Kyo Itachi, c’est l’histoire de la fusion entre un homme et son alter ego, dans la pure tradition des meilleurs scénarii de Manga : la rencontre d’une force tranquille, Fabrice Kabile – pur produit 100 % Madinina – et d’un Shinigami, personnage mythologique japonais représentant un Dieu de la Mort. En fait, cet avatar, sous les traits d’un masque blanc et rouge aux dents pointues et acérées est né de la rencontre entre Kyo Kusanagi, personnage du jeu vidéo King of Fighters, et d’Itachi, un des héros du manga Naruto. Cette fusion se veut être le symbole de la souplesse et de la puissance ainsi que l’alliance du travail et de la persévérance … Sérénité et détermination, sensibilité et omnipotence, bref, un concept plus que séduisant ! Le décor est planté !
Et l’histoire qui le lie à son personnage n’est autre qu’une analogie de sa propre expérience : celle d’un artiste restant maître de sa destinée, avançant contre vents et marées, et ne faisant qu’un avec son alter-ego, littéralement «un autre moi ». L’histoire d’un homme prêt à affronter toutes les épreuves qui se dresseront face à lui les unes après les autres, au fil des années, et qui jalonneront son cheminement au sein de la jungle qu’a toujours été le Rap Game.
Ainsi, tout ce qui lui arrivera dès lors ne sera pas le fruit du hasard ou du destin, mais bien le fruit d’un travail acharné et de la persévérance de celui qui se cache derrière ce masque aux dents acérées certes, mais certainement pas longues ! Comme une représentation symbolique d’un artiste déter’ qui ne lâche rien, « jusqu’à la mort », quitte à accomplir ses objectifs et aller chercher ses succès avec les dents ! Et quelles dents ! A la vue de la dentition de son masque, on imagine la détermination sans faille du garçon… Et l’avenir lui donnera raison ! Au point qu’aujourd’hui, il est un des beatmakers et producteurs français les plus reconnus dans l’hexagone et au delà ! Car comme il aime le dire lui-même, « dans la vie, je suis un gars qui doute, mais jamais lorsqu’il s’agit de ma musique ». Dès lors, il a un plan et une stratégie en tête qu’il exécute méthodiquement et dont jamais il ne doutera. Mais à quel prix ?!
Avant la naissance du personnage de Kyo Itachi, dès l’an 2000, on retrouve le jeune Fabrice, a.k.a Kostaire, son 1er blaze de emcee, au Blanc Mesnil, près de Paname. Il va alors se forger au grès des expériences et des épreuves au sein d’un milieu du rap français qui ne fait de cadeau à personne, un peu à l’image d’un Zev Love qui deviendra par la suite le mythique MF DOOM. Tout deux partagent ces diverses désillusions et traumatismes liés au milieu de la musique, ce qui les mènera à partir, chacun à sa manière, à l’assaut du Rap Jeu en soum-soum cachés derrière leur masque. Par la suite, en 2007, seul dans sa chambre, conseillé par un voisin passionné et déjà beatmaker, Kostaire se met petit à petit à la composition d’instrus. Muni d’un Sampler MPC 2000 XL, il va finalement prendre la décision de délaisser le chant pour s’orienter exclusivement vers le beatmaking. Et c’est tant mieux pour nous !
Sans relâche, il va travailler ses skillz dans l’ombre, tout en continuant de se confronter à un milieu du rap français, qui, à cette époque, est en pleine mutation et en plein essor, devenant par la même occasion de plus en plus difficile d’accès… Jusqu’au déclic en 2010, l’année du tournant décisif et de la création de son avatar masqué tel qu’on le connait aujourd’hui. Déjà fort d’une longue et riche expérience, le personnage de Kyo Itachi va enfin voir le jour, et ce, pour le futur plus grand plaisir de nos oreilles averties !
