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Quelle Chris, portrait d'une trajectoire non linéaire [Partie 2]

Quelle Chris

Partie 1

[Suite]

Il va donc apprendre à se nourrir de ses expériences, autant de ses échecs que de ses réussites, ce qui est très américain, car chez nous, en France, on a tendance à minimiser l’échec et à en avoir honte alors qu’il est nécessaire, car il est constitutif de la réussite. Il faut se tromper beaucoup pour apprendre et avancer correctement, et on apprend avant tout de ses propres erreurs, plus que des enseignements des autres souvent, ça fait partie du processus, de l’enseignement, du cheminement.   

Cela va donc amener Quelle Chris à réfléchir sur lui-même en tant que personne mais aussi en tant qu’artiste, et il va se servir de cette matière pour se révéler à lui-même, mais aussi à son public en en faisant sa marque de fabrique. D’ailleurs, l’album qui va le faire connaître d’un public beaucoup plus large « Being you is great, I wish I could be you often » justement, est une sorte d’introspection qui nous en apprend beaucoup sur l’artiste.

Il y traite du doute de soi, le concept de « self-doubt », autant en tant qu’artiste que personne, le doute de soi en tant qu’homme, en tant que noir, mais aussi en tant qu’artiste, rappeur. Or, c’est ce qu’il tire comme enseignements de ces moments de doutes, et qu’il partage d’ailleurs dans cet album, qu’il est intéressant d’aborder : la prise de conscience est d’abord individuelle par l’auto-analyse, puis collective par la diffusion du message à la communauté par le biais du média artistique. 

Prendre conscience de ses propres doutes, c’est prendre conscience du règne des déterminismes sur notre propre libre-arbitre, autrement dit, c’est prendre conscience qu’on se croit libre sans vraiment l’être, voire sans l’être du tout. C’est le début de la prise de conscience individuelle, et de la nécessité de conscientisation de son art. Ainsi, Quelle Chris s’inscrit dans une dynamique existentialiste très pertinente, qui offre des clés de libération du corps et de l’esprit, et c’est le message qu’il porte à son public dans sa musique.

L’existentialisme, c’est cette théorie française soixante-huitarde inventée par Jean Paul Sartre  l’enfer, c’est les autres » c’est lui !) et qui dit que l’Homme libre est l’Homme qui se détermine par ses choix et ses actes et non par des causes extérieures comme ses origines ou sa classe sociale, autrement dit, qui se victimise… De l’éveil de soi vers l’éveil des consciences, noble et ambitieux projet.

Jean Paul Sartre

En effet, Quelle Chris, au gré de ses expériences a pris conscience de la lourdeur de ces poids que nous impose la société, les déterminismes moraux et sociaux. Et plus particulièrement la société américaine sur les corps et les esprits noirs. Or, quand Chris dénonce cela vis-à-vis de son public et sa communauté, ça n’est rien d’autre que la même démarche que celle d’un Malcom X américain face à la communauté noire américaine ou d’un Jean-Paul Sartre français face aux jeunes étudiants en mai 68, pour faire le lien. « Déterminez-vous par vos actes et non par vos origines et par votre condition sociale ». Ne faites pas de votre condition sociale, raciale, votre prison « dorée » … 

Que ce que la société vous impose comme étant des poids soient des ailes, que cela ne vous empêche pas mais vous permette. Chris s’oppose à un fléau bien connu des quartiers populaires et des acteurs du social entre autres, la gangrène de la victimisation : elle peut être individuelle comme communautaire, et elle fait des dégâts monstres au sein des minorités ostracisées. En abordant ce genre de questions psychologiques et sociales dans ses albums, Quelle Chris fait ainsi plus que bien des politiques réunis, il bâtit des ponts là où d’autres érigent des murs… Respect !

Au-delà de ces prises de consciences existentielles et sociales, Chris est aussi connu pour sa dimension politique, c’est un militant engagé et il aime souvent dépeindre les impasses ou les illusions de la politique américaine, qu’elle soit intérieure ou extérieure, comme dans son banger « Obamacare » de son énorme album « Guns » dans lequel il fait une critique saignante de la société américaine actuelle, de ses contradictions et de ses relents racistes. 

Mais avec tout ça, j’en oublie une des facettes les plus importantes du personnage ! C’est le côté humoristique de Quelle Chris, que ce soit dans ses textes avec de l’humour noir ou des jeux de mots, ou dans ses vidéos avec ses clips, l’humour tient une place prépondérante dans l’univers de Chris, et ça fait du bien ! Cela opère une forme d’équilibre, de balancier non négligeable, surtout lorsqu’il s’agit de traiter des thèmes lourds. Cette posture comique, décalée, d’auto-dérision parfois, apporte à la fois une touche de légèreté mais aussi de la diversité au catalogue de l’artiste.

