Jus Allah a de nouveau quitté le groupe, mais de façon définitive cette fois. Les raisons de ce départ sont inconnues à ce jour. Nouveau jour, nouvelle saison et nouvelle ère. Si Jus a quitté le groupe, Stoupe l’a réintégré et le fait bien savoir en produisant l’intégralité de l’album. La pochette, constitue un changement à elle seule, en effet, les autres pochettes étaient des photos montages ou autre. À partir de cet album, ils ont voulu que cela soit des dessins, changer d’ambiance et c’est Andrew Haines qui se chargera du design. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est doué. L’autre fait marquant et qui est l’une des signatures du groupe, ce sont les interludes et intros réalisé par le légendaire producteur du groupe. L’introduction est bien choisie, elle dit ceci :
"Un millier de lendemains se succèdent
Y a-t-il une sécurité dans ce lendemain ?
Il y a de la sécurité dans la poursuite de demain
Dans la poursuite de l'avenir
Qui est le temps."J. Krishnamurti Tweet
Ce dialogue est prononcé par l’un des plus grands penseurs indien nommé Jiddu Krishnamurti (ou Jidhu Krishnamurti). L’extrait du discours fut prononcé à Brockwood Park (Hampshire, Angleterre) le 26 aout 1984. D’autres citations de ce discours se retrouveront sur l’album notamment à la fin dernier morceau.
On compte ensuite deux interludes. « La Montagna del Dio Cannibale » (La montagne du dieu cannibale) est une référence au film italien éponyme sorti en 1978. « Il Tuo Wizio e una Stanza Chiusa e Solo Io Ne Ho la Chiave » (Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé) est également inspiré d’un film italien sorti en 1972. Jusque là rien d’étonnant quand on connait les inspirations du groupe. Le fait très surprenant c’est que ces interludes sont chantés par Yes Alexander. C’est une première. Cette chanteuse originaire de Reykjavik en Islande travaille dans l’ombre depuis de longues années. Elle a fait partie du groupe LUST, et s’est surtout faite remarquer pour ses collaborations avec le duo Blue Sky Black Death ou Sadistik. Ce qui est assez incroyable, c’est la douceur de cette voix féminine en contraste avec la froideur du travail du groupe de Philadelphie. D’après les crédits, les lyrics ont étaient écrits par Stoupe lui-même, sa voix se pose magnifiquement bien sur les prods. Elle se paye même le luxe d’un vrai feat sur le dernier titre « Lemarchand’s box » Après tout, les opposés s’attirent dit-on…
Après cela, elle fera définitivement partie de la garde rapproché du crew de Phily. Elle sera omni-présente sur les futurs albums et très présente auprès de Vinnie Paz. La seconde invitée est bien plus étonnante en réalité. Elle se nomme Thea Alena et c’est la première fois qu’elle rentre en studio pour enregistrer un titre. Elle se déclare elle même « chanteuse occasionnelle » avant ce titre. Quel vent a pu mener le groupe jusqu’à Oslo en Norvège pour dénicher un tel talent et lui faire autant confiance pour enregistrer un refrain sur « In The Coldness Of A Dream » ? Leur collaboration fut tellement bonne qu’on la retrouvera sur les futurs albums du groupe. Enregistrer un tel titre à même pas 20 ans, c’est fort. Tout cela l’a même mené à une collaboration avec le rappeur californien Wildcard. Dingue ! Elle a fini par se faire tatouer sur ses jambes des noms deux albums du groupe. Pour continuer sur les featurings qui sont décidément tous incroyables, on retrouve également le chanteur Eamon. Artiste qui avait cartonné avec son single « F**k It (I Don’t Want You Back) » en 2004 pour finalement disparaitre durant longtemps. Il participe à deux titres et accentue grandement leur popularité. Et puis, qui aurait pu s’imaginer voir Dilated Peoples, imaginez Evidence et Rakaa Iriscience poser sur du JMT. Enfin, les deux derniers invités sont moins surprenants, car on parle de R.A The Rugged Man qu’ils connaissent bien. Le second est A-F-R-O (All Flows Reach Out), il est connu pour ses variations de débits, son flow en constant changement et ses schémas de rimes très complexes. Il est à noter que cela marque le premier featuring officiel sur un disque de rap pour ce jeune artiste.