Présent sur le devant de la scène rap underground internationale depuis plus de 10 ans, cela fait en fait près de 30 ans que notre Shinigami frenchie roule sa bosse dans la culture Hip Hop : c’est à l’âge de 15 ans, en découvrant, comme beaucoup, le banger « Shimmy Shimmy Ya», du mythique et regretté emcee du Wu-Tang Clan à la voix ténébreuse O.D.B (R.I.P King), qu’il va prendre sa première claque. A partir de ce moment là, il ne lâchera plus cette culture, devenant un véritable passionné, au point de vouloir en faire pleinement partie, et ce jusqu’à en faire le centre d’intérêt principal de son existence. Dans l’ombre du tumulte des modes éphémères, des injonctions du marché de la musique mainstream et de la fame, il va patiemment se construire un solide édifice musical, ainsi qu’une identité artistique complète et unique : un personnage original couplé à un style musical singulier et puissant.
A cette époque, courant des années 2000, internet commence à véritablement exploser, et Kyo Itachi, pressentant la portée et la puissance de l’ampleur de l’outil, compte bien s’en servir. Il va alors très rapidement se constituer un profil sur le site incontournable de cette époque, le fameux MySpace, qu’il va savamment nourrir et remplir de prods’ de sa création… Jusqu’à ce que ce compte devienne sa véritable vitrine artistique. C’est d’ailleurs grâce à ce profil qu’il fera sa première rencontre décisive, dès 2006, avec le légendaire Sean Price (R.I.P King) du duo Heltah Skeltah, et membre du super-groupe Boot Camp Clik. Mais nous reviendrons sur cette folle rencontre en détail plus tard…
Kyo fait preuve d’une longévité plutôt rare dans le milieu. En effet, il va traverser toute l’ère du Rap Jeu, en sachant garder à la fois son identité musicale si particulière, et cette qualité constante qui lui sont propres. Un peu, d’ailleurs, à l’image d’un des deux personnages à l’origine de son alter-égo, Kyo Kusanagi, qui traverse toute la franchise du jeu vidéo King of Fighters, de la première à la dernière version… Thoughtful Strategy (stratégie intelligente) qui finira par faire de lui un véritable taulier dans le Game, un ancien quoi ! Et sa musique va d’abord commencer à résonner et faire écho outre-Atlantique, d’où est arrivée, en premier lieu, la reconnaissance de ses pairs et la notoriété.
Malgré le fait d’avoir essuyé divers refus de la part de managers et artistes français, Kyo Itachi va continuer de développer ce qui est sa marque de fabrique : oser faire le premier pas, aller vers les artistes au culot sans jamais rien lâcher, jusqu’à finir par forcer son propre destin afin de le maîtriser ! Struggle times (Période de galère) ! Et c’est fort de son MySpace en guise de vitrine, bien fourni et solide, fruit de nombreuses années d’un travail passionné et sans répit qu’il va donc attirer l’attention des artistes américains avec sa patte Boombap New-Yorkaise bien lourde et obscure. Alors qu’en France les labels et emcees sont plutôt à la recherche de sonorités Trap, le style Boombap de Kyo reste un style de rap peu convoité ici, et ce encore jusqu’aujourd’hui, alors que c’est loin d’être le cas aux États-Unis. Et un petit élément culturel, et non des moindres, va s’immiscer dans l’équation pour faire la différence et contribuer à expliquer, en partie, la raison de cette primo-notoriété américaine.
En effet, là où, dans le monde anglo-saxon, qui que l’on soit, on est reconnu avant tout pour ce que l’on fait et non ce que l’on est, lorsqu’on a de solides cartes en main et le génie de Kyo Itachi, les connexions se font bien plus facilement qu’en France, où on est d’abord jugé en fonction de son image, son réseau, ou encore de son origine… qu’elle soit sociale, géographique ou encore ethnique. Et cette difficulté rend, en France, la moindre tentative de contact difficile, réduite à une logique purement mercantile et intéressée, nécessitant de devoir s’engager dans un long parcours du combattant, et continuellement devoir manœuvrer entre argent et agents. Pour le dire autrement, la France essentialise là où le monde anglo-saxon se veut plus existentialiste : ici, c’est qui on est qui nous définit, alors que chez les anglo-saxons, c’est plutôt ce qu’on vaut qui nous définit.