Comme vous pouvez donc le constater, c’est un sacré personnage, un rappeur authentique, décalé, original, conscient et militant.

Quelle et Jean sur la promo de l’album «Everything’s Fine », humour et auto-dérision !

Pour conclure...

En termes de discographie, ses albums commencent à être recensés sur Discogs à partir de 2011, mais avant cela, entre la mi-2000 et cette période à partir de laquelle il s’est constitué une identité artistique aboutie, sous l’allias définitif de Quelle Chris tel que nous le connaissons aujourd’hui, il a sorti pas moins d’une quinzaine de projets ! 

Actuellement signé chez Mello Music, le label à la couronne, il en est un des plus vifs représentants, on le retrouve sur les projets collaboratifs du label, dont le très remarqué Bushido, dans lequel Quelle Chris collabore avec le légendaire producteur Alchemist, sur le très lourd « Iron Steel Samouraï », morceau complètement décalé, bien représentatif de la dérision présente dans toute l’œuvre de l’artiste.

Il participe aussi en 2021 au projet de Preservation, « Eastern Medecine, Western illness » produit durant son long séjour à Hong Kong durant lequel il s’est donné comme contrainte de confectionner un album exclusivement composé de sonorités locales. Cela donne lieu à un album puissant, surprenant, comme souvent avec Preservation qui fascine par la qualité de sa culture musicale internationale. Quelle Chris y interprète le morceau « Rose Royce », qui s’avère être de loin le morceau le plus réussi du projet ! Les samples traditionnels asiatiques y sont d’une profondeur rare et envoûtante !

Ainsi, on trouve 9 albums solos sous l’allias Quelle Chris sur Discogs, on peut dire à présent 10 avec le nouvel album sorti ce mois-ci et dont je vous proposerai une chronique à la suite de ce portrait. Il va sortir la totalité de ses 10 albums sous le blaze de Quelle Chris chez Mello Music, le label chez qui il est signé depuis une dizaine d’années, excepté le premier, « Shot Gun and Sleek Reefle », qu’il sort avant, en 2011, avec déjà des feats très lourds tels que Roc Marciano, Brown ou encore Big Tone.  

En 2013, il sort deux albums, « Ghost at the finish line » et « Quelle Chris presents : Too dirt for TV », en 2016 il sort un album instrumental lofi « Lullabies for the broken brain », en 2017 son fameux « Being you is great ! I wish I could be you more often » avec Chris Keys, qui braque la lumière du milieu sur lui.  

En 2018, il collabore donc avec Jean Grae sur « Everything’s Fine », album sur lequel il s’entoure du très prometteur Your Old Droog, le jeune rappeur new-yorkais qu’on a pris pour Nas pendant un moment et qui est très proche, voire même chapeauté par des gars comme Tha God Fahim ou Mach Hommy, mais aussi avec l’apparition de son acolyte de longue date Denmark Vessey

Puis s’ensuivent trois très bons albums, en 2018 le fabuleux « Guns », une critique implacable de la société américaine, de la white supremacy et du port d’armes aux U.S.A, et en 2020 enfin, le savoureux diptyque « Quelle Chris x Chris Keys – Innocent country : 2DIRT4TV ».

A noter qu’avec Denmark Vissey et leur « ancien » groupe commun « The Crown Nation », on trouve la trace, toujours chez Discogs, d’un album et son single, sortis respectivement en 2009 et 2010 chez Fouroneoh Records, « Blue Mondays ».

Sa discographie se clôture ce mois-ci avec la sortie du magnifique « DeathFame », qui m’a littéralement transporté, et qui m’a poussé à écrire ce portrait pour partager avec vous toute la profondeur et la complexité de cet artiste, afin de vous permettre de recevoir son dernier projet (et les prochains du coup !) de manière juste, et de l’apprécier à sa juste valeur. Car « DeathFame » est bien une pépite, que ce soit du point de vue des beats que du point de vue des textes. A noter aussi que c’est Quelle Chris lui-même qui est à la production de la totalité de l’album ! 

Une chronique suivra donc très logiquement ce portrait, qui, je l’espère, vous aura donné envie de découvrir cet artiste à multi-facettes qu’est Quelle Chris, un artiste toujours aussi éclectique que surprenant, mais toujours très qualitatif.

Cette discographie ne concerne que Quelle Chris en tant que tel, mais cela ne rend absolument pas compte de la totalité de l’œuvre de Gevin Christopher Tennille. Ne serait-ce que sa part punk-rock, ou encore ses sons sortis sous ses divers alias cités plus haut, Q.Life, Quelle ou le reste de son prénom, Gavin Tenille. N’oublions pas qu’avant 2011 il prétend lui-même en interview avoir sorti une quinzaine de projets ! D’ailleurs, si parmi vous certains ou certaines en connaissent, qu’ils n’hésitent pas partager ici leurs références, ils feront au moins un heureux !

Rédigé par The Ranking Sarazin