01. Pure Opium
02. Raw Force
03. French Connection
04. Sudan Swordzman
05. Drunk God
06. Asia Imports
07. Drive-By To Nujabes
08. Freeze Tag
09. Yasuke
10. Five Starz
Un des artistes Us sur lequel il nous tenait le plus à cœur d’écrire ces derniers mois est Nowaah the Flood, à l’origine de l’excellent label « The Mali Empire », tant il se montre prolifique et qualitatif. Côté français, un des artistes sur lequel il nous tenait tout autant à cœur d’écrire, tant il est lui aussi prolifique et qualitatif, n’était autre que notre beatmaker et producteur national Kyo Itachi. Son projet « Pièces montées » en collaboration avec Dany Dan avait d’ailleurs déjà fait l’objet d’une chronique sur notre site signée Fathis. Donc, lorsque les deux nous ont annoncé travailler sur un projet commun, ce fut comme une évidence. Eurékâ ! Les planètes de l’Univers du Hip Hop Underground s’alignaient pour nous offrir enfin l’opportunité de mettre la lumière sur leur travail.
Ayant déjà collaborés ensemble sur quelques tracks par le passé, ils n’avaient pour l’instant jamais joints leurs forces pour nous gratifier d’un projet commun complet. Et voilà que cela est fait ! En ce mois d’octobre 2024 béni des Dieux du Hip Hop, l’album « Sudan Samurai Scrolls » voyait enfin le jour. Et l’envie et l’énergie que chacun a su mettre dans le projet parlent pour eux, tant l’album est une réussite, une véritable pépite du genre !
Pour chacun des deux protagonistes, c’est un « head shot », rien n’est à jeter : côté musical, Kyo Itachi lâche des beats jazzy parmi les meilleurs du genre qu’il ait su composer pour un artiste, et Nowaah the Flood continue d’éteindre la concurrence avec sa capacité à aborder des thèmes forts, toujours avec sa voix et son flow cinglants. L’alchimie entre les deux avait déjà fait ses preuves dès leur première collaboration avec « Georgi Porkie », track sorti sur le très réussi « Akira », l’album de Kyo Itachi réunissant divers artistes du rap underground Us sorti en 2018 déjà… mais sur un projet commun complet, c’est une autre histoire !
A noter que deux des morceaux présents sur « Sudan Samuraï Scrolls » étaient déjà sortis cette année sur d’autres projets de Nowaah the Flood, et pressentaient ce projet commun à venir : « Freeze Tag » sur l’album « Diluvian » et « Yatsuké » sorti sur « The Mali Selections III ». Ce qui est sûr, c’est que ces premières collaborations marquantes ont suscité un véritable engouement autour des deux artistes, et elles les prédestinaient donc à mettre leurs forces en commun en vue d’un album à quatre mains de qualité.
Avant d’entrer dans l’analyse de l’album en soi, il est intéressant de mettre d’abord la lumière sur la cover choisie par les deux comparses, qui ont choisi de travailler avec le graphiste Dani. Déjà associé de longue date à l’identité visuelle du label « The Mali Empire » de Nowaah the Flood, il est à l’origine de la quasi-totalité des covers de ses albums et donc de l’univers graphique de l’artiste et de son label. Reconnu dans le milieu du Hip Hop underground indépendant, et au-delà, pour son travail précis et recherché, il a déjà collaboré avec de nombreux artistes de renom tels que 9th Wonder, Hus KingPin, Tha God Fahim, V Don, Sauce Heist, Smoothv, Estee Nack, AJ Suede ou encore Zain, pour ne citer qu’eux.
Son style, identifiable au premier coup d’œil, s’appuie principalement sur une forte culture artistique, mêlant tableaux de maîtres, photos historiques et imagerie puissante de cultures ancestrales. Ses covers pour la trilogie des « Mali Selections » de Nowaah the Flood, reprenant l’imagerie de l’ethnie africaine dogon, sont parmi les plus beaux exemples illustrant son univers et son génie artistique.