Et cela ne se vérifie pas uniquement dans le milieu de la musique, allez demander aux « mal-nés » possédant un CV bétonné ! Une partie de la cause de la fuite des cerveaux français trouve notamment sa source dans cette problématique bien réelle, et notre Shinigami en a fait lui-même l’amère expérience. En effet, c’est comme ça que la France perd de sacrées pépites, car tous les artistes n’ont pas les ressources ni la patience et la persévérance d’un Kyo Itachi ! Comme quoi, cerise sur le ghetto, la dérive capitaliste ne se trouve pas toujours là où on pourrait l’attendre… suivez mon regard ! En effet, c’est bien notre culture du marché de la musique actuel qui agit de la sorte, et non celle des américains, pourtant connus pour être de fervents capitalistes ! Comme quoi on ne juge pas un livre à sa couverture…
Kyo Itachi témoigne d’ailleurs régulièrement de cela, expliquant que face à ses prods, les américains se sont toujours posés moins de questions, car dotés d’une certaine spontanéité, là où, en France, on se complique la tâche, pour finir par louper le train puis finalement imiter ce que font les USA. Triste réalité avec laquelle composer lorsqu’on souhaite faire sa place dans ce milieu… Mais quoi qu’on en dise et quoi qu’on en pense, tout vient à qui sait oser, bosser et ne rien lâcher ! C’est donc d’abord par les États-Unis que la notoriété viendra, le temps que la France prenne conscience de la pépite qu’elle a laissé échapper. Profitant de cette fameuse spontanéité des artistes américains, Kyo va donc finir par taper d’abord dans l’oreille des artistes US.
Il fera donc ses classes avec des légendes du rap underground américain tels que Sean Price (R.I.P King !), Ruste Juxx, R.A ugged Man, Planet Asia ou encore Chino XL (R.I.P King !). Mais c’est d’abord en collaborant avec Ruste Juxx que la notoriété et les portes du rap underground outre-Atlantique vont véritablement s’ouvrir à lui. Kyo Itachi raconte d’ailleurs cela lors de son passage TV en 2021 dans l’émission « Get Busy » du média Clique créé par Mouloud Achour. Il y explique comment la rencontre qu’il a su établir avec Ruste Juxx, couplée à sa capacité à ne jamais baisser les bras seront déterminantes pour lancer sa carrière et commencer à bâtir l’édifice de son œuvre telle qu’on la connait. En effet, il découvre l’emcee américain lors d’un de ses passages sur scène en 2004, huit ans avant leur première collaboration, lors d’un concert de Sean avec son groupe Heltah Skeltah, avec lequel Juxx était alors en tournée. L’idée d’une connexion va alors prendre forme dans son esprit… Et la suite ne sera que détermination et abnégation, jusqu’à leur premier projet commun… Un bel exemple de réussite par soi-même et de méritocratie dans les règles de l’art ! Aujourd’hui, on peut vraiment dire qu’il jouit d’une solide notoriété et d’une reconnaissance internationale, autant dans le milieu du rap underground que le milieu mainstream, de la France aux États-Unis, et même au-delà. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour…
Après avoir passé quelques années à se faire la main dans l’ombre et se construire les bases d’un réseau solide, il va être temps pour lui de se lancer sérieusement dans sa carrière et produire des projets aboutis. Sans jamais se précipiter ni mettre la charrue avant les bœufs, et contraint par les difficultés intrinsèques au milieu, Kyo Itachi va donc s’appliquer à mettre consciencieusement sa stratégie en pratique. Il va tout simplement positiver une expérience qui, de base, en aurait freiné plus d’un. Les expériences de vie sont neutres en soi, et c’est bien la façon dont on choisit de s’en saisir qui en définissent la positivité ou la négativité. Quelle belle leçon d’existentialisme, encore une fois ! Sartre serait fier de notre Shinigami frenchie !
Kyo Itachi va ainsi réellement commencer à sortir des projets d’albums complets à partir de 2010, année à partir de laquelle il va alterner entre albums instrumentaux et albums collaboratifs avec des artistes US. Les premières collaborations avec des artistes français n’arrivant, quant à elles, qu’à partir de 2012.
