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Les arts martiaux dans le Hip Hop : le Rap Français

Après deux articles sur le rap Us à lire ici et ici, voyons voir du côté de chez nous ce qu’il se passe. Il est plus difficile de faire le lien entre les arts martiaux, l’Asie et le rap français que son homologue américain. Les États Unis ne l’oublions pas, c’est bien plus que l’Europe entière… Néanmoins, nous avons également du beau monde par chez nous.
 
L’un des sons qui me vient en tête est « À la recherche du mic perdu » du groupe Mafia Trece sorti en 1997 sur leur premier album Cosa Nostra. Le titre peut faire se voir comme un clin d’œil au mythique album « L’école du micro d’argent ». L’autre fait est que la plupart des membres viennent du 13ème arrondissement de Paris, surnommé « le quartier chinois ».
Le clip s’ouvre sur une statue de Bouddha qui dit ceci :

Le Sensei ! Mes chers disciples, vous arrivez à la fin de votre formation !
Il est grand temps pour vous de toucher le Micro d'Or ! (hooooo)

Ça renvoie bien à l’image du disciple qui a passé tous ses grades et qui va affronter le monde extérieur. Et comme si les références n’étaient pas assez parlantes, ils sont allés sampler un morceau de la série « Kung Fu » joué par Jim Helms dont le titre est « Caine’s Theme ». Cliché dans la mélodie, mais diablement efficace. Le clip met ensuite des images de guerriers qui s’entraînent (entre autres). Le titre est donc destiné à l’art, la technique, l’authenticité, le style, au mcing… L’autre morceau qui use d’influences asiatiques est, comme son nom l’indique « La Fureur Du Dragon » avec des dialogues directement empruntés au classique de Bruce Lee. Ce single aura moins de succès que son prédécesseur pourtant il est tout aussi bon. Les textes font beaucoup de références aux arts martiaux asiatiques. La force de ce groupe réside également dans le fait qu’ils n’écrivent pas seulement des lignes, mais créent des images pour que l’auditeur soit transporté durant l’écoute de la musique.

"C'est pas l'habit qui fait l'moine ! C'est pas le mic qui fait le MC
Reprends tes esprits frère, il faut que tu t'ressaisisses
Que tu finisses, vite d'accomplir ta mission
Oublie les tentations d'l'oseille je sais qu'en toi la foi sommeil !
Je perçois ses vibrations !"

Ce légendaire collectif du rap français composé de :

  • Écho du Sud : Cochise et A. Speak
  • Moovens : Awax, Vas Keypa et G-Wild
  • Southcide 13 : OGK et BGL
  • Yannick
  • Silf
  • Don J.O. aka DJ Effa (Rappeur, DJ et producteur du groupe).

A hélas aujourd’hui totalement disparu. Promis à un succès certain et malgré leur excellent premier album, ils n’ont jamais réellement pu continuer à travailler au dojo. En 1999, ils se séparent, décidant d’étudier la voie du rap chacun de leur côté. Tout ceci reste paradoxal, car quand on regarde les membres de plus près, on retrouve plutôt des tendances… funky ! Southcide 13 sont aujourd’hui plus célèbres pour leur album « Du Berceau à la tombe » (2008) que pour leur travail avec la Mafia. Produit en grande partie Aelpéacha via son label Studio Delaplage avec des apparitions de Ryu MC, MSJ, Driver, S.O.B… Il est devenu un grand classique de la G-Funk française. La cerise sur le gâteau, c’est la carrière de Yannick. J’ai mis du temps à m’en remettre en faisant le lien entre le rappeur de « Mauvais Chemin » (classique absolu du Rap Fr) et « Ces soirées-là ». Qu’est-il devenu au brave disciple et pratiquant un rap authentique pour nous livrer des titres comme « J’aime ta maille » ou « Fais ce qu’il te plaît » ? C’était clairement un Mc de qualité qui pouvait aboutir à quelque chose de très sérieux dans le rap…

IAM (Imperial Asiatic Men)

"Assis en tailleur voilà des heures que je médite
Sur ma montagne et je n'arrive pas à faire le vide
Je focalise sur le diaphragme, j'augmente mon énergie
"

Dans cette chanson, le thème est centré autour des samouraïs et de la culture japonaise qu’on ressent à travers tout l’album. Il s’apprête ici à aller au combat, mais avant, il est en train de méditer comme le font les moines bouddhistes.