Sa singularité est avant tout la dimension symbolique et particulièrement engagée de son art : détournant les tableaux des plus grands peintres orientalistes ou les photos les plus marquantes et les plus puissantes de l’Histoire, il contribue à une forme de réappropriation culturelle militante dont l’esthétique est à couper le souffle : le jeu des matières et des lumières contribuant énormément à ce sentiment. Pour la jaquette de « Sudan Samuraï Scrolls », Dani a souhaité redonner vie au personnage de Yatsuké, le célèbre Samurai africain, esclave affranchi, autour duquel s’articule le concept de cet album. Pour cela, il a travaillé à partir de photos en noir et blanc, l’une floutée représentant une armure samurai, et l’autre d’un portrait simple d’homme noir. L’assemblage des deux offre ainsi une très belle représentation de ce que ce personnage historique aurait pu être réellement. Et, en déposant son montage photo sur un fond sépia, le travail de lumière donne un aspect de photo d’époque qui reflète admirablement bien l’univers de l’album et du personnage central. Cet artefact de Yatsuké pourrait très bien être l’alter-ego du Nowaah the Flood de « Sudan Samuraï Scrolls ». Ainsi, la cover nous plonge déjà totalement dans l’univers de l’album et cette ambiance nous rappelle à la fois la culture japonaise et la culture Hip Hop. Dani a cette capacité assez unique de réussir à traduire en couleurs et en images les intentions et les émotions que les artistes avec lesquels il travaille souhaitent insuffler à leur projet. Magnifique !
La force de Kyo Itachi et sa grande qualité, c’est avant tout de savoir s’adapter aux artistes avec lesquels il compose, et cela apparait clairement dans chacun des sons qu’il propose sur cette collaboration avec Nowaah the Flood. Or, cette qualité n’est pas donné à tous : en plus d’avoir sa propre identité musicale très Boom Bap, l’humilité de l’homme au masque blanc et rouge le pousse à savoir écouter, s’imprégner, sans jamais s’imposer, dès lors qu’il œuvre avec un autre artiste. C’était déjà clairement le cas sur ses deux albums avec Ruste Juxx, « Météorite » et « Hardbodie Hip Hop », mais aussi sur l’album « Pièces Montées » sorti il y a quelques mois avec Dany Dan, ou encore avec l’excellent Lucio Bukowsky sur « Kiai sous la pluie noire » pour ne citer qu’eux. On retrouve à chaque fois cette sonorité propre au producteur tricolore, mais toujours en adéquation avec la couleur du projet sur lequel il collabore, ce qui fait qu’aucun de ces albums ne se ressemble.
Kyo Itachi sait capter et retranscrire musicalement les attentes et les univers, mettant ainsi en valeur les emcees avec lesquels il travaille avec une facilité déconcertante. Et avec « Sudan Samurai Scrolls », cela tombe d’autant plus sous le sens que c’est, dès la première écoute, une des qualités de l’album qui nous saute de suite à l’oreille. En effet, cette manière de procéder offre une identité propre, une unicité et une harmonie particulièrement cohérentes et séduisantes au projet… Comme s’il s’agissait d’un film dont le fil conducteur se déploierait scène après scène et dont Nowaah the Flood, sous les traits d’un Yasuke ou d’un Ghost Dog, serait le héros.
Et il suffit simplement d’écouter les interviews du producteur français pour saisir combien c’est un aspect de ses projets qui lui est cher et sur lequel il travaille en profondeur : savoir créer, pour chacune de ses collaborations, une identité singulière et reconnaissable, comme on reconnait la patte d’un DJ Premier à l’écoute des albums de Gangstarr ou d’un Havoc concernant Mobb Deep. Et sur « Sudan Samurai Scrolls », cet objectif est pleinement atteint : un fil conducteur se dégage du projet dans sa globalité, chaque chanson s’articulant à la suivante de manière complémentaire et cohérente. Une vraie dimension cinématographique se dégage de cet album, cette harmonie des parties avec le tout contribue clairement à faire penser aux scènes qui composeraient un film ou un manga animé. Le concept autour de la culture samouraï et les multiples références mangas présentes tout au long du projet renforcent d’autant plus ce sentiment.