Sa discographie débute donc en 2010 avec la sortie de deux premiers projets instrumentaux, « Love Mugen » et « Musikyo », suivis, en 2011, de « Musikyio 1.1 ». La beat tape « Love Mugen », dont le titre est un clin d’œil au personnage du manga shōnen mythique « Samouraï Champloo », un projet qui se déploiera d’ailleurs sous la forme d’un triptyque jusqu’en 2019. Mais c’est avant tout un magnifique hommage à Nujabes, le célèbre beatmaker et producteur Japonais à l’origine de la bande son du célèbre manga, malheureusement décédé l’année précédente d’un tragique accident de la route (R.I .P King). Connu aussi pour être le créateur du style Hip Hop Lofi, on retrouve ces accents particulièrement apaisants propres au genre Lofi tout au long de ce subtil hommage à Nujabes. A noter d’ailleurs qu’on retrouvera des clins d’œil à « Samouraï Champloo » ainsi qu’au producteur japonais de génie tout au long de sa discographie. Et ce, jusqu’à son tout dernier projet en collaboration avec Nowaah the Flood, « Sudan Samuraï Scrolls », contenant un magnifique morceau hommage intitulé « Drive-by Nujabes », dont vous pouvez d’ailleurs consulter la chronique détaillée sur notre site. Puis, en 2011, il sort « Born Again », un premier album collaboratif outre-Atlantique avec le rappeur LMNO.
Ensuite, arrive en 2012 l’album « symbolique » avec Ruste Juxx, le très réussi « HardBodie HipHop », ce fameux projet à l’origine de l’explosion de sa carrière. Cette première collaboration sera elle-même suivie quelques années plus tard, en 2016, d’un second album entre les deux acolytes, le tout aussi bon -si ce n’est meilleur- « Meteorite ». Deux projets qui vont donc marquer un véritable tournant dans la carrière de Kyo Itachi. Ces albums communs vont ainsi lui permettre de montrer toute l’étendue de son art et de son génie, par la qualité de ses beats Boombap, et son aisance à produire des projets à la composition structurée et cohérente, aux sonorités à la fois jazzy et orientales, comme peuvent en raffoler ce type d’artistes.
Influencé par des producteurs tels que Madlib, Achemist, Pete Rock, J Dilla, RZA, Evidence ou Hi-Tek, sa force va donc être sa capacité à se démarquer en se forgeant un style bien à lui, original et unique. Mais c’est aussi pour lui l’occasion de montrer qu’il sait créer des atmosphères sur mesure, sachant traduire musicalement et avec justesse les émotions et les énergies exprimées par les textes des artistes avec lesquels il travaille. D’ailleurs, son dernier projet avec Nowaah the Flood, « Sudan Samuraï Scrolls », en est une parfaite illustration. Un autre excellent exemple de son génie, c’est le très bon album collaboratif sorti en 2013, « The path of Mastery », qu’il sort en collaboration avec l’emcee américain John Robinson.
Par la suite, les années 2018 et 2019 seront deux années particulièrement importantes dans sa carrière outre Atlantique. Vont sortir trois projets collectifs de taille, réunissant chacun la crème des artistes underground US, sa notoriété n’étant plus à faire. En 2018 sortent « Genki Dama » et « Akira », sur lequel apparait d’ailleurs Nowaah the Flood pour leur première collaboration, puis en 2019, c’est au tour de « Rest In Power », album à la saveur toute particulière pour notre producteur français. En effet, cette année-là, Kyo Itachi perd sa maman (R.I.P Empress), mais c’est aussi l’année durant laquelle son légendaire acolyte Sean Price va aussi nous quitter. « Rest in Power », dont le titre parle de lui-même, sera donc un hommage à ces deux êtres chers partis la même année, et sur lequel apparait Sean Price lui-même… Artiste avec lequel, dès 2015, Kyo avait d’ailleurs le projet de sortir un album, un projet stoppé net par ce tragique décès, tous deux ayant développé une relation artistique forte et particulière. On retrouve d’ailleurs d’autres grandes pointures du rap underground US sur « Rest In Power » : Roc Marciano, Planet Asia, Sadat X des Brand Nubian, mais aussi le duo Da Buze Bruvaz (Him Lo et CleverOne) ou encore Chino XL… Sur « Genki Dama », on retrouve aussi des noms ultra lourds tels que le mythique emcee New-Yorkais Shyheim, ou encore Kinetic 9 de Killarmy, mais encore Conway the Machine du groupe Griselda, Ruste Juxx et Planet Asia de nouveau, ou encore l’excellent Rim Da Villain, pour ne citer qu’eux.
