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Portrait : Jedi Mind Tricks [Partie II : Le Retour De Jus Allah]

Localisation : Philadelphie, Pennsylvanie

Servants In Heaven, Kings In Hell

On continue donc l’histoire du groupe avec cette deuxième partie nécessaire, car il y a pas mal de choses à dire. Et comme je ne voulais pas faire un article trop long, j’ai préféré couper la poire en deux. Entre temps, le groupe a grandement évolué, donc je rédigerai de nouveaux articles sur ce groupe. On s’était arrêté après leur 4ème album « Legacy Of Blood ». Je vais donc vous parler ici des albums qui ont suivi et des événements importants. Le 5ème album s’appelle « Servants In Hell, Kings In Heaven », et voit le jour en septembre 2006, soit 2 ans après le dernier. 
 
Beaucoup de titres (le nom de l’album lui-même) font référence à des morceaux de métal, ceux qui expliquerait peut-être la rage dans les textes. Cet album marque un nouveau départ, bien différent des 2 précédents albums et leurs samples latins / orientaux / russes… C’est le premier constat, mais également le plus regrettable. Ce qui faisait l’originalité et la force du groupe était justement ses samples venus d’un autre monde. Rarement vu dans le rap. Cet engouement de Stoupe, le producteur, pour les musiques orientales était hors norme. Et aussi fou que cela peut paraître, cela leur a valu quelques critiques, pourtant aucun des albums précédents n’était répétitif. Le groupe a décidé de se renouveler et de proposer autre chose.
 
Il est à noter que cet album est celui qui s’est le mieux vendu, il les a réconcilié avec la presse. Les fans, comme je l’explique, étaient aux anges avec les derniers albums. La presse a trop bloqué sur le légendaire « Violent By Design »,  a sous-estimé et mal compris le mythique « Vision Of Ghandi » et s’est détourné du très bon « Legacy Of Blood ». Preuve qu’il a connu un succès commercial sans précédent, R.A The Rugged Man a reçu l’awards du meilleur couplet par le site Hip Hop DX pour le morceau « Uncommon Valor : A Vietnam Story ». C’est gratifiant, mais je n’accorde que très peu d’importance à ce genre de chose. Exemple, Three 6 Mafia n’a jamais reçu d’award pour son tube intemporel « Da Summa » en 1995, mais en a reçu un pour « Stay Fly ». Voyons ce que ce morceau a de si spécial pour être autant cité, encore de nos jours.
La production semble « simple » pour du Stoupe, mais prenante et pourtant… Seulement une batterie qui retentit, un sample de la voix de Maryasque du groupe Basque (USA) tout le long du morceau, et on se croirait dans la jungle du Vietnam. Il y intègre par alternance une sorte de flûte et crée une sorte de distorsion dans le titre. L’ambiance colle parfaitement avec le thème et les lyrics, le maître est toujours présent.
 
Vinnie Paz ouvre le bal, il se place dans la peau d’un soldat américain terrifié et écœuré par l’ampleur et les horreurs de cette guerre et se questionne sur son utilité et les motivations de son gouvernement. Rugged Man prend le relais posant un couplet de deux minutes avec son flow élastique où il raconte l’histoire de son père, qui a vécu cette guerre. John A. Thorburn (le perd du MC) ; fut assez décoré par le gouvernement des USA. Il parle de la guérilla que les armées US représentaient là-bas en violant et pillant les Vietnamiens.
 
Il raconte comment l’hélicoptère où il était s’est fait descendre et il a fini au Cambodge. Il se réveille finalement en vie dans un hôpital, mais il n’a pas échappé à l’agent Orange de son gouvernement ! Résultat = 2 enfants souffrant de handicaps. Son couplet est très prenant et fait partie des meilleurs couplets qu’on qualifie de story-telling. C’est un vrai tour de force que de créer un morceau de 4 minutes sans refrain tout en racontant quelque chose, il faut maintenir une certaine énergie vocale. Les variations de débits et l’ambiance du titre sont justement placées. Ah et j’oubliais, pour les fans et pour pousser encore le bouchon plus loin, il existe un clip officiel… Mettant en scène seulement R.A, c’est dingue, mais tellement fier de son propre couplet, qu’il a décidé de tourner son propre clip pour une compilation qui réunit ses meilleurs titres. Voici le morceau dans son intégralité, faites vous votre idée :

L’autre morceau marquant de cet album est le magnifique « Razorblade Salvation ». Dans l’article précédent, je vous avais parlé des envies suicidaires de Paz, mais qu’en est-il en 2 ans ? Ce morceau est en fait, tout son contraire (ouf !) et il revient sur ce qu’il a dit et change clairement de discours. Il a relu sa lettre et s’est finalement dit que bien qu’il n’est pas parfait, qu’il peut être néfaste à son entourage, ça ne vaut pas le coup de s’ôter volontairement la vie. Il se tue en drogue et en alcool pour oublier tout ça, mais désire tout de même être un exemple pour ses neveux/nièces, sa copine… Il pense aussi énormément à sa grand-mère décédée qui lui a beaucoup apporté, il a quand même du mal à comprendre la vie et ce qui entoure malgré toutes ses expériences et ses connaissances. Comme il dit, il vaut mieux mourir avec une âme que vivre sans en avoir une.