Cette collaboration de tous ces tueurs au micro sur « And God Said to Cain » constitue assurément le meilleur titre du morceau. Le titre contient beaucoup de références à Don Corleone (joué par Marlon Brando) du film « Le Parrain » de Francis Ford Coppola. A-F-R-O ira jusqu’à imiter la voix de l’acteur et rapper son couplet de façon à ce qu’il y a deux rappeurs au micro, sa performance est dingue. Paz et R.A ne sont pas en reste, car ils augmentent considérablement leur débit pour coller au beat. Dj Kwestion vient finir en beauté avec des scratchs. Enfin, le dernier featuring et pas des moindres répond au nom de Lawrence Arnell. De base, il se faisait appeler Diamondback, en 2014, il rejoint le collectif Army Of The Pharaohs sur deux albums. Sa première collaboration avec le groupe est « Blood Reign » sur Violent By Design. Il est également de Philadelphie. Le morceau « Rival The Eminent » sample d’ailleurs un grand classique espagnol « Porque Te Vas » de Jeanette. Enfin, pour finir, cet album est dans un autre style qui ce qui est a été proposé dans le passé par le groupe. On l’a vu, c’est plus soft, bien que certains beats contiennent des rifs de guitare assez inédits. Paz a également bien évolué en termes de flow qu’il maîtrise bien mieux et permet plus de variations. Ce n’est pas un retour marquant par sa qualité, bien qu’honorable, mais il connaîtra un succès commercial notable pour l’année de sa parution, en 2015. Disons qu’il posera les bases pour la suite et ce sera déjà ça. Dernier point, l’écriture est grandement inspirés du romancier anglais Clive Barker, représentant éminent du mouvent splatterpunk. Définition de Wikipédia : « Le Splatterpunk (de splatter : éclaboussure/éclabousser et punk) est un mouvement de l’horreur fictionnelle qui se distingue par son côté très graphique, souvent gore, des descriptions de violence, un aspect contre-culturel (via le punk), et l’absence de limites dans la description de l’horreur. »
Nous voici en 2018 pour accueillir le nouvel album « The Bridge & The Abyss ». On prend les mêmes et on recommence ? Oui et non, du moins, le noyau dur est présent et on améliore la sauce. Yes Alexander assure encore une fois les interludes produits par Stoupe. L’album s’ouvre de nouveau sur un discours de Jiddu Krishnamurti. Et si la chanteuse islandaise était beaucoup dans le chant sur l’opus précédent, ici, elle accompagne plutôt sur des cœurs et des voix d’ambiance. Évidemment, la qualité est encore au rendez-vous. Cet album intègre également une nouveauté pour le groupe, il fait appel à des co-producteurs. C-Lance est crédité sur 10 morceaux sur 19. Il va tisser des liens très étroits avec Vinnie Paz, il va presque « remplacer » son beatmaker préféré. En tant que multi-instrumentiste, il apporte des touches de piano, guitare, bass… Forcément, cela rehausse encore plus les excellentes prods. Cela apporte également plus de variétés, d’autant plus qu’un certain Aaron Hiltz participe également à la production. Si on ajoute à cela d’autres musiciens, on sent une réelle évolution dans l’approche des beats, c’est plus harmonieux, moins rugueux et plus accessible.