Par ailleurs, Kyo Itachi continue de collaborer en binôme sur des projets où il produit la totalité des beats, comme avec le emcee américain Skank, sur le très bon album « Unapologetic » sorti en 2019, ou encore, la même année, le très réussi « Carnage » avec Milez Grimez. D’autres projets instrumentaux de qualité sortent aussi à cette époque, on peut citer par exemple « Night Life » en 2018, ou encore « 12 bits » et « Zatoïchi » en 2019. Son but étant, comme il le dit très humblement lui-même, de réussir à créer un style musical reconnaissable, fort et original, en phase avec l’artiste pour lequel il compose. A l’image des prods’ d’un DJ Premier avec son acolyte Guru (R.I.P King) pour leur groupe Gang Starr, ou Havoc et ses beats légendaires composées pour son groupe Mobb Deep avec l’intemporel Prodigy (R.I.P King). Ces deux beatmakers faisant aussi partie des principales influences que cite régulièrement Kyo Itachi en termes d’identité musicale et de stratégie de carrière.
Et c’est donc à partir de 2012 que la carrière hexagonale de Kyo Itachi va décoller, le menant ainsi à alterner entre collaborations américaines et françaises. En effet, cette année là, il connecte avec Alpha Wann, a.k.a Philli Flingo, dont on peut dire, sans prendre de risques, qu’il est un des tauliers, si ce n’est LE taulier actuel du rap conscient français. Il est un des membres centraux du légendaire groupe parisien 1995, au sein duquel il fait ses armes aux côtés de Nekfeu ou encore Sneazzy, réunis autour des beats de l’excellent Hologram Lo’. Et l’alchimie va de suite prendre entre Kyo et Alpha, se matérialisant par une sublime première collaboration sur l’excellent maxi « Mon job ». Projet pour lequel notre Shinigami compose l’énorme banger du même nom, « Mon job », et sur lequel on retrouve aussi Hologram Lo’, qui en propose un très bon remix.
Puis, en 2015, il sort le projet « Kai sous la pluie noire », en collaboration avec Lucio Bukowski, à la plume aussi fine que mordante, suivi l’année suivante de « Grand Delirium » avec Hugo Delire. S’en suit en 2019 l’excellent projet « Canon Fumant », avec Fizzi Pizzi, puis, en 2021, il produit l’album « Advienne que pera » pour Maj Trafyk.
En France, on peut clairement dire que c’est l’année 2022 qui marque à son tour un tournant décisif dans la progression de la carrière de Kyo Itachi avec la sortie de l’excellent album « Solide », comptant parmi ses meilleures réalisations et étant depuis devenu un véritable classique. Comme il l’explique lui-même, c’est suite à une remise en question et un changement dans l’approche des artistes français que le déclic va s’opérer. Essuyant des refus jusque là, au lieu de se confronter directement aux artistes actuels en pleine hype difficilement accessibles, voire totalement inaccessibles, il va plutôt se tourner vers les artistes old school tels que Dany Dan, Faf Larage ou encore les X-Men recontacter son acolyte Alpha Wann. Stratégie payante ! Ces artistes vont s’avérer plus faciles d’accès : jouissant d’une notoriété solide, ayant dans l’ensemble des valeurs différentes de la nouvelle génération hypée blinbling, et étant moins asservis au marché mainstream de la musique. Il va alors s’appuyer sur ces noms, et, à partir de là, contacter de nouveaux artistes new-school aux valeurs plus proches des anciens, comme l’excellentissime OVNI belgo-marocain JeanJass, le célèbre compère de Caballero, qui va de suite répondre présent !