" It's better to die and sleep
Then never wake and sleep
Then linger on and dare to live
When the soul's life is gone"

Il en vient presque à regretter sa lettre et demande à sa mère de la garder pour elle et de ne plus en parler. Le son est assez prenant d’autant plus que la chanteuse Shara Worden, qui fait partie de My Brightest Diamond est au refrain. D’autres morceaux notables dans l’album aussi comme : Outlive The War, Gutta Music, Black Winter Day… Niveau feats : Ill Bill, Sean Price, Blocc Mccloud ou encore Reef The Lost Cauze. Une autre version contient 3 morceaux bonus, un DVD et un clip, c’était en vogue à une époque où il n’y avait pas les réseaux sociaux et les accès illimités à la musique et à la vidéo.

A History Of Violence

Il faudra encore attendre 2 ans pour voir un nouvel opus estampillé Jedi Mind Tricks, soit le 25 novembre 2008 pour écouter « A History Of Violence » . Cependant, nous n’avons pas eu le temps de souffler entre temps, car ils ont participé à plusieurs projets dont :

  • Jedi Mind Tricks Presents Army Of The Pharaohs – The Torture Papers 
  • Jedi Mind Tricks Presents Vinnie Paz – The Sound And The Fury
  • Jedi Mind Tricks Presents Army Of The Pharaohs – Ritual Of Battle
  • Jus AllahAll Fates Have Changed
  • CanibusRip The Jacker (entièrement produit par Stoupe)

Beaucoup de travail donc, mais le plus important est le retour de Jus Allah ! En effet, il avait quitté le groupe après Violent By Design, les raisons sont floues, ce qui est certain, c’est qu’il n’était pas serein concernant la signature sur le label Babygrande Records. Il signera sur le label Omnipotent Records, fondé par un ancien collaborateur nommé Virtuoso. Hélas, ce label ne fera pas long feu et se contentera principalement de distribuer les albums de son fondateur. Jus est sur son premier album solo (cité plus haut) qu’il finit par faire et enregistrer chez… Babygrande Records. C’est très confus, car dans un premier temps, il prend ses distances avec ce label pour y signer en solo, avec JMT et sortir son premier solo ! C’est une autre histoire, on verra cela dans un dossier dédié à JA.

Vinnie Paz quant à lui n’a jamais été autant actif depuis leur dernier album, il a en effet lancé quelques artistes comme Doap Nixion & King Syze ainsi que les deux premiers album sdu collectif Army Of The Pharaohs dont il fait partie. C’est un album qui a été très mal reçu autant par les fans que par la presse.

Je vais essayer d’analyser cet album avec le recul que j’ai aujourd’hui. La première faiblesse vient de l’une de ses forces antérieures : Jus Allah. Alors, oui, il est de retour et personne ne va s’en plaindre. Sauf qu’il a perdu de sa superbe, il est revenu encore plus hardcore et agressif dans son flow qu’avant. Il avait déjà placé la barre très haute, mais il a réussi à la rehausser, incroyable. Résultat, il a perdu ce côté fantomatique en se contentant de quelques apparitions, des punchlines et ce coté « produit brut » qu’il abordait si bien. C’est un déferlement de rage, de violence, une voix caractérisée par la prise de substances et il est moins surprenant. De plus, Vinnie Paz est très présent, occultant encore l’apport de son allié. On pourrait conclure en disant que c’est devenu presque trop sérieux pour Jus. Lui qui avait l’étiquette du rappeur underground, ce son bien caverneux sur des beats granuleux se retrouve sur le devant de la scène avec des beats plus épurés.

Le second point, c’est la qualité des productions. Elles sont assez homogènes dans l’ensemble des 14 titres rappés, mais peu surprenantes, pourquoi ? Une certaine ressemblance, on comprend qu’on a voulu garder une ambiance de « terreur », violente. Stoupe voulait coller au thème de l’album, mais le travail est trop bien fait du coup. Résultat, on se retrouve avec des beats qui ne surprennent pas tant que cela, et les invités bien que tous excellents se contentent de faire du AOTP. Finalement, personne ou presque ne casse le rythme si ce ne sont les refrains chantés de Blocc Mccloud ou les performances de Demoz. Concrètement, on est sur un bon/excellent album de rap dans l’absolu. Mais quand on s’appelle Jedi Mind Tricks et qu’on passe des featurings de prestige à des rappeurs de son entourage ; des thèmes variés et un « renouveau » à un style pour les puristes, cela passe moins. Encore une fois, ce n’est pas la qualité des feats qui est mauvaise, ce sont les schémas des morceaux qui ne varient pas assez. On a l’impression d’être dans le troisième album d’Army Of The Pharaos. On y trouve d’ailleurs beaucoup de scratch de Dj Kwestion. Un signe qui ne trompe pas, ce sont les interludes si prisés de Stoupe The Enemy Of Mankind. Au nombre de 4, on les sent un peu tiré par les cheveux, moins inspiré (le thème oblige) et beaucoup moins marquant.