Ces derniers se concentrent sur leur respiration afin de vider leur esprit. En effet, ils pratiquent une respiration par le ventre, qui correspond en fait à respirer par le diaphragme (au lieu de respirer avec la cage thoracique) ; respirer par le ventre/diaphragme est censé aider à concentrer le ki (énergie vitale en chinois) au niveau du ventre.

Les moines guerriers (pour généraliser rapidement) comme on aime les appeler connaissent parfaitement le corps humain. C’est cette connaissance de l’anatomie qui leur a permis de développer des techniques d’attaques et de défenses très efficaces. La médecine chinoise étudie le corps avant les maux.

Pour aller plus loin, lorsqu’on respire avec le ventre (donc le bas du corps) et pas avec les poumons (le haut du corps) on stimule autre chose. Car tout ce qui touche à nos peurs et nos sentiments négatifs se concentrent plus sur le haut que le bas. On stimule donc l’énergie positive, le bonheur et tout ce qu’il en suit en respirant avec le ventre. D’où toutes les expressions qui sont liées à cela. Enfin, il convient de finir par prendre en compte les paroles du Bouddha qui a dit que dans l’absolu, il est impossible de faire de la méditation et de ne penser absolument à rien. Car le fait de se concentrer à laisser nos pensées vides et les laisser passer, demande déjà une concentration sur quelque chose. L’esprit ne peut agir de son bon vouloir, nous donnons la direction et donc le stimulons. C’est par cet exercice répété qu’on atteint un niveau de relâchement intense et qu’on utilise son énergie seulement si nécessaire.

"Mon sabre scintille, je médite, accroupi sous les branches d'un saule
Pleure, je défends l'honneur de mon école, fils
"

Il médite sous un saule pleureur, un arbre originaire de Chine, et très connu pour avoir des branches qui retombent vers le bas, comme des larmes qui coulent, d’où le terme “pleureur”. Il se concentre avant la grande bataille, son sabre scintille encore pour le moment car il n’a pas encore servi, une fois taché de sang, la lame ne pourra plus refléter la lumière. La seconde phrase fait clairement référence aux écoles de kung-fu et des styles de combat, il défend la sienne ! La suite évoque le troisième œil, en plus du clin d’œil au crew de Marseille et leurs potes.

Le troisième œil (également dit « œil intérieur » ou « œil de l’âme ») est une métaphore mystique et ésotérique d'origine orientale qui désigne, au-delà des yeux physiques, un troisième regard, celui de la connaissance de soi. Dans certaines traditions, le troisième œil est symboliquement placé sur le front, entre les sourcils.

Autre morceau référence : « Quand tu allais on revenait » : 

"Crois-tu innover les techniques de kata ?
L'école de Mars sur l'époque est avancée"

"C'est vrai que Shaolin fut envahi par les Mandchous
Aidés par des traîtres, ils y entrèrent et brulèrent tout"

"Kata est un terme japonais désignant une forme dans les arts martiaux japonais. Il s'agit de mouvements codifiés à partir de l'expérience de combattants dont les noms ont été perdus. Les katas sont par la suite devenus des outils de transmission de techniques, mais aussi de principes, de combat."

Je ne vais pas refaire l’album ou parler de la carrière du groupe mais ils sont les principaux vecteurs de ce mouvement en France voire en Europe. De plus, on prépare un dossier en plusieurs parties sur la carrière de Shurik’n, nous y reviendrons forcément dans un dossier qui lui sera dédié.

Freeman

J’ai moins de certitude, mais beaucoup d’éléments vont dans ce sens. De plus, il a fait partie du groupe IAM pendant de longues années avant de continuer sa carrière en solo. La pochette de son premier album « L’Palais De Justice » met en avant un dragon asiatique qui diffère fondamentalement de son cousin européen, entre autres. Si on pousse un peu, on peut y voir une référence directe au film « Crying Freeman », classique absolu. L’un de mes films préférés, si ce n’est mon préféré…