Il va alors enfin pouvoir sortir « Solide », cet album collectif de grande qualité réunissant cette fois la crème des emcees français, mélangeant old school et new school. Un coup de maître, à la hauteur des embûches, de l’investissement personnel et de la patience que lui aura demandé le rap français. Au même titre qu’il avait sorti « Rest in Power » ou « Akira » avec des artistes US de renom, il va faire de même sur « Solide », mais avec des artistes francophones, ce qui fera de ce projet un pur classique du genre. Cet album sera d’ailleurs le symbole de ce que Kyo Itachi a toujours souhaité faire dans le rap français qui l‘avait boudé jusque là : réunir des pointures de toutes les générations, englobant toute l’ère du rap français, à l’image de sa longévité dans le Game ! « Solide » réussit aussi l’exploit de rassembler des artistes de Paris à Marseille, en passant par la Belgique, d’Alpha Wann, Rocé à Romeo Elvis et Jeanjass, des X-Men, Rocca, à Faf Larage, en passant par Dany Dan des Sages Poètes de la Rue. Dany avec qui, d’ailleurs, il sortira en 2024 l’excellent projet « Pièces Montées » et dont la chronique, signée Fathis, est à retrouver sur le site.
Kyo Itachi a cette particularité d’avoir réussi à survoler le Game par delà les tendances et les crises d’un milieu sans pitié, celui du marché de la musique, lui offrant ainsi une longévité rare, non sans difficultés et désillusions. Naviguant d’abord entre fausses promesses et faux espoirs, loups déguisés en agneaux et vampires assumés, ce monde s’avère être une véritable jungle où il faut savoir où on met les pieds pour continuer d’avancer sans se faire mordre ou se vendre au plus offrant. Un excellent apprentissage qui inculque des bases et des armes solides pour tracer son propre chemin dans cette jungle. Mais au-delà de ces difficultés, il y a aussi toutes les évolutions radicales des vingt dernières années en termes de marché, de technologies, de médias, de supports et d’habitudes de consommation de la musique. Autant d’épreuves qui se sont dressées face aux artistes indépendants et qui se sont avérées fatales pour nombre d’entre eux. Mais pas pour notre Simigami masqué, qui a su faire le dos rond, apprendre, et sortir plus fort de toutes ces épreuves, malgré les doutes et les impasses.
« Tout ce qui ne te tue pas te rend plus fort »
Frederich Nietzsche Tweet
En fait, tout dépend de la manière d’appréhender les difficultés de la vie… Tirer les leçons de ces expériences pour toujours mieux s’entourer, s’organiser, adapter sa façon de travailler afin d’en sortir grandi et avancer, continuellement. Et c’est principalement là que résident la force et l’origine de la longévité de Kyo Itachi. Cela implique aussi de se donner les moyens de ses objectifs artistiques, afin de pouvoir croire en soi, en son projet et persévérer malgré les doutes et les difficultés.
Et à ce propos, il y a une autre règle fondamentale qui lui a apporté la force, la régularité et la continuité, et qui lui a permis d’atteindre cette indépendance nécessaire à toute réussite. Cette règle, Kyo l’aborde avec beaucoup d’humilité et de sagesse, et elle provient d’un conseil de son propre père : « Ne lâches jamais ton métier ». Autrement dit, toujours assurer sa survie et ses arrières quoi qu’il arrive, afin de ne jamais se retrouver acculé, et ainsi, pouvoir jouir d’une liberté nécessaire à tout projet de carrière indépendant. Ainsi, en restant maître de son temps et de ses choix, il ne s’est jamais retrouvé redevable et dépendant des autres, ou de finalités incertaines, dans un microcosme où le temps se réduit à de l’argent.