En effet, l’analogie avec des mangas de référence tels qu’ « Afro Samouraï », « Samouraï Champloo » ou encore avec un film tel que « Ghost Dog » saute aux oreilles de tout auditeur averti ! Cette ambiance obscure, telle que la déploie admirablement bien le réalisateur de « Ghost Dog », Jim Jarmuch, en filmant les bas fonds de la ville de New York de nuit sur une bande son signée RZA, sonne comme une évidence à l’écoute de « Sudan Samouraï Scrolls ». On retrouve d’ailleurs cette influence asiatique chère au Hip Hop et plus particulièrement à l’univers du Wu Tang Clan, mêlant spiritualité japonaise et réalité de la rue. Et ce sentiment est avant tout rendu possible par la précision et la richesse du spectre musical déployé par Kyo Itachi, résolument boom bap, entre boucles orientales et samples jazzy. Autant de références qui font de cet album un large et magnifique hommage à la culture populaire, tout en préservant son originalité et son authenticité, et c’est avant tout là que réside la force de ce projet.
Dès les premières notes du projet se dessine un univers digne de l’imagerie d’un véritable film de samouraï : on ferme les yeux et notre imagination fait le reste ! Que ce soient les sonorités orientales et enivrantes des beats de Kyo, ou les thèmes spirituels et profonds abordés par un Nowaah the Flood serein et déterminé, le pari est totalement réussi ! « No feat, No fame, No fake », chacun des deux protagonistes nous donne le meilleur de ce qu’il sait faire, offrant à cet album toutes les qualités d’un véritable classique du genre. En effet, chacun des beats de Kyo Itachi fend l’air comme le fil de la lame d’un Katana, Nowaah the Flood faisant preuve pour sa part de rimes à la fois fines et acérées. « Sudan Samuraï Scrolls » déploie ainsi une vibe à la fois posée et débordante d’énergie.
Dès le premier track, « Pure Opium », Nowaah plante le décor, posant une poésie aussi froide que pragmatique, nous faisant naviguer entre imagerie de fumerie d’opium aux odeurs âcres, devises éthiques de samouraï et grands principes de gangsters. Le beat de Kyo, dans la plus pure tradition du boom bap New Yorkais, vient souligner à merveille le contexte de cette entrée en matière. Beat à la fois lancinant et répétitif par ses variantes de boucles de guitares, punchy par ses drums nerveuses entrecoupées de cuts purement Hip Hop, c’est sur une véritable bande son filmique que débute l’album. En effet, on se croirait transporté à bord de la voiture de Forest Whitaker à écumer les rues de la ville de nuit dans « Ghost Dog » ! C’est comme si deux bandes 16/9eme venaient petit à petit encadrer ce premier track au fur et à mesure qu’il se dévoilait, jusqu’à ce sample du mythique Charles Villeneuve. Voix off des reportages à sensation de la France des années 90’, ces quelques mots bien choisis viennent nous rappeler que c’est la part obscure de cet univers asiatique qui s’apprête ici à être mise en scène… Avec « Pure Opium », on entre de suite dans le vif du sujet, « Sudan Samuraï Scrolls » se dévoilant sans fioriture et avec exigence. Les deux compères ne sont clairement pas là pour parler chinois, loin de là !!! Nous voilà prévenus, du très lourd nous attend.
A la suite, « Raw Force » s’inscrit dans la pure continuité musicale et textuelle de « Pure Opium », renforçant ainsi ce sentiment d’album harmonieux aux notes filmiques. Cette seconde scène s’ouvre sur un beat et un texte tous deux virevoltants tel un sabre manié avec la finesse et la dextérité d’un samouraï expert. On se croirait transporté en plein milieu d’un épisode du manga de Takashi Okazaki, le puissant « Afro Samouraï », dont la bande son fut d’ailleurs aussi composée par la tête pensante du Wu Tang Clan,The RZA. Entre les références à la philosophie Bushido, la Voie du Samouraï, et au combat de sabres -« Stay focus Nigga »- accompagné de ce beat boombap, l’immersion est totale ! En effet, on retrouve ce subtile mélange présent dans « Afro Samouraï », entre culture Hip Hop et culture shōnen japonaise, Nowaah the Flood en « Afro », le héro de l’animé, et Kyo Itachi dans le rôle de RZA pour l’ambiance musicale. Le track, rythmé par des sonorités de lames tranchantes scindant l’air, vient renforcer la « Raw Force » -la force brute- qui se dégage naturellement du flow et du texte d’un Nowaah the Flood dévoilant petit à petit ses skills, plume affutée telle la lame d’un Katana. C’est un véritable combat de lames saillantes auquel se livrent les deux acolytes sur ce morceau d’envergure, chacun exprimant les mêmes émotions avec ses propres armes. La force et la réussite de la collaboration entre les deux artistes s’exprime à merveille dans ce morceau : Kyo Itachi arrivant à traduire musicalement ce que Nowaah the Flood énonce textuellement. On valide fort !