Mark Dacascos (Yo Hinomura dans le film) est un tueur, il appartient à la secte des 108 dragons, une société secrète chinoise. Le Freeman et un tueur légendaire représenté par un dragon qui sert la secte et élimine ses ennemis, à chaque génération, il se réincarne en un homme. Reconnaissable par la marque permanente que le dragon laisse sur sa peau ; la secte l’entraîne pour le rendre invincible. Néanmoins, un paramètre n’a pas été pris en compte, celui de la sensibilité humaine vu comme une faiblesse émotionnelle. Cela conduit par le faire tomber amoureux d’un témoin lors d’une fusillade de toute beauté en plein San Francisco. La règle du clan est intransigeante ! Il faut tuer le témoin, car elle a vu le visage du Freeman. Aveuglé par la sublime Emu O’Hara joué par Julie Condra, il tombe amoureux d’elle, ils s’échappent ensemble et il refuse de la tuer en trahissant son clan. Plus tard, ces deux-là se marieront dans la vraie vie… Le film est un vrai chef d’œuvre pour les amateurs d’action, d’arts martiaux, de culture asiatique et autres scènes hallucinantes de Gunfight. Les photographies et les acteurs sont superbes. Rarement vu des acteurs si bien incarnés et si élégant au naturel. Précision importante : le film est sorti en 1995. Peu de films occidentaux sortent du lot quand il s’agit de faire la part belle à extrême-oriental. Chapeau donc à Christophe Gans, réalisateur français d’Antibes (Alpes-Maritimes).

L’introduction du film montre un dragon en images de synthèse, marque du Freeman, qui lui sera tatoué sur tout le corps. Ce qui renvoie donc à la pochette. L’artiste, s’en est-il inspiré ? Sûrement. Aussi, les membres de la secte sont appelés « Les Fils Du Dragon », on l’entend dans l’introduction du L’Palais De Justice et le sample oriental ne manque pas de le rappeler. Ajoutons à cela qu’il a fait partie d’IAM. Ses liens avec les arts asiatiques ne sont donc tout sauf un hasard. Concluons sur lui avec le concept de l’album, voici une interview datant de l’époque où son classique à vu le jour :

Freeman - L'Palais De Justice (1999)

Pourquoi avoir intitulé ton album ‘L’Palais De Justice‘ ?

Freeman : Par rapport à notre Palais à nous dans le rap. Notre Palais de Justice vient de la rue. La justice n’est pas vue de la même manière suivant les personnes. Moi, quand je vois un mec qui détourne des milliards destinés à l’Éthiopie ou à la Colombie, qui ne se prend que quelques mois de sursis et une amende… II faut dire que cet argent détourné va lui payer son amende. Un toxico, je dis bien un toxico, ce n’est pas un toxico mais un malade qui a besoin d’aide. Ces gens-là, quand ils doivent voler des postes de voitures pour payer leurs doses, ils prennent trois ans fermes. Pour moi, ça ce n’est pas de la justice, en tous les cas, ce n’est pas la mienne. Ce qui tourne dans les palais de justice français, c’est l’argent, dans le nôtre, c’est la vérité.

Pourquoi cette image récurrente du dragon ?

Freeman : Le dragon, c’est moi. Me faisant appelé « Fils Du Dragon », je me devais de faire ça. C’est une passion qui m’a été donnée par Shurik’n. Ca correspond bien avec ma personnalité. Le dragon, c’est une légende, c’est la force, l’intelligence, l’agressivité, la douceur. C’est tout en même temps et ça m’aide d’avoir ça derrière moi, car je suis un peu désordonné.

Je savais que Freeman été l’auteur d’une BD nommé Imperial Asiatic Men sortie en décembre 2007. Décrite ainsi : « À travers leur fondation L’École du micro d’argent, les membres du groupe IAM guident et soutiennent des enfants en difficulté par le biais d’activités de l’esprit et du corps. Leur route croise celle d’un enfant aux pouvoirs mystiques. Akhenaton, Freeman, Imhotep, Kephren, Kheops et Shurik’n n’imaginent pas qu’ils sont au début d’une aventure fantastique qui les emmène au-delà des frontières du monde réel et de la raison… Ainsi débute la fabuleuse quête initiatique des Imperial Asiatic Men… ». Ambitieuse, mais qui n’a malheureusement jamais connu de suite.