Et c’est aussi là que réside en partie la force de la longévité de Kyo Itachi : sa liberté ! Ne répondre à aucun impératif qui ne soit pas le sien. Pouvoir prendre le temps nécessaire pour créer et progresser, indépendamment des attentes et des injonctions extérieures et pouvoir se permettre de dire non quand un projet ne correspond pas à ses standards. C’est ainsi qu’on « s’offre » le luxe de bâtir sa propre identité musicale et gagner son indépendance. C’est aussi comme cela qu’on cultive sa singularité artistique, afin de pouvoir inscrire son œuvre dans la postérité, à rebours des tendances actuelles : en respectant la temporalité de son propre rythme. Et si le temps, c’est de l’argent, autant n’en devoir à personne dans ce cas de figure…
Car la qualité implique des sacrifices et du temps, la valeur suprême de tout être vivant et mortel ! C’est la clé d’une œuvre singulière et authentique : s’affranchir des contraintes d’argent et de toute forme de dépendance, pouvant mener les artistes à se perdre, jusqu’à trahir leur identité au nom du besoin et de la survie. En restant humble et en gardant la tête sur les épaules, en se donnant les moyens à la fois financiers et matériels, temporels et artistiques, Kyo Itachi a su se donner les meilleures chances de réussite sans s’éparpiller. En préservant son indépendance financière et en gardant la tête froide, il a pu prendre le temps nécessaire à sa réussite en s’investissant pleinement dans le travail et les projets qui comptaient pour lui. Ce qui se ressent très clairement lorsqu’on écoute sa musique d’un point de vue de sa linéarité, sa cohérence et son unicité sur le temps long.
C’est ainsi, aussi, qu’il a pu réaliser un autre des projets musicaux qui lui tenait le plus à cœur, et sur lequel aucune maison de disques n’aurait clairement misé… Celui de créer son propre groupe de supers beatmakers et producteurs, « Bankai Fam », avec les excellents Venom et Azaia, ses vieux amis et compagnons de route avec lesquels il a d’ailleurs sorti l’excellent album « The Stance » en 2022.
Dans le cas de Kyo Itachi donc, le choix de faire la musique qui lui plait est certes un choix risqué, mais un choix, on l’a vu, calculé et engagé, un pari sur le long terme. Et l’adhésion et le soutien du public qui est le sien, issu du mouvement underground, est bien plus fort, car il s’agit d’un public fidèle, de passionnés. Ainsi, son œuvre a-t-elle jouit, petit à petit, d’une légitimité et d’une reconnaissance particulièrement solide, s’inscrivant dans le temps long et la postérité de la culture Hip Hop, par delà les frontières quelles qu’elles soient. À l’image de ses collaborations ou encore de ses multiples passages dans les médias sur lesquels il a récemment pu promouvoir ses projets. En effet, on a pu le voir dans les plus grands médias du milieu, dans l’émission Get Busy du média « Clique », ou encore l’émission « Le Code » de Mehdi Maïzi.
Et ça, ça vaut tout l’or du monde lorsque, comme lui, on est d’abord motivé par la passion et l’amour de cette culture, sans pour autant refuser l’argent et la réussite financière. Simplement ce ne doit pas être le critère premier qui motive les choix à faire, et ce afin de garder toute son authenticité, son originalité et sa liberté artistique. Mais cela a un prix, celui d’années passées à travailler et créer du réseau malgré les refus, les doutes et les remises en question comme les galères et les échecs… Savoir se relever pour continuer d’avancer, fort de ces expériences constructives, car c’est bien ainsi qu’on apprend.
Pour conclure, on gardera de Kyo Itachi l’image d’un artiste nécessaire, complet, indépendant et humble, à la trajectoire aussi surprenante que passionnante, à l’œuvre aussi vaste que diversifiée, et à l’identité musicale aussi qualitative qu’authentique… Bref, un homme sage qui n’oublie pas d’où il vient, qui sait où il veut aller et qui fait beaucoup de bien au rap underground indépendant. Un artiste à découvrir de toute urgence si ce n’est pas déjà fait, qui mérite d’être soutenu et plébiscité. Long Life to Kyo Itachi, Long life to Bankai Fam !
Foncez découvrir son dernier projet collaboratif « Sudan Samuraï Scrolls », accessible sur le Bandcamp de Nowaah the Flood (formats digital, cd et vinyle), dont nous vous invitons aussi à retrouver le portrait et l’interview dans le cadre du dossier spécial que nous sortons à cette occasion. Un projet déjà mythique, comptant clairement parmi les meilleurs albums de l’année 2024, autant d’un point de vue du fond que de la forme, c’est-à-dire autant pour ses beats que pour ses textes, et dont nous vous invitons à en retrouver la chronique sur le site afin d’en saisir tous les tenants et les aboutissants.