Concernant les featurings, Eamon fait une nouvelle apparition sur « Certified Dope ». Sean Price, qui connaît bien le groupe, est également sur « Legacy of The Prophet ». Ce dernier est décédé en 2015, il pose une dernière fois avec le groupe de Phily à titre posthume. Scott Stalone vient prêter main forte sur le refrain de « Marciano’s Reign ». Son nom ne vous dira rien, et pourtant, il a collaboré avec le crew aussi bien qu’avec AOTP, Ill Bill, Q-Unique, Nems, Stu Bangas, UFO Fev, Vanderslice, Awar, Snowgoons, La Coka Nostra… D’ailleurs « Marciano » , c’est le nom du fils de Vinnie, il lui dédie ce morceau. Thea Alena que j’ai évoqué plus haut, est également présente sur « Making A Killing » et qui reste sans conteste le plus beau morceau de l’album. Sur Twitter, Paz dira que ce morceau a été écrit pour Stoupe qui est végétarien contrairement à Vinnie Paz. Et là, on dit oui, autant sur le fond que la forme, le piano est de toute beauté et les lyrics retrouvent toute leur importance. Car JMT, c’est surtout un groupe contestataire, lanceur d’alertes et qui fait bouger les consciences, qui pousse à la réflexion, à la documentation et à l’éducation. Du bon rap en somme. D’ailleurs, c’est le dernier morceau rappé de l’album, ce n’est pas anodin.
Enfin, parlons du dernier featuring opéré avec CZARFACE (Esoteric & Inspectah Deck du Wu Tang) sur « Torture Chamber ». C’est un bon morceau où le tout est de kicker aussi fort qu’il le faut avec des scratchs en guise de refrain. Parmi les autres titres marquants, je pense à « The Letter Concerning the Intellect » qui sample Tarkus, un groupe de rock / métal péruvien et son titre « Tranquila Reflexión ». Le titre « God Forsaken » est quant à lui très particulier avec un rythme soutenu et très saccadé qui permet à Paz d’user d’un fast-flow important. Ce qui souligne clairement son évolution et la prise risque dans sa façon de rapper. L’illustration de l’album est encore assurée par Andrew Haines. L’album est très intéressant, mais on a définitivement basculé vers un autre style qui tranche avec les débuts et l’âge d’or du groupe.
Dernier album de ce run et de loin le meilleur ! À vrai dire, c’est lui qui m’a permis de me replonger dans les deux précédents que je n’avais pas très appréciés sur le coup. Alors pourquoi il est bien meilleur ? La raison principale se trouve dans les beats, bien que les beatmakers ayant contribué au précédent opus ont fait du grand travail… Ce n’est pas du Jedi Mind Tricks comme on aime. Cela a permis de toucher un plus large public et donc d’augmenter les ventes. Celui-ci est le moins bon en termes de vente si on s’en tient aux trois derniers albums du groupe. Mais il faut faire un choix, la qualité commerciale ne va pas souvent de paire avec les critiques des fans et l’authenticité. On parle rap dans cet album et rien d’autre. Exit les feats avec Eamon, bien que bons, mais pas dans l’esprit du groupe, c’est l’opposé en fait même. On est donc en 2021, à la fin de l’année, et la seule invitée qui s’est maintenue sur ce run n’est autre que Thea Alana. C’est le dernier titre de l’album « The Great Derangement », le titre fait logiquement le constat de la catastrophe humaine à l’origine du changement climatique. Nous ne l’avons certes pas forcément amorcé dans un premier temps, mais nous y avons grandement contribué et nous avons détruit une partie de la planète. Nous sommes l’espèce la plus nuisible sur cette planète, capable du meilleur comme du pire. Aujourd’hui, on nous parle d’écologie pour nous imposer des taxes, des restrictions, des lois inutiles et contre-productives… Et on autorise des usines ultra polluantes à produire à outrance pour finir à la déchetterie. On autorise les jets privés pour des vols de 10 minutes, des produits exportés au bout du monde pour finir dans le rayon des invendus, bref, rien ne va, et cette musique nous le rappelle.