En revanche, j’ai découvert récemment « Les BD de Nad » qui se décrit ainsi : « À mi-chemin entre roman-photo cinématographique et BD. » Avec l’accord et la collaboration du rappeur marseillais, il a imaginé et créer cette superbe BD qui rend fièrement hommage au grand rappeur marseillais. Ce qui enrichit encore plus l’univers oriental déjà évoqué à travers ce dossier. Retrouvez toutes les BD de Nad et les infos sur ses réseaux Facebook et Instagram.

J’estime que l’article est déjà bien étoffé, je vais en rester là bien qu’on aurait pu aller encore plus loin. Je finirai juste en évoquant brièvement l’unique et indissociable Shurik’n.

Shurik’n entame le premier couplet du titre « Samurai » dans l’album « Où je vis » en plantant le décor : Où il vit, il est nécessaire de s’affirmer. Si on montre que l’on a peur, les autres seront aussi cruels qu’une cour de récréation qui exclut les plus faibles.

La figure du samouraï est celle d’un homme d’élite forgé par des valeurs de discipline et de loyauté codifiées et ritualisées par le bushido (code d’honneur des samouraïs). D’une grande rigueur morale, il est supposé préférer la mort au déshonneur, quitte à se l’infliger lui-même en commettant un seppuku. La question morale et limite de la psychologie vous appartiennent ici…
 
Le nom “samouraï” signifie, en japonais, “celui qui sert”. Par conséquent, son plus grand rôle était de servir avec une loyauté et un engagement total.
 
Le samouraï est un grand guerrier. Mais il est aussi un être humain qui est immunisé contre la peur. Si la peur est un sentiment commun, le guerrier samouraï ne renoncera jamais à son objectif, ni à combattre afin de vaincre l’adversité.
 
C’est tout cet héritage écrasant de droiture dont Shurik’n se prévaut dans ce refrain. Le bushido dit ceci : 
« Le guerrier doit pour l’honneur de sa famille, de sa caste, pour ne pas être méprisé des siens, faire son devoir de guerrier. Le mépris de la mort vient de la suprématie de garder son honneur sauf sur la peur ».
Logo du rappeur Shurik'n

Un héritage sans fin

Antilopsa du légendaire groupe ATK n’a jamais caché son amour pour la culture asiatique et japonaise en particulier. Dernièrement, il s’est réinventé sous le personnage « Shogoun Noir ». Quelques projets sous ce nouvel étendard qui lui ouvre largement une place dans cet héritage. Il serait trop long de détailler ici tout le contenu que vous devez forcément écouter.

On fini avec un groupe bonus, car Hip Hop Sans Frontières ne se contente pas du seul clivage US/FR. Voici un duo suisse intéressant et qui s’inscrit totalement dans cette lignée :

Hip-Hop Taoists , un projet musical du Beatmaker HomeTaping et du Mc Mans1 deux passionnés de musique, d’arts martiaux, de botanique et d’anciens textes chinois.

Musique médecine pour public averti. Art du break-beat ciselé avec soin, attention et patience, manifestation de l’énergie primordiale, rythmique du Tao, recherche d’autre chose, tradition, sincérité, fragilité exprimée, 8 titres comme 8 trigrammes, équilibre des contraires. Force de frappe contenue par des mouvements lents. Une galaxie sur un sillon.

HomeTaping Beatmaker Producteur mystérieux et solitaire, peu d’informations nous sont parvenues sur son histoire personnelle. Il aurait étudié les arts martiaux et vécu une partie de sa vie en Chine. Régulièrement, il se retire du monde pour créer de la musique à partir de disques chinés, ce qui pour lui relève d’une forme de pratique méditative.

Mans1 Poète Mystère acoustique se nourrissant de savoir, c’est au travers de l’étude des formes et des couleurs que son style d’écriture s’est développé. Voyant l’art comme moyen d’être au monde, l’écriture lui a ouvert les portes de l’inconnu et la musique celles du sublime.

Faites-moi savoir si vous souhaitez que j’explore d’autres courants culturelles ou autres en lien avec le Hip Hop ? Souhaitez-vous d’autres dossiers qui font le pont entre les arts martiaux et le Hip Hop ? N’hésitez pas à nous faire part de vos retours et de vos attentes et nous essayerons d’y répondre au mieux.

Encore un grand merci à Nad et ses BD et son apport au Hip Hop.

Rédigé par Fathis