Sur « French Connexion », Kyo Itachi débarque avec une prod’ aux accents félins, posant une vibe à la fois feutrée et entrainante, entre boucle de basse bien lourde et samples de flûte orientale virevoltante, telle une attaque surprise. Le beat se termine sur des sonorités rappelant les B.O de films de sabre asiatiques des années 70/80… En termes de titre, avec « French Connexion », on ne pouvait pas mieux illustrer la puissance de cette collaboration franco-américaine… Clin d’œil à cette connexion ténébreuse entre mafia italo-américaine et mafia marseillaise italo-corse dans les années 70 autour du bizness de came. Inutile de rappeler que cette « French Connexion » fut le nom donné à cette héroïne blanche quasiment pure extraite de l’opium issu des champs de pavot des anciennes colonies françaises en Asie, comme l’Indochine, et qui submergea la côte Est des États-Unis tel un tsunami… La dimension chaloupée et enivrante du beat de « French Connexion » fait d’ailleurs facilement écho aux techniques d’arts martiaux d’un « Drunken Master » en état second, ou encore, plus obscure, aux effets opaques de l’Opium sur le corps humain… Les références et les liens présents au sein de cet album sont à la fois multiples et surprenants.
Nowaah the Flood, précis et incisif, dévoile un texte et un chant particulièrement techniques, toujours aussi généreux en références mangas, faisant cette fois-ci un clin d’œil au combat des 12 maisons du Zodiaque de Saint Seiya. Sa prestation vocale sur « French Connexion » s’apparente d’ailleurs à une joute verbale faisant à nouveau penser à un véritable combat de lames. C’est d’ailleurs un aspect marquant de l’identité vocale de Nowaah the Flood, un point que nous aborderons d’ailleurs dans l’interview exclusive qu’il nous a fait l’honneur d’accepter, et qui est à retrouver sur le site. Ainsi, il renvoie subtilement son art des mots à l’art du combat, sa voix mais aussi la portée de ses lyrics affutées et acérées découpant le beat comme une lame fend les chairs et les crânes. L’analogie est limpide, autant d’un point de vue du fond que de la forme, ce qui se retrouve d’ailleurs tout au long du projet.
Sur « Sudan Swordman », le combat passe clairement d’une dimension physique à une dimension purement métaphysique, avec un texte sur les valeurs spirituelles et morales du guerrier Bushido, sage parmi les sages, renvoyant ici à un combat intérieur de soi contre soi, contrairement au track précédent, plus porté sur la question du combat de sabre. Mais l’un ne peut fonctionner sans l’autre, et c’est bien cela qui se dégage petit à petit de la philosophie de cet album et plus largement des textes de Nowaah. On retrouve ici toute la nature du personnage, fervent musulman, particulièrement porté sur les questions d’éthique et de spiritualité, c’est ici que l’univers samouraï de l’album et l’univers mystique et mental de Nowaah the Flood ne font qu’un. C’est la question de la maîtrise de soi dans l’unicité de l’âme et du corps, l’une renforçant et nourrissant l’autre, objectif visé par tout guerrier, qu’il soit de lame ou de lumière, voire les deux ! Et ce n’est rien d’autre que le combat perpétuel de l’existence, mené contre soi et contre les adversités de la vie. En d’autres termes, c’est la question chère à tout musulman du « Djihaad ». Certainement pas ce concept occidental guerrier réducteur, mais le « Djihaad » dans toute sa noblesse et sa force : un effort permanent pour lutter contre le Mal, qu’il soit en soi ou à l’extérieur de soi, dans le but de faire le bien et d’être la meilleure version de soi. Ce sont ici encore des aspects de l’artiste sur lesquels nous revenons longuement dans notre interview, dans lequel il explique avec clarté son approche purement spirituelle de la foi, et non dogmatique.