La seconde voix qui accompagne l’album est celle de l’éternelle Yes Alexander. Elle assure encore une fois tous les interludes, dont l’excellent « Until the Void Consumes Us ». Et si on est sur un album de JMT, c’est parce que Stoupe a décidé de reprendre totalement la main en produisant tous les titres. Et on le sent de suite, il sample encore des morceaux dont lui seul à le secret. On entend ces sons de mandoline assez représentatifs du groupe et ces voix en fond sonore comme Kno (Cunninlynguists) sait si bien le faire. Des titres comme « Path Of The Beam », « We Bow In Ist Aura », « Second Hand Smoke », « The Escapist » ou encore « The Death Of One Man Is A Tragedy, The Death Of 10,000 Is A Statistic » font partis des meilleurs de l’album. En termes de featurings, on reste dans la tendance. On retrouve Crimeapple qui s’illustre magnifiquement bien tout comme Boob Bronx qui se fait un nom tout doucement ou encore Chinaski Black. Parmi les artistes déjà établis, on retrouve Ill Bill (La Coka Nostra, Heavy Metal Kings, Non Phixion), Recognize Ali et Pro Dillinger.
La grande surprise est le retour du démon au micro, Demoz. Souvenez-vous, il volait la vedette sur quasiment tous les morceaux des albums d’Army Of The Pharaohs, flow incisif, tranchant dans les couplets, un grain de voix âpre et un kickeur de refrain. C’était l’énigme du collectif, inconnu avant cela, aucun album solo depuis et à part son entourage ou des artistes undergrounds, on ne l’entendait pas. Voir plus du tout, au point de se demander s’il avait stoppé la musique. Ce « psycho » comme il aime s’appeler éclabousse de son talent sur le posse song « Abdallah Azzam Brigade » et sur « Don’t Get Blood On My Gucci ». Un ovni dans l’industrie comme tant d’autres, il avait largement de quoi faire carrière et vu ses connexions et le buzz qu’il avait généré à une époque, il aurait pu faire un gros disque. Reste que l’album est très homogène, tout le contenu est bon, c’est un tout qu’il faut écouter bien que quelques singles se détachent du lot. Il est important de souligner l’apport de leur ami de toujours 7L et ses scratchs toujours bien placés. Andrew Haines signe encore une excellente conception graphique qui ne laissera personne indifférent.
Comme je l’ai dit plus haut, Jedi Mind Tricks a évolué et n’est plus le groupe occulte-mystique-hardcore-conspirationiste… Que le public a découvert à ses débuts. Jus Allah n’est plus présent, Vinnie Paz mène une brillante carrière solo et Stoupe s’est renouvelé et diversifié. On est encore loin du rap grand public ou de la tendance, mais ce côté caverneux et underground est définitivement à bannir. Ils se sont plus que professionnalisés, ils ont fondé un empire, un label, un héritage, collaboré avec tous les artistes US importants et qui sont dans leur vibe. Les auditeurs de rap sérieux sont au moins au courant de l’existence de ce groupe à défaut de reconnaître leur logo. Comprenez par là, qu’il ne faut pas que les premiers albums (Violent By Design / Visions Of Ghandi) coincent les auditeurs dans une certaine nostalgie, un espace-temps dont lequel ils resteront prisonniers. Si on compare avec la majorité des membres d’AOTP ou JA par exemple, qui sont restés plus au moins enfermés dans leur style, tous sont quasiment tombés dans l’anonymat, passés à côté de leur carrière et ont ruiné leur talent. Le fait qu’il y ait eu des pauses, des va-et-vient dans le groupe, des carrières solos/groupes en parallèle à permis à Jedi Mind Tricks de toujours repartir de l’avant. Durant la promo de cet album, un internaute à demander à Paz si Stoupe est bien dans l’album, Vinnie Paz a répondu que Jedi Mind Tricks, c’est Stoupe et Vinnie Paz. La réponse à le mérite d’être clair. Ils sont logiquement plus attendus au tournant, moins surprenant, mais quand on a côtoyé les sommets et fait carrière durant presque 30 ans, il faut suivre le cours des choses.
Et c’est ici que s’arrête cette série de dossiers sur le groupe le plus populaire de l’underground et l’un des plus importants et plus influents de toute l’école boom bap, beatmakers atypiques, interludes originaux et marquants, textes conscients et hardcore à la fois… La boucle sera définitivement bouclé une fois qu’on reviendra sur le collectif Army Of The Pharaohs, Jus Allah, Vinnie Paz et la carrière solo de Stoupe.
Rédigé par Fathis