Résultat, il manque un banger, un single qui sort réellement du lot. On retiendra avant tout « Monolith » qui fait partie des meilleurs titres du groupe ou Jus excelle précisément. Les autres titres marquants sont : Trail Of Lies, Seance Of Shamans, Death Messiah, Deathbed Doctrine, Deadly Melody et l’interlude « Those With No Eyes ».

"We murder shit like everything the Europeans touch I dont even talk to mother fuckers, that could lead to trust"

"Incredible, unforgettable, undetectable, impeccable, the inevitable Unprofessional, unscheduled rebel, disheveled, unsettled, unleveled"

"I'm a candle blown, I have hands of bone I am smart and old, I am dark and cold I have a pawn shop of parts, I have a heart of gold"

"I'll drink the period blood of a fucking virgin priestess"

Départ de Stoupe / Violence Begets Violence

Si on avait bien un départ et un retour de Jus Allah dans l’histoire du groupe, il y a une surprise plus grande encore. Le départ de Stoupe, le légendaire producteur du groupe ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, celui qui a tant façonné l’identité du groupe s’en va. La raison officielle est qu’il ne se sent plus attiré par la musique de rap et souhaite prendre ses distances. Le label Babybrande sortira en 2009 « The Decalogue », le seul album du producteur avec : Slaine, Saigon, M.O.P, Supastition, Joell Ortiz… Et des membres d’AOTP. La seconde raison officielle est qu’il désire également expérimenter autre chose dans la musique, aussitôt dit, aussitôt fait. Il forme le groupe « Dutch » avec la chanteuse Liz Fullerton. Il y a beaucoup à dire sur la suite de sa carrière, mais ce n’est pas le moment d’en parler.

En tant qu’observateur, on peut se dire qu’il avait plus ou moins fait le tour de ce qu’il voulait en termes de rap. En gros, il a plié le game, et il s’en va pour mieux revenir. Cela rejoint l’essoufflement de ses prods sur le dernier album. Il est toujours resté en bon terme avec Paz et il était le bienvenu sur le futur album pour proposer des prods.

"I believe that even Jesus has a way to kill"
(Je crois que même Jésus était capable de tuer) / Personne n'est exempt de défauts.

Parlons-en justement de « Violence Begets Violence » (novembre 2011), combinaison inédite, car on retrouve seulement Vinnie Paz et Jus Allah. L’autre fait très important et le départ du groupe de Babygrande. En effet, Paz fondera son propre label : Enemy Soil. Concentrons-nous seulement sur l’album qui nous intéresse bien que le catalogue du label est assez fourni. L’album voit le jour en 2011, 14 titres dont une intro et pas d’interludes, format inédit. L’album sert grossièrement d’introduction à la nouvelle recrue : C-Lance. Il a un style qui colle bien à celui du groupe et leur fournit 4 beats qui sont tous de haute volée. Le second beatmaker a se faire remarquer est Mr. Green qu’on connaît déjà un peu plus. Il signe le classique de l’album et le plus gros hit du groupe à ce jour « Design In Malice ».

Le sample provient d’une musique russe nommé « Pol’ushko, Pole » qui est très célèbre en terre russe. Ce titre s’est retrouvé un nombre incalculable de fois sur des vidéos virales à l’époque. La majorité ignorait que c’était JMT qui en étaient les détenteurs. Le classique donne la parole à Young Zee sur un couplet et Pace Won au refrain. Tous deux font partie du groupe « Outsidaz » qui inclut également des membres comme Rah Digga. Véritable succès commercial et auditif, le clip qui contient des images assez hardcore tourné en noir et blanc cumule rapidement des millions de vues. L’autre producteur qui tire son épingle du jeu est Grand Finale, moins célèbre mais très efficace. La chanson « Carnival Of Souls » où Demoz vole encore la vedette est incroyable. Le titre « Chalice » demeure assez étonnant en multipliant les connexions, la première avec Illinformed (beatmaker de Londres) et l’artiste Chip Fu, chanteur de reggae très orienté rap, membre du groupe Fu-Schnickens. Et puisque le rap de qualité ne connaît pas de frontières, ils ont allé chercher en Europe, des talents cachés : Nero (Italie), Shuko (Allemagne) et Junior Makhno (France).

Résultat, l’album dépasse les attentes et permet au groupe de prospérer et de regagner le devant de la scène. Mais qu’on se le dise, ce n’est pas un réel album de JMT pour moi, c’est une sorte d’hors-série plus que réussi. Des prods aux lyrics, le niveau est très élevé. Suite au prochain épisode…

Rédigé par Fathis