Et ici encore, le parallèle avec le cinéma et plus particulièrement « Ghost Dog » sonne comme une évidence : les citations mystiques extraites du livre des Samouraïs qui entrecoupent le film entre différentes scènes est limpide ! Ce livre sacré, « Hagakure », réunit les grands principes philosophiques et moraux du Bushido, « la Voie du Samouraï », qui n’est autre qu’une forme asiatique de « Djihaad » ! En effet, il s’agit de s’inscrire dans « la perspective d’un chemin vers l’amélioration de soi » comme cela y est écrit. Il est donc ici encore question de sagesse, de maîtrise de soi, de combat intérieur mais aussi de maîtrise de l’art de la guerre. On ferme les yeux et on se retrouve à nouveau aux côtés de Forest Whitaker en samouraï urbain moderne tueur à gage, cette fois sur les toits de New-York, à travailler son mental et son jeu de sabre, égrainant ces principes philosophiques puissants sur un fond sonore de RZA purement boom-bap.
Et c’est sur cet aspect universel que se révèle toute la puissance et la force de l’univers d’un artiste tel que Nowaah the Flood, faisant de lui ce qu’on appelle « un artiste engagé ». Quel que soit le projet, on retrouve cet existentialisme qui lui est cher, livrant ses principes philosophiques et moraux tels des trésors, en y mettant l’art et la manière. Dans « Sudan Swordman », Nowaah livre un combat métaphysique pour la dignité, donnant ainsi une dimension supérieure au projet. Philosophie chère à tout art martial où l’esprit doit guider et renforcer les mouvements du corps, comme dans tout combat maîtrisé ! Et la prod’ de Kyo Itachi se prête à merveille à l’exercice : sur une boucle de guitare enivrée aux accents jazzy, c’est un beat introspectif qui appelle à la méditation et à la réflexion. On est ici face à un des plus beaux beats du projet, cette sonorité onirique de cordes nous faisant voyager au plus profond de nous-mêmes, on retrouve ce sentiment gazeux et métaphysique qui porte le morceau. Encore une fois, ce track démontre toute la complémentarité et toute la cohérence de cette collaboration : les émotions véhiculées par la musique rejoignent celles véhiculées par les textes. Magnifique.
S’en suit le magnifique morceau « Drunk God », Kyo Itachi opère une variante dans l’univers du projet, en délivrant ici un beat toujours très jazzy mais aux accents western, sur des boucles dignes d’un pianiste de saloon. Nowaah the Flood dépose un court texte dans la pure tradition rap de l’égo trip, sachant par ailleurs suffisamment s’effacer pour laisser toute la place au génie de Kyo Itachi qui laisse ici toute sa folie créative s’exprimer. A la manière dont ces boucles de piano s’enchaînent, on l’imagine construisant spontanément son beat en tapant frénétiquement sur les potards de sa machine MPC drum/sampler, comme un samouraï ! « Drunk God » véhicule une énergie à la fois rafraîchissante et débordante, offrant ainsi une diversité musicale contribuant à faire de « Sudan Samuraï Scrolls » un projet particulièrement riche et complet à tout point de vue. Ensuite, sur « Asia Import », on reste dans l’ambiance jazzy générale du projet, Kyo Itachi faisant le choix de rester sur des sonorités de piano et contribuant ainsi à garder cette harmonie particulière. Ce qui n’empêche pas par ailleurs à ce nouveau beat de s’émanciper du précédant tout en proposant une énergie différente, encore plus vivifiante. « Asia Import » semble plutôt jouer le rôle de transition, d’interlude vers un des morceaux central du projet, « Drive-by to Nujabes », qui revêt tous les traits de « la scène » principale, centrale du projet.
Le beat de ce track en fait tout simplement un banger aux notes très cinématographiques, encore une fois. La richesse de ce track réside dans toute la diversité des sons proposés par Kyo Itachi, passant d’une énergie à une autre, proposant pas moins de trois univers différents dans un même morceau. Que ce soient les violons ou les haut bois, ou encore les différentes voix samplées, ce sont de véritables émotions de cinéma qui s’enchaînent et se dégagent de ce morceau particulièrement réussi. Dès la première écoute du projet, « Drive-by to Nujabes » sort du lot, c’est comme si toute l’originalité et toute l’authenticité du projet « Sudan Samuraï Scrolls » se retrouvaient concentrées dans ce même track.
En termes de production, on ne pouvait pas mieux rendre hommage à Nujabes qu’avec cette prod’ originale, qui ne ressemble à rien de déjà existant et qui se suffit à elle-même. Célèbre producteur japonais à l’origine du mouvement Lo-Fi, Nujabes a grandement contribué à l’essor et à la diversité du beatmaking, mettant ainsi le Japon sur la carte du Hip Hop. C’est aussi lui qui est à l’origine de la bande son du manga animé shōnen de référence, Samouraï Champloo, dont les images sont reprises dans le clip AMV en illustration ci-dessus, réalisé et généreusement mis à notre disposition par Brice Danguillaume. Nujabes nous a malheureusement quittés dramatiquement il y a une quinzaine d’années lors d’un accident de voiture, laissant alors le monde du Hip Hop orphelin. Difficile de ne pas voir encore ici un lien avec le cinéma, toutes ces émotions renvoyant à ces explosions de combats et de couleurs présents dans ce magnifique manga de Shinichiro Watanabe. Kyo Itachi et Nowaah the Flood étalent dans « Drive-by to Nujabes » toute la maîtrise de leur art, comme le font par ailleurs les deux héros Mugen et Jin avec leurs sabres au fil des épisodes de Samouraï Champloo.
Sur « Freeze Tag », on revient sur des sonorités boombap plus conventionnelles, on retrouve le piano présent depuis trois tracks, cohérence et harmonie du tout obligent, mais sur une boucle plus courte et plus minimaliste. Ce choix artistique vient offrir un souffle et un certain équilibre au projet, lui permettant de se rassembler pour un final à la hauteur des efforts engagés. Nowaah the Flood revient vocalement en force sur « Freeze Tag », après avoir laissé plus de place à l’expression musicale de Kyo Itachi sur les morceaux précédents. A noter que cette capacité de chacun à savoir laisser la place à l’autre à un moment donné du projet offre une force supplémentaire à l’album. Ce qui fait de « Sudan Samouraï Scrolls » un véritable projet commun bâti sur un respect mutuel, la place de chacun étant équilibrée par celle de l’autre. L’humilité, le savoir-faire et le savoir-être de Kyo Itachi et de Nowaah the Flood se révèlent pleinement sur ce type de critère -le diable se cachant dans les détails- et contribuant ainsi grandement à la réussite globale du projet.
Dernière résurgence avant le track final, « Yatsuke » se présente comme le morceau originel du projet, Nowaah the Flood se mettant pleinement dans la peau du personnage de Yatsuke pour livrer son dernier combat de sabre. Hommage à ce samouraï africain, ancien esclave affranchi, c’est un personnage fortement présent dans l’imaginaire Hip Hop pour ce qu’il représente pour la communauté noire américaine, dont il a aussi aussi inspiré la direction graphique de l’album. En effet, l’image d’un esclave ayant gagné sa liberté puis s’étant imposé comme un personnage historique central dans le Japon Médiéval représente une référence importante pour la communauté afro américaine. Permettant ainsi à chacun, à l’heure d’une société axée principalement sur le matériel et le consumérisme, de s’identifier à un homme véhiculant une image positive et sans zones d’ombres, fier et digne, guidé par la spiritualité et la force du Bushido, la Voie du Samouraï. « Yatsuke » est un véritable banger, dont le beat vous reste collé à l’oreille, il s’agit d’ailleurs de la collaboration à l’origine même du projet « Sudan Samuraï Scrolls ». On retrouvait déjà le morceau sur « The Mali Selection III » sorti cet été. Musicalement, le choix fait par Kyo Itachi des boucles de flûtes traversières enchevêtrées tout au long du morceau lui donne une ambiance jazzy et des couleurs particulièrement orientales et contribue largement au voyage auquel ce morceau nous invite.
L’album se termine alors sur « Five Stars », aux sonorités plus calmes, véritable scène finale d’un projet qui, vous l’aurez compris, pèse ! On ne peut donc que vous conseiller d’aller découvrir ce riche et profond projet de rap underground indépendant, via le Bandcamp de Nowaah the Flood (cd et vinyles aussi disponibles) ou sur toutes les bonnes plateformes musicales de streaming.
Rédigé par Mehdi Malah a.k.a Ranking Sarazin