet de qualité sur de longues notes de violon et assoit un peu plus son image de rappeur à inviter. Concernant la dernière invitée, ce n’est autre que Kota Savia qui chante un très beau refrain sur « Cement 4’s ».
 

On se retrouve finalement avec un album de haute qualité, comme on a toujours été habitué avec ces deux artistes. Les productions sont bien choisies, on y retrouve une orientation assez boom bap mais propre à Superior. Soit avec des basses et des batteries qui laissent les mélodies respirer, le tout influencé par des sonorités qui rappellent un peu l’Asie par moment. Il a assurément encore marqué des points et figure parmi les beatmakers à suivre dans le sillage européen et américain au vu de ses multiples collaborations.

Quant à Jae Skeese, il démontre encore une fois qu’au micro, il est très à l’aise. Il évoque sa vie, son quartier, les moments difficiles et se livre pleinement comme il le fait depuis le début. Il n’y a pas d’alter ego ou d’ego démesuré, c’est pesé, c’est sincère, c’est son vécu et il le rappe avec le cœur. Après tout, c’est un artiste qui a persévéré pour en arriver là et à tout miser dans la musique par amour du rap. Pour en revenir aux sonorités évoquées en début d’article, ceux et celles qui aiment le rap qu’on appelait « East Coast » à une époque, vont se régaler. Évidemment, on ne peut le limiter à cela, mais comme la magnifique pochette l’indique, ce n’est pas un album pour faire la fête. Vu le rythme que ces deux-là semblent avoir pris, je pense qu’on ne va pas attendre longtemps pour écouter un nouveau projet.

 

Rédigé par